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(Note de lecture), Nathalie B. Plon, Faire le mort et aboyer, par Béatrice Machet


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Posté 29 avril 2021 - 09:31

 


6a00d8345238fe69e2026bdece5e54200c-100wiLes éditions Isabelle Sauvage nous offrent le premier livre de Nathalie B. Plon, auteure jusquâalors presque inconnue, dont on apprend quâelle est née en 1969 et quâelle exerce la profession de bibliothécaire. Ce premier essai est un coup de maître ! Il laisse plus ou moins son lecteur K.O, sous le choc des images, secoué par un usage du langage qui fait perdre les repères (et les re-pères ! on le verra plus tard). En soi le but est atteint : faire ressentir dans la chair comment ça se vit une enfance maltraitée. Si ce livre était musique, il serait Mysterious adventures de John Cage.

Dès le début de la lecture on comprend quâil sâagit de suivre une enfant, la narratrice, aux prises avec sa mère (elle) et ses pères (celui dans la boîte, celui du polaroïdâautre boîte est lâappareil photo ! celui du papier cigarette, celui des cachets matin midi et soir⦠celui en apprentissage, le faux papa maçon, celui rêvé, fantasméâ¦) La fille est à la charge dâune mère maltraitante, et en quête dâun père, dâoù la référence au jeu des sept familles. Le contexte est violent, perturbé. La petite fille en appelle au père, LE père, celui qui pourrait contrebalancer la toxicité de la mère, qui saurait guérir les blessures et protéger, celui qui serait phare et repère au milieu de ce cataclysme ⦠Mais le sens de lâhumour résiste et jamais on ne tombe dans lâapitoiement sur soi. Câest cet humour qui permet de dédramatiser les situations loufoques et glauques dans lesquelles nous sommes plongés. Lâauteure, la fille donc, puisquâenfant, nous présente les choses comme un jeu, et comme dans tout jeu ; « souffler nâest pas jouer ». Et lâon ne souffle jamais, pas un moment de répit. Le décor est vite planté, « il faut faire avec ça ».  Et pour commencer, pour échapper aux ennuis, aux épreuves, « faire le mort » est la meilleure stratégie⦠Faire ou être ou se donner la mort, les trois acceptions du verbe faire, ces trois options sont également recevables et plausibles. Dès lors le jeu auquel se livre le lecteur serait celui des tourments, celui des erreurs, à souligner, à dénombrer, pour ne pas les infliger ou les commettre en tant que parents.

Parce que nous, lecteurs, « on fait avec ça » aussi. Ça : « toupie épileptique » ; ça : une cavalcade, une escalade, une galopade, un carambolage de mots et de sensations, dâimages et dâassociations dâidées jetées en gerbes au rythme dâune sorte de fuite au cours de laquelle on reconnaît des jeux, des chansons, des contes et des comptines⦠Pratiquement aucun signe de ponctuation, le texte cascade selon la pente dâune logique destructrice. On assiste à des scènes dérangeantes comme on aimerait que tout enfant nâait jamais à les subir.  Lâenfant est bousculée en permanence, jamais là où il faudrait, on lui donne des ordres contradictoires, elle nâa pas de place où se rassembler, se poser, être tranquille. Elle est traumatisée avec symptômes manifestés comme une fragilité pulmonaire qui lui vaut un séjour au sanatorium, elle vit à perdre haleine. Lâécriture rend très bien le sentiment dâurgence à sauver sa peau, à sauver lâimage du père. Le style trahit le chaos au-dedans de soi, résultat du chaos du-dehors immédiat : « De la tauromachie dans les cauchemars⦠elle attente à ma vie ».  Le « récit » de la petite fille dit la dureté de la vie des « pauvres gens », des humbles, ceux socialement défavorisés, qui travaillent à lâusine, qui enchaînent les grossesses et qui se font avorter avec une aiguille à tricoter ⦠Ceux qui, exclus, en nourrissent de la rage. Ceux qui ne sont pas préparés à avoir des enfants et qui pourtant les mettent au monde⦠Enfants qui gênent, encombrent, enfants pour qui on ressent des sentiments contradictoires et ambigus. La petite fille est souvent livrée à elle-même, guette le rebord de la fenêtre parce que les pots sans fleurs annoncent un amant, un voisin, de passage. Les voisins remarquent « votre enfant a pleuré ». Câest une vie de chien (dâoù aboyer, comme on appellerait au secours peut-être), un chien qui adorerait recevoir caresses et attentions apaisantes. Au fur et à mesure quâon tourne les pages, on se retrouve englué dans les sables mouvants de la folie. Les images frappantes défilent pêle-mêle (« trop voir déchire les côtes quand ça tousse »), avec comme en apothéose « le père au balcon tout bousculé par-dessus bord un chausson est resté ».

« Grain de famille en bataille » : une formule parmi tant dâautres de la même force, de la même intensité, le même élan de raccourci et de courses dâobstacles pour en arriver à la vertèbre cassée, aux ecchymoses, aux bleus à lââme, parce que chaque illusion, ou croyance, ou espérance, est perdue, car vivre vous casse au sens propre et au figuré. Car vivre vous déchire entre loyauté au père perdu et loyauté à la mère. Elle est cette femme capable de lancer des couteaux et de quitter la maison en pleine nuit. Malgré les scènes, les coups, il faut continuer de faire avec ça. Ça : vous mène dans vos jeux de petite fille à imiter, à « faire comme maman ». Il y a aussi les promesses quâon se fait ; « quand je serai grande jâaboierai ». Plus on lit et plus sâinstalle un climat de crainte (à quoi sâattendre encore !), bien que lâinnocence enfantine soit bien rendue dans le ton du livre, que cette innocence accompagne chaque horreur de son regard « magique » ; mais chaque seconde peut faire arriver le pire comme chaque chute de pluie est lâimage du suicide, est lâimage recommencée du père tombé, précipité du haut du balcon. 

Dans ce livre, même le vide disjoncte. Mais « sâen sortir pour de vrai sans vis-à-vis » est le souhait émis tout au long de ces allers-retours entre je et elle, lâenfant malmenée qui mûrit trop vite et la mère soucieuse du « elle passe pour qui ». Mais la mère nâest pas condamnée. Car comment demander des comptes à qui en bave autant que vous ? Dans ce quasi huis-clos étouffant, la souffrance est des deux côtés : « elle trop dâamour en dedans elle à livrer bataille laisser pour compte sans pouvoir sauver des eaux lâenfant sur son champ de guerre plexus solaire à recoudre à marée basse ». Câest après ce constat de fatalité quâest posé le seul point du livre. Final on le comprend, lâécriture a tenu lieu de « bonne pioche », il nây a plus lieu ni de faire le mort, ni dâaboyer.  Désormais dâautres cartes à jouer !

Béatrice Machet.

Nathalie B. Plon,  Faire le mort et aboyer, éditions Isabelle Sauvage, collection (im) parfait, 2021, 78 pages, 14 euros.


Un  banc  se  libère  sur  le  qui  vive  à  la  consignation
s'assoir  sur  orties  prier  à  l'isolement   dans  le  grand
escalier sans vue sur parc il y a dedans comme du verre
des  timbres  une  langue  à  coller sur le toit  dans  quel
quartier  vivre  attendre  son  tour  on  fait  le guet  sur la
pointe  des  pieds  dans  la  salle  d'attente pour soigner
la racine du mal des  fougères plein  la bouche  on flaire
d'instinct à côté de la mère




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