C'est l'automne. Le vent balance 
Les ramilles, et par moments 
Interrompt le profond silence 
Qui plane sur les bois dormants.
Des flaques de lumière douce, 
Tombant des feuillages touffus, 
Dorent les lichens et la mousse 
Qui croissent au pied des grands fûts.
De temps en temps, sur le rivage, 
Dans l'anse où va boire le daim, 
Un écho s'éveille soudain 
Au cri de quelque oiseau sauvage.
La mare sombre aux reflets clairs, 
Dont on redoute les approches, 
Caresse vaguement les roches 
De ses métalliques éclairs,
Et sur le sol, la fleur et l'herbe, 
Sur les arbres, sur les roseaux, 
Sur la croupe du mont superbe, 
Comme sur l'aile des oiseaux.
Sur les ondes, sur la feuillée,
Brille d'un éclat qui s'éteint 
Une atmosphère ensoleillée : 
C'est l'Eté de la SaintMartin ;
L'époque ou les feuilles jaunies
Qui se parent d'un reflet d'or,
Emaillent la forêt qui dort
De leurs nuances infinies.
O fauves parfums des forêts !
O mystère des solitudes ! 
Qu'il fait bon, loin des multitudes, 
Rechercher vos calmes attraits !
Ouvrezmoi vos retraites fraîches !
A moi votre dôme vermeil, 
Que transpercent comme des flèches 
Les tièdes rayons du soleil !
Je veux, dans vos sombres allées, 
Sous vos grands arbres chevelus, 
Songer aux choses envolées
Sur l'aile des temps révolus.
Rêveur ému, sous votre ombrage,
Oui, je veux souvent revenir, 
Pour évoquer le souvenir 
Et le fantôme d'un autre âge.
J'irai de mes yeux éblouis,
Relire votre fier poème,
O mes belles forêts que j'aime !
Vastes forêts de mon pays !
Oui, j'irai voir si les vieux hêtres 
Savent ce que sont devenus 
Leurs rois d'alors, vos anciens maîtres, 
Les guerriers rouges aux flancs nus.
Vos troncs secs, vos buissons sans nombre
Me diront s'ils n'ont pas jadis
Souvent vu ramper dans leur ombre
L'ombre de farouches bandits,
J'interrogerai la ravine, 
Où semble se dresser encor 
Le tragique et sombre décor 
Des sombres drames qu'on devine.
La grotte aux humides parois 
Me dira les sanglants mystères 
De ces peuplades solitaires 
Qui s'y blottirent autrefois.
Je saurai des pins centenaires, 
Que la tempête a fait ployer, 
Le nom des tribus sanguinaires 
Dont ils abritaient le foyer.
J'irai, sur le bord des cascades, 
Demander aux rochers ombreux 
A quelles noires embuscades 
Servirent leurs flancs ténébreux.
Je chercherai, dans les savanes, 
La piste des grands élans roux 
Que l'Iroquois, rival des loups, 
Chassait jadis en caravanes.
Enfin, quelque biche aux abois, 
Dans mon rêve où le tableau change, 
Fera surgir le type étrange 
De nos hardis coureurs des bois.
Et brise, écho, feuilles légères, 
Souples rameaux, fourrés secrets, 
Oiseaux chanteurs, molles fougères 
Qui bordez les sentiers discrets.
Bouleaux, sapins, chênes énormes, 
Débris caducs d'arbres géants, 
Rocs moussus aux masses difformes, 
Profondeurs des antres béants.
Sommets que le vent décapite,
Gorge aux imposantes rumeurs,
Cataracte aux sourdes clameurs :
Tout ce qui dort, chante ou palpite ...
Dans ses souvenirs glorieux
La forêt entière drapée,
Me dira l'immense épopée
De son passé mystérieux.
.................................
Mais, quand mon oreille attentive
De tous ces bruits s'enivrera, 
Tout près de moi retentira ... 
Un sifflet de locomotive !
 Feuilles volantes
 
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