Un jour de la fin de l’année 1995, mon père fut hospitalisé. Son pronostic vital était engagé. Ma mère ne voulait pas le croire, ni l’admettre, elle qui lui disait, avec cette adorable faute de grammaire : « tu mouriras pas ». Arrachée à sa Pologne natale, elle n’avait pas appris le français dans les livres, mais, oralement, dans la vie quotidienne, comme elle avait appris la langue allemande de ceux qui l'avaient déportée. Quand, devant la porte de la chambre où mon père se trouvait, et qui portait, ironie du sort, le numéro 421, comme en référence au jeu qui avait fait les heures de gloire de son café-épicerie , le personnel médical prévint ma mère que la mort était inéluctable, elle déclara : « je le ramène à la maison ! ». Mais, avec beaucoup de difficulté, on l’en dissuada en lui expliquant quelle mort l'attendait.
Dans les jours qui suivirent, je rendis visite à mon père qui progressivement incapable de manger et de boire , nourri par perfusion , s’efforçait de faire de l’humour. Je ne sais plus à propos de quel geste médical , il me dit , pour me faire sourire : « j’ai toujours eu le bras long » .J’avais très vite compris qu’il ne souhaitait pas que nous parlions de sa mort. C’est lui qui, un jour , l’évoqua, de façon sibylline, et qui voulut me faire comprendre qu’il savait ce qui l’attendait. Il me dit simplement : « qu’il est long , le chemin !». Je ne sus que répondre. Je n’avais pas les mots.
Quand il entra dans le coma, j’étais sur mon lieu de travail. Mon frère eut l'immense courage d’être auprès de lui jusqu’au dernier instant. Mon téléphone sonna au petit matin : ma mère m’annonça la mort de mon père, en ajoutant : « tu viens ? ». Mon frère m’accueillit à la clinique . Mon père était sur son lit, en costume, les mains jointes, dans le geste de la prière. Mon frère posa une de ses mains sur lui. J’étais pétrifié.
Quelque temps plus tard, je revins dans cette chambre, seul, avec un exemplaire de « La légende des siècles » et je lus, à voix haute, interrompu par mes larmes, ce poème de Victor Hugo : « Mon père , ce héros, au sourire si doux ». C’était un ultime clin d’œil que je lui adressais, à lui que j’avais , si souvent, entendu réciter une version argotique d'un poème de La Fontaine, dont la seule bribe qui me reste en mémoire est : « et lui jacta en lousdée » .
Tu vois, ce matin, c’est moi, qui, vingt ans plus tard , te jacte en lousdée : « je t’aime, papa ».
18/2/2022
Dans les jours qui suivirent, je rendis visite à mon père qui progressivement incapable de manger et de boire , nourri par perfusion , s’efforçait de faire de l’humour. Je ne sais plus à propos de quel geste médical , il me dit , pour me faire sourire : « j’ai toujours eu le bras long » .J’avais très vite compris qu’il ne souhaitait pas que nous parlions de sa mort. C’est lui qui, un jour , l’évoqua, de façon sibylline, et qui voulut me faire comprendre qu’il savait ce qui l’attendait. Il me dit simplement : « qu’il est long , le chemin !». Je ne sus que répondre. Je n’avais pas les mots.
Quand il entra dans le coma, j’étais sur mon lieu de travail. Mon frère eut l'immense courage d’être auprès de lui jusqu’au dernier instant. Mon téléphone sonna au petit matin : ma mère m’annonça la mort de mon père, en ajoutant : « tu viens ? ». Mon frère m’accueillit à la clinique . Mon père était sur son lit, en costume, les mains jointes, dans le geste de la prière. Mon frère posa une de ses mains sur lui. J’étais pétrifié.
Quelque temps plus tard, je revins dans cette chambre, seul, avec un exemplaire de « La légende des siècles » et je lus, à voix haute, interrompu par mes larmes, ce poème de Victor Hugo : « Mon père , ce héros, au sourire si doux ». C’était un ultime clin d’œil que je lui adressais, à lui que j’avais , si souvent, entendu réciter une version argotique d'un poème de La Fontaine, dont la seule bribe qui me reste en mémoire est : « et lui jacta en lousdée » .
Tu vois, ce matin, c’est moi, qui, vingt ans plus tard , te jacte en lousdée : « je t’aime, papa ».
18/2/2022
"Dans la brume" (3/3/22)
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