Mon père était un homme sensible : j’ai retrouvé, après sa mort, dans ses affaires, « Les fêtes galantes » de Verlaine, petit opuscule illustré d’aquarelles, et édité par Gründ. C’est le seul livre de poésie qu’il possédait : d’une certaine manière, c’était déjà beaucoup. Ce petit passeport pour la beauté de l’amour, était peut-être suffisant. Son art de composer son jardin illustrait, aussi, le raffinement, la sensibilité à la beauté, qui caractérisait mon père, et, en particulier, le prénom de ma mère, gravé dans l’allée du jardin, comme ses arches de roses, sa tonnelle de glycines, son cèdre de l’Atlas, ses hortensias exubérants, sa fougère géante…
Pourtant, hélas, il y avait, aussi, en lui, une face d’ombre. Deux événements minuscules de ma jeunesse en témoignent. Un jour, il me frappa au visage, pour je ne sais quelle raison. Bien que je ne fusse pas assommé par ce geste, je décidai, en un millième de seconde, de feindre l’évanouissement. Il fit alors un geste qui me surprit : il s’agenouilla et me demanda pardon. Le deuxième événement, lui, eut une issue moins « heureuse ». Un soir, tandis que je devais être en classe de seconde au lycée, et alors qu’il avait appris que je devais subir, le lendemain, une interrogation écrite de géographie, mon père me surprit en train de lire les « Les derniers poèmes d’amour », de Paul Eluard, édités chez Seghers . N’admettant pas que je ne fusse pas en train de réviser ma leçon, il m’arracha ce livre des mains et le jeta dans le poêle à charbon, où, à mon grand désespoir, il s’embrasa tout aussitôt, m’interdisant tout espoir de le récupérer. – C’est peut-être ce geste qui a décidé de ma vocation de poète , comme si je m’imposais à moi-même , depuis ce jour, d’écrire, à l’infini, des poèmes, en tentant ainsi, désespérément, de reconstituer le livre disparu.
14/2/2022
Pourtant, hélas, il y avait, aussi, en lui, une face d’ombre. Deux événements minuscules de ma jeunesse en témoignent. Un jour, il me frappa au visage, pour je ne sais quelle raison. Bien que je ne fusse pas assommé par ce geste, je décidai, en un millième de seconde, de feindre l’évanouissement. Il fit alors un geste qui me surprit : il s’agenouilla et me demanda pardon. Le deuxième événement, lui, eut une issue moins « heureuse ». Un soir, tandis que je devais être en classe de seconde au lycée, et alors qu’il avait appris que je devais subir, le lendemain, une interrogation écrite de géographie, mon père me surprit en train de lire les « Les derniers poèmes d’amour », de Paul Eluard, édités chez Seghers . N’admettant pas que je ne fusse pas en train de réviser ma leçon, il m’arracha ce livre des mains et le jeta dans le poêle à charbon, où, à mon grand désespoir, il s’embrasa tout aussitôt, m’interdisant tout espoir de le récupérer. – C’est peut-être ce geste qui a décidé de ma vocation de poète , comme si je m’imposais à moi-même , depuis ce jour, d’écrire, à l’infini, des poèmes, en tentant ainsi, désespérément, de reconstituer le livre disparu.
14/2/2022
"Les derniers poèmes d'amour" de Paul Eluard.
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