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La parole fée - suivi de Troubadour

Posté par Loup-de-lune, 01 février 2022 · 697 visite(s)

La parole fée - suivi de Troubadour La parole fée











La petite bougie que j'avais allumée tenait maintenant bien droit, blanchoiement légèrement translucide, à peine enfoncé au coeur de l'assiette, dans le support de corps onctueux qui était le résultat gouttelé de l'adéquate inclinaison d'elle-même.


C'était aux prémices d'un soir encore, parcelle miraculeuse des assombrissements et des fourmillements, lorsqu'un silence, enfin, prévaudrait sur les contrats et les tribunaux, les sermons et les pas, les sentences et les poncifs, sur les lourdes envies et les aigreurs écervelées, les surdités et les amauroses orchestiques, sur les rabâchages en rimes nécessiteuses et le fier oukase des proses piètres, sur les volte-face et les palinodies, les courtoisies et les masques sourieux.


Je ne quittais pas des yeux la miniature ignée, cependant qu'elle descendait imperceptiblement, ayant tout l'air de rejoindre, charmée par l'appel des minceurs annelées, grenat, paille, bleu outremer, qui lotissaient la concavité de faïence, quelque chose l'attirant, incoerciblement... qui avait toutes les caractéristiques de l'ultimité même de la lumière.


Logés au sein de la flamme quiète, et entraînés par l'immobile coalisé avec le drame, l'arcelot noir de la mèche, l'incandescence de son extrémité, alludaient mon propre tableau intérieur : âme au fusain, apocalypse de l'hémopoésie lucide en le voyage-archer du souffle.


J'ai commencé à rechercher partout dans la chambre, aux fins de les colliger, les réfléchissements silencés. Et d'abord j'ai contemplé ceux des tortuosités de chrysocale, qui livraient au sentiment d'arabesques l'encadrement du miroir disposé désormais sur le mur de telle façon que je ne pourrais plus lire en mon visage ni tout le poids ni tout le nombre du sang. Puis j'en trouvai sur la poignée de la porte de la salle d'eau, sur les saillances métalliques de la cafetière et de la théière, sur l'arrondi du sucrier porcelanique, autant de dorures, de vermeilles, d'argentures, qui douaient telles des fées la vie plurielle d'un sidère nouveau-né. Ce parsemis munificent de la flamme, scintillations, gemmes, micas, qui ne minorait en rien sa source, imprimait nonobstant au tréfonds de moi la décisive épiphanie du bris.


J'en vins alors à désirer que la maladie qui m'avait tout à la fois multipliée et étrangée de mon axiome, me ravît au même moment que la flamme chimériquement pérégrine, avec la sporade de toutes ses mirances, s'éteindrait, témoignant de l'une de ces coïncidences si heureuses qu'elles atteignent aux mues corollophanes du mystère. 


Je dardai mes yeux sur la bibliothèque improvisée dont la paucité de livres n'avait point de cesse qu'elle ne s'obliquât. Derrière, en alternance avec de béants quadrangles, et de chaque côté, régulièrement, des croisements de bois mince et fauve ourdissaient des monotonies d'ajours losangés et de congés trigones.


Je me persuadais que j'avais apprécié là les derniers sortilèges atomiques, avant que le reliquat de la flamme n'eût consumé entièrement la paraffine, reformulant l'espace tout à la fois en des ténèbres infimement vanillinencensées, et en un degré supérieur du silence.


Mais, d'une façon progressive, j'entendis presque des voix, comme une conversation inchoative, murmurante, amoebée, entre le cheval blanc et le paradisier des deux évanouissants tableaux. Enclins à mourir à leurs huiles immutables, ils étaient épaves et téméraires au sein d'une foison de lignes d'épaisseurs diverses qui, sans cesse en mouvement, se croisaient, se décroisaient, se recroisaient de nouvelle manière, franches évocatrices du kaléidoscopique possible de tous les empêchements affidés à tous leurs passages concomitants.







Troubadour



Écrirait-il aujourd'hui, ou n'écrirait-il pas ? Il ne pouvait en décider à l'avance. Et ce n'était nullement lié à la méandreuse condition d'être inspiré, ou de ne pas l'être. La réponse, passant inéluctablement par l'heur de la découverte, impliquait à la vérité une question plus méticuleuse : ferait-il la trouvaille du papier propice, ou ne la ferait-il pas ? Il quittait sa mansarde au moment où la lucarne dégorgeait potron-minet. Il parcourait la ville, scrutant le sol d'un regard fée, jusque dans la moindre venelle interlope, à la recherche d'un papier. Un papier recru d'abandon. Un papier orphelin d'égard et de rêve. Il avait rebaptisé le dédale des rues "l'orphelinat des papiers". Peu lui importaient les dimensions, la virginité, ou le degré de l'abîmement, et même il préférait le papier qui présentait déjà, comme une amorce ou comme un engagement, quelques griffonnages bleus, ou noirs, ou rouges. Mais par-dessus tout il chérissait le papier qui était la résultante des pluies, celui que la poussière ensablait à demi, le papier que des maculatures avaient arabesqué ou silhouetté de manière indélébile, celui qui avait été conculqué un nombre incalculable de fois, si bien qu'il finissait par être marqué comme du braille, ou perforé comme ces bandes par le défilement desquelles un limonaire manivelle la musique. Il le recueillait, le faisait sécher ; il le dépliait, l'époudrait, détaché de tout souci de perfection, mais afin qu'il devienne un accueillant support. Pas une seconde ne lui traversait l'esprit de catégoriser en poème ce qu'il écrivait alors sur le papier réceptif, c'était un joli petit quelque chose fait avec des mots, un petit bijou, ou bibelot, de vocables, qui n'aurait peut-être pas même de destinataire, qui s'imaginait saisir un instant de pellicule urbaine, comme cette très vieille femme tout en noir, courbée, si courbée sur un porte-documents qu'elle serrait contre elle, et de telle façon que sa couleur rose formait un parfait triangle isocèle suppléant la tête évanouie. Un jour, au beau milieu des douze coups d'un midi de pluie, sa complexion quinquagénaire s'effondra. Une secrétaire de direction qui surgissait du bureau aérien où elle avait travaillé toute la matinée, fut si surprise par l'insolite du tableau que tous les papiers dont ses bras de cuir amarante étaient chargés s'envolèrent dans une véritable explosion. Le longiligne zigzag de la dépouille et la grimace de la mort furent délicatement linceulés par les rapports et les diagrammes retombant en cadavres exquis et en versicolores collages.







Extrait de 'Proses poétiques pour les jeunes leucémiques' par LIU Bizheng 劉 碧峥, Éditions d'Autre Part & Leukaima, Fribourg, Neuchâtel, Genève (Suisse), Zhoushan Zhejiang 舟山 浙江 (Chine 中国), 2022 二千〇二十二 (printemps 春天). Tous droits réservés.



« (...) En premier lieu, mon petit oeil loin d'être infaillible n'a vu nulle coquille ou faute d'inattention, ce dont je te félicite ! (un doigt qui glisse sur la mauvaise lettre, ça arrive bien souvent)
Ensuite, pour le texte en soi, je dois dire avoir vraiment adoré. C'était doux, beau, sensible, filé, bref, je pourrais partir dans une énumération, mais tu le définis déjà parfaitement toi-même :

'c'était un joli petit quelque chose fait avec des mots, un petit bijou, ou bibelot, de vocables, qui n'aurait peut-être pas même de destinataire'

Puisque nous sommes ici sur un forum d'écriture, et que j'aime malgré tout chipoter, je relève ceci :

'desquelles un limonaire manivelle de la musique' ; je me demande si ce "de" ne casse par la très jolie allitération, ou plutôt les très jolies allitérations... Est-il nécessaire selon toi ?

Finalement, ton texte ne me laissera pas un souvenir très fort en matière de sens, mais plutôt celui, doux, d'un poème en prose, le genre de texte dont l'impression persiste longtemps après les avoir lus, sans qu'on sache encore vraiment pourquoi.... Et je te remercie beaucoup pour ça, c'est un sentiment très précieux et surtout rare.

Bonne soirée, et au plaisir de découvrir tes autres textes ! . . . . . . . .

Eda
Une lectrice
« (...) je trouve très intéressante l'idée de mettre en avant le support plutôt que les mots qui finiront un jour par y être posés. il est vrai que pour les poètes des siècles passés, le papier choisi lors de l'impression de leurs recueils avait son importance. un texte fluide et très agréable à parcourir. . . . . . . .

Franck
Un lecteur

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