L’homme qui écrit son amour navigue entre deux abîmes, entre trop dire et trop peu. Dans dix ans, pourtant, il ne reconnaîtra plus comme siennes les lignes que lui inspira son amour d’autrefois, ou plutôt, il ne sera plus capable de les écrire, assistant à ce théâtre du « je », qui, Rimbaud le savait, « est un autre ». En réalité, l’homme amoureux vogue sur les flots de son amour, comme font les nuages : il suffit que le soleil se cache et les diamants deviennent des formes grises, cotonneuses, aux contours incertains. C’est sans doute le désir qui est la grande machinerie de ce théâtre, faisant apparaître cet éclairage intense qui transfigure tout, au rythme de ses caprices. C’est encore une fois Montaigne qui a raison : « je ne peins pas l’homme, je peins le passage ».
extrait de Fin de Siècle/Charmes/2000
Source : L'homme qui écrit