Peintre, avant que d'oser pourtraire
Ma dame et de la contrefaire, 
Élève ton esprit aux cieux, 
Va làhaut apprendre des dieux 
Et des déesses immortelles 
Comme on peint les beautés plus belles, 
Puis de ton délié pinceau, 
Tracemoi dedans ce tableau 
Cette beauté que tant je prise, 
Et dont mon âme est tant éprise. 
Sus donc, détrempe tes couleurs 
Dans l'humeur tiède de mes pleurs, 
Fais tout premier la belle tresse
A flocons d'or de ma maîtresse, 
Que ses cheveux soient crêpelés, 
Autour du front tords, annelés, 
Laisseles, si tu veux, descendre 
En onde et sur son col s'épandre, 
Si tu peux fais que dedans l'or 
De son beau poil, l'on sente encor 
L'odeur qu'a mise la nature 
Dedans sa propre chevelure. 
Fais qu'un nombre infini d'Amours 
Y vole faisant mille tours, 
Qu'à ses cheveux les uns s'attachent, 
Les autres audedans se cachent, 
Peinsmoi la honte sur son front. 
Près d'elle encore se verront 
L'honneur, la chasteté, la gloire, 
Fais que son front blanc comme ivoire 
Rougisse peu, qu'il soit uni, 
Sans nul sillon, tout aplani, 
Qu'en polissure il sort semblable 
Au luisant verre, ou à la table 
D'un beau marbre uniment lissé, 
Ou au dos d'un fleuve glacé, 
Ou tel qu'on voit l'azur de l'onde, 
A l'heure que la mer profonde, 
Sans vent dormante dans son lit, 
Sa plaine liquide polit. 
Fais son sourcil, et qu'il ressemble 
Un arc d'ébène ; ne l'assemble 
Avec l'autre ; qu'ils soient voûtés, 
Et tout deux proprement entés 
Sur ses yeux source de lumière, 
Où ma pauvre âme est prisonnière. 
Mais comment peindrastu ses yeux ? 
Peinsmoi deux soleils gracieux, 
Les seuls rois des coeurs et des âmes, 
Tressaillant d'éclairs et de flammes 
Où l'Amour recèle ses traits, 
Ceux d'or dans celui plein d'attraits,
Ceux de plomb dedans le sévère ; 
Pour Mars et l'autre pour sa mère.
Fais que ces deux soleils jumeaux 
Surpassent les Astres plus beaux, 
Que l'un soit doux, l'autre plein d'ire, 
Voyant le doux qu'on puisse dire 
Qu'il ne promet que joie au coeur, 
L'autre que peine et que rigueur...
 
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