Le jour 
Ils se croisaient dans leur étable et dans leur cour, 
Leurs durs regards obstinément fixés à terre ; 
Et tous les deux, ils s'acharnaient à soigner mieux, 
Elle, ses porcs, et lui, ses boeufs, 
Depuis qu'ils se boudaient, rogues et solitaires.
Ils s'épiaient du coin de l'oeil, dans leur enclos, 
Avec l'espoir secret de se surprendre en faute. 
Mais elle était toujours de corps ferme et dispos 
Et lui travaillait dur et tenait la main haute 
Sur la grange et le champ.
Ils se mouvaient, pareils à deux blocs de silence, 
Faits de sourde rancune et d'âpre violence : 
Aux trois repas, ils attablaient, farouchement, 
Face à face, leur double entêtement. 
Ils gloutonnaient, à bouche pleine, 
Leur pain compact 
Réglant leurs coups de dents sur le tic tac exact 
De l'horloge de chêne ;
Quand leur bru s'en venait, le dimanche, les voir, 
L'un disait, à voix haute, pesante et lente, 
Ce que l'autre devait savoir 
Pour les achats et pour les ventes, 
Et l'accord se faisait, sur la somme, sans plus.
 Oh ! qu'ils étaient ardents et résolus 
A tordre d'un gain minime 
Le plus humble centime ! 
La nuit, 
Dos à dos, ils s'étendaient dans leur vieux lit, 
Chacun guettant l'aurore 
Pour être seul à travailler 
Dans le fournil ou le grenier, 
Quand l'autre s'oubliait à reposer encore.
Ainsi
Leur bien grandit,
Grâce à leur âcre et morne souci
D'être toujours sans défaillance et sans merci,
Et de vivre, durant des mois et des années,
A mâchoire fermée.
 Toute la Flandre
 
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