Kava : l’expérience interdite[1]
Attention : certaines personnes sont allergiques au kava et peuvent dès la première prise développer une hépatite très grave (1 personne sur 200 000)
Nouvelle-Calédonie mise à part, le kava est interdit en France. Depuis 2001. La raison officielle de cette interdiction réside dans le sous-titre du présent compte-rendu d’expérience. La raison officieuse : les lobbies pharmaceutiques européens tiennent à leurs couilles Prozac et Leixomil en or massif. Or, les parents de Jamal ont déménagé en Nouvelle-Calédonie, d’où ils envoient, de temps en temps, d’exotiques colis. Or, Jamal, qui vit à Belleville, et qui souhaitait nous faire plaisir avec quelques produits de son drôle de village new-yorkisant, eut l’idée splendide de compléter son carton avec certaines poudres du Pacifique sud.De passage dans la capitale des Pays de la Loire, il le déposa chez nous.
C’était au milieu de l’hiver 2006.
Les mois passèrent, au cours desquels nous expérimentâmes, avec Djamila, bon nombre de racines, piments, pâtes, condiments, poussières de toutes les couleurs et autres confiseries des quatre-vingt coins du monde, esquivant les matières suspectes, réservant l’inconnu. Faisant honneur et bonne chère.
Je trempai une fois mes lèvres dans une tasse de thé aux chrysanthèmes ; je considérai toujours l’eau de rose comme suspecte...
Bref, ce dimanche 8 juillet 2007, nous parvînmes au kava.
Non seulement au kava, mais à la molokheya, parce que Djamila avait décidé qu’on ne ferait pas les choses à moitié : elle avait préparé un poulet à la mode égyptienne.
D’ailleurs, à cours de *** depuis suffisamment longtemps pour qu’il n’en subsistât plus la moindre trace dans nos urines, nous étions tous convenus d’aller le plus loin possible : nous avions acheté des bières bon marché de luxe, enfumé l’appartement d’encens et même passé l’aspirateur… Ali avait pensé à apporter la bouteille de vin à plus de trois dollars de la semaine précédente ; Sami avait carrément préparé des cannelés « maison » ; de mon côté, je m’étais fait border les yeux de khôl, couper & teindre les cheveux au henné par Djamila, bienveillante fée romanichelle en notre palais de schtroumpfs…
Sami, qui ne se drogue que dans les grandes occasions, semblait aussi déterminé que moi : nous étions comme deux puces de 1957 sur le dos de Laïka, fin prêts pour le grand voyage dans la nuit des temps. Ali, en revanche, avait la gueule de hautbois des grands lendemains qui déchantent : il n’était pas difficile de prévoir que son estomac ne supporterait pas l’expédition.
Quand Djamila nous a rejoints, Sami et moi avions déjà ingurgité la dose nécessaire pour faire pousser des ailes de chauve-souris à un kangourou.
« On ne peut tuer tout de suite quelqu’un avec qui on vient de boire le kava », dit le – rassurant – proverbe... « Le breuvage a une couleur café au lait peu engageante, sa saveur est d'abord douce et devient piquante, amère, brûlant un peu la langue. Il est bu d’une traite. Le goût de merde qui arrive ensuite peut être amélioré en mordant dans quelque chose de doux tel qu’un morceau de canne à sucre. Deux à quatre coquilles de kava (environ 15 cl chaque) sont habituellement suffisantes pour relaxer même le plus stressé des habitants de [l’île de] Tanna. (…) Le kava ressemble à une eau boueuse. La meilleure description du goût se définit comme un mélange de boue, d’épice, d’eau de vaisselle savonneuse et sale. Les lèvres et la langue ont ensuite tendance à s’engourdir. (…) Le rhizome du kava possède des propriétés anesthésiantes, myorelaxantes, stimulantes et euphorisantes ; un effet antidépresseur a été mis en évidence récemment. Le kava est aussi : diurétique, soporifique, spasmolytique et anti-convulsivant. Il est hypnotique à fortes doses. Bref, c’est un narcotique censé : augmenter la capacité d’idéation et la sensibilité visuelle et auditive, faciliter les relations humaines (à commencer par l’élocution), procurer une légère ivresse, potentialiser l’effet de l’alcool, etc.
Telles étaient nos informations.
Nous savions aussi que « le kava de Vanuatu possède environ 32 composants actifs » et que « c’est le plus fort au monde ».
Le kava fidjien, en comparaison, n’est rien, à ce qu’il paraît…
Notre kava était de Vanuatu, précisément, et nous en avions assez pour faire pousser des ailes de dragon à la moitié de la Chine.
Alors ? Que s’est-il passé ?… Eh bien...
A l’instant même, il me revient en mémoire que le kava fut l’unique drogue des Mélanésiens jusqu’au… XVIIIè siècle ??? Les bienheureux, les pauvres ne connaissaient ni l’alcool, ni le cannabis, et il faut croire qu’ils n’avaient pas de champignons non plus... Mais tout cela est à vérifier… Si le kava fut effectivement leur unique défonce pendant des siècles, alors je puis comprendre sa réputation diabolique…
Au bout de vingt minutes je pris l’extrême sensibilité de ma peau, de tout mon corps, pour le signe annonciateur des paradis artificiels… Je fus bientôt saisi d’une crise irrépressible d’éternuements secs, puis humides, qui me parurent d’excellent augure… Je commençais à me gratter dans tous les sens : c’était bon signe !… Lorsque des cloques de la taille de hannetons apparurent sur mes avant-bras, je songeai à déclencher le jeu prévu des lumières psychédéliques, mais je me ravisai parce qu’il faisait encore jour…
Ali ne finit pas son verre.
Il était en train de recracher le résidu boueux dans l’évier de la cuisine quand, avec Sami, nous nous décidâmes enfin à couper l’infâme élixir avec du jus d’ananas. Sa langue à lui s’engourdissait vaguement. Et il crut ressentir un léger feu poivré. Et il eut envie de pisser plus souvent qu’à son tour, peut-être... Mais c’était tout…
J’étais, des trois petits cochons, celui qui supportait le mieux le goût du kava ; je fus aussi celui qui en supporta le moins les effets, si bien que Djamila commença à s’inquiéter, et que, tout en me grattant frénétiquement le cul, je dus promettre une pause en plein milieu de la messe : je ne bus plus que des bières pendant une demi-heure.
Enfin, les démangeaisons s’estompèrent assez pour que je refasse mon retard sur Sami, qui commençait à comprendre qu’on n’était pas rendu sur la Lune.
Bref, bref, une bouteille de vin, environ quinze bières, un litre de jus d’ananas, la fin d’une fiole de rhum et cinquante grammes de « kavase » plus tard (quant à la molokheya, elle fut, je crois, mieux à mon goût qu’à celui des autres : l’étrange purée vert sombre, plus gluante que des épinards, ressemblait à s’y méprendre à la préparation de henné que je m’étais fait appliquer quelques jours auparavant ; j’en mangeai toute la semaine avec du riz et des nouilles ; je m’en pourlèche encore…), nos estomacs et nos foies crièrent : « Assez ! »
Depuis, l’urticaire s’est apaisé, mais deux furoncles symétriques ont poussé entre mes deux yeux. J’ai attendu un peu que mon foie cesse de gueuler pour écrire ce compte-rendu, mais, comme Sami que j’ai revu hier, j’attends toujours les effets psychotropes… Hélas !
Ce lundi 16 juillet 2007, Nantes,
Nordine (Povoite).
[1] Par sécurité, les noms des cobayes et de leurs complices ont été modifiés.