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Le perchoir


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5 réponses à ce sujet

#1 Inti

Inti

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Posté 26 avril 2007 - 01:34

Arriva un jour où il ne se souvint plus quand ni comment il était arrivé là. Ni de son âge. Ni de son nom. L’arbre l’appelait par un simple bruissement dans son feuillage. Perdu, l’usage de la parole, perdue, sa langue maternelle. Restait le verbe de la Terre, le langage des couleurs, des sons, des bruits et du toucher.

Un soir lui pris du désir de voir son corps.
Il n’y parvint pas. Rien que de l’écorce - rugueuse, craquelée, odorante, sans âge. Ou même, dans un effort intense de concentration, une image par intermittence : un corps nu, enfermé dans une chambre, vague foetus sur un matelas rongé, à même le sol, un mur de moisissures.

Mais les questions n’existaient plus.

Il savait son besoin de diriger, mais n’avait pas à le combattre. Son être n’était que sensations, souvenirs éternels. Un cœur torturé par la finesse de sa peau, mais libéré des serres de la conscience, sorti du labyrinthe cérébral. Il pouvait s’élever à sa guise au dessus du monde, et le contempler de ses sens aiguisés à l’extrême : il le sentait à travers chaque ramille, chaque feuille, jaune et desséchée ou tendre et verte, et la sève rapportait à son esprit somnolent images, odeurs et mouvements.


Il avait vu des villes émerger,
Gonfler, se tendre, bouillir, grouiller
Songer, s’éveiller
Pour exploser enfin dans une acre odeur de poudre
Dans un murmure vibrant d’uranium.

Il avait vu des fourmis
Dévorer des géants, des tours
S’écrouler sous des rafales d’avions,
Des mendiants étrangler des bourgeois
Hautains et indifférents devant leurs mains suppliantes,
Le monde terrorisé par quelques oppressés ayant perdu leur foi
Dans le martyre salvateur

Le soleil avait soulevé mille fois ses paupières brûlantes
Les avait emportées au gré de ses rayons
Se rafraîchir à l’onde de cascades
Les larmes de la Lune
Mourante
Avaient coulé sur ses joues
la Terre lui avait susurré
Ses secrets
D’un bruissement d’herbe
Rugi ses colères
Dans de titanesques feux d’artifices
Pleuré ses souffrances
Du bleu profond
De ses yeux
Immenses et
Noyés
De pétrole.


Il avait goûté le sang
Sur le poignard des assassins
Sur les machettes rwandaises
Sur la peau des nouveaux nés

Il avait vu des couples
S’enlacer
Au détour de ses racines
Senti les désirs
Vécu la terreur

Les lances du pouvoir
Lui avaient crevé les artères
Et le dégoût
Avait suinté de ses blessures.

Il s’était effacé derrière le bouclier d’écorce.

Il n’était plus que douleur, passion, bonheur, ennui, sagesse.

Arbre.


Profonde certitude dans l’attente. Seul comptait alors
l’intuition de l’idée
l’impression laissée
l’encre déposée par l’instant sur les tablettes de la mémoire, fraîches comme l’aube rosée des printemps malaisiens,
et pressentir le amok monstrueux, la mousson de pointes effilées, prête à s’abattre sur leurs poitrines.

Une dernière goulée de sève l’arracha au labyrinthe de ses méditations. L’éther était profond, la Terre dans le silence.

Un pudique manteau de brume le cachait à la migraine des hommes, et le présentait, ainsi qu’on présente un nouveau né à sa mère, aux brillantes pupilles des cieux. Elles semblaient l’accepter - un instant - dans leur scintillement maternel, puis détourner le regard, mélancoliques, pour disparaître aussitôt, happées par un tourbillon de jais. La sève engourdissait ses sens, ses paupières craquaient doucement, sous le poids noueux des cils, où naissaient les bourgeons printaniers.
Il laissa l’écorce se refermer. Bercé par la bise, il glissait mollement dans les bras du sommeil.

La première aiguille le sortit de sa torpeur matinale. Elle lui avait transpercé la cheville. Un grondement strident vrilla ses tympans feuillus. L’éclair d’une lame giratoire l’aveugla. Sa peau s’ouvrit sous les dents affamées et la sève s’épancha sur le sol. Mille aiguilles remontaient le long de ses veines, la douleur le submergeait telle une marée d’acide. Les images tourbillonnaient devant ses yeux encore embués, ses oreilles sifflaient, la terreur cerclait sa gorge.

Un hurlement de fibres
Arrachées
Résonna à l’infini
Des gratte-ciels
Son cœur brillait
D’une lumière apaisante



#2 Inti

Inti

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Posté 26 avril 2007 - 01:36

Un vieux texte qui n'a sa place ici que par promesse...
Déjà posté sur une ancienne version de TLP, sous une autre forme.

#3 ornithorynque

ornithorynque

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Posté 26 avril 2007 - 03:40

Arriva un jour où il ne se souvint plus quand ni comment il était arrivé là. Ni de son âge. Ni de son nom. L'arbre l'appelait par un simple bruissement dans son feuillage. Perdu, l'usage de la parole, perdue, sa langue maternelle. Restait le verbe de la Terre, le langage des couleurs, des sons, des bruits et du toucher.

Un soir lui pris du désir de voir son corps.
Il n'y parvint pas. Rien que de l'écorce - rugueuse, craquelée, odorante, sans âge. Ou même, dans un effort intense de concentration, une image par intermittence : un corps nu, enfermé dans une chambre, vague foetus sur un matelas rongé, à même le sol, un mur de moisissures.

Mais les questions n'existaient plus.

Il savait son besoin de diriger, mais n'avait pas à le combattre. Son être n'était que sensations, souvenirs éternels. Un cœur torturé par la finesse de sa peau, mais libéré des serres de la conscience, sorti du labyrinthe cérébral. Il pouvait s'élever à sa guise au dessus du monde, et le contempler de ses sens aiguisés à l'extrême : il le sentait à travers chaque ramille, chaque feuille, jaune et desséchée ou tendre et verte, et la sève rapportait à son esprit somnolent images, odeurs et mouvements.


Il avait vu des villes émerger,
Gonfler, se tendre, bouillir, grouiller
Songer, s'éveiller
Pour exploser enfin dans une acre odeur de poudre
Dans un murmure vibrant d'uranium.

Il avait vu des fourmis
Dévorer des géants, des tours
S'écrouler sous des rafales d'avions,
Des mendiants étrangler des bourgeois
Hautains et indifférents devant leurs mains suppliantes,
Le monde terrorisé par quelques oppressés ayant perdu leur foi
Dans le martyre salvateur

Le soleil avait soulevé mille fois ses paupières brûlantes
Les avait emportées au gré de ses rayons étincelants
Se rafraîchir à l'onde de cascades
Les larmes de la Lune
Mourante
Avaient coulé sur ses joues
la Terre lui avait susurré
Ses secrets
D'un bruissement d'herbe
Rugi ses colères
Dans de titanesques feux d'artifices
Pleuré ses souffrances
Du bleu profond de ses immenses yeux
Noyés de pétrole.


Il avait goûté le sang
Sur le poignard des assassins
Sur les machettes rwandaises
Sur la peau des nouveaux nés

Il avait vu des couples
S'enlacer
Au détour de ses racines
Senti les désirs
Vécu la terreur

Les lances du pouvoir
Lui avaient crevé les artères
Et le dégoût
Avait suinté de ses blessures.

Il s'était effacé derrière le bouclier d'écorce.

Il n'était plus que douleur, passion, bonheur, ennui, sagesse.

Arbre.


Profonde certitude dans l'attente. Seul comptait alors
l'intuition de l'idée
l'impression laissée
l'encre déposée par l'instant sur les tablettes de la mémoire, fraîches comme l'aube rosée des printemps malaisiens,
et pressentir le amok monstrueux, la mousson de pointes effilées, prête à s'abattre sur leurs poitrines dévoilées.

Une dernière goulée de sève l'arracha à ses méditations tortueuses. L'éther était profond, la Terre dans le silence.

Un pudique manteau de brume le cachait à la migraine des hommes, et le présentait, ainsi qu'on présente un nouveau né à sa mère, aux brillantes pupilles des cieux. Elles semblaient l'accepter - un instant - dans leur scintillement maternel, puis détourner le regard, mélancoliques, pour disparaître aussitôt, happées par un tourbillon de jais. La sève engourdissait ses sens, ses paupières craquaient doucement, sous le poids noueux des cils, où naissaient les bourgeons printaniers.
Il laissa l'écorce se refermer. Bercé par la bise, il glissait mollement dans les bras du sommeil.

La première aiguille le sortit de sa torpeur matinale. Elle lui avait transpercé la cheville. Un grondement strident vrilla ses tympans feuillus. L'éclair d'une lame giratoire l'aveugla. Sa peau s'ouvrit sous les dents affamées et la sève s'épancha sur le sol. Mille aiguilles remontaient le long de ses veines, la douleur le submergeait telle une marée d'acide. Les images tourbillonnaient devant ses yeux encore embués, ses oreilles sifflaient, la terreur cerclait sa gorge.

Un hurlement de fibres
Arrachées
Résonna à l'infini
Des gratte-ciels
Son cœur brillait
D'une lumière apaisante


Quel Chant!!! un texte à souligner.. comment dire... 'art-gaïaesque ?!? ïà



les qqs amendements que j'y apporterais ne seraient que purs caprices personnels, en rien garants des bons augures ;)

#4 Inti

Inti

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Posté 27 avril 2007 - 10:01

Quel Chant!!! un texte à souligner.. comment dire... 'art-gaïaesque ?!? ïà



les qqs amendements que j'y apporterais ne seraient que purs caprices personnels, en rien garants des bons augures ;)


"Art-gaïesque"... Pourquoi pas, lol. Mais on y met du pire et du meilleur, sous ce nom, ces temps-ci, dans les bras de la mère nature...

Merci de ta lecture assidue, ça me touche.

Amitiés,

Inti

#5 Inti

Inti

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Posté 27 avril 2007 - 10:04

une écriture comme j'aime où l'on sent de l'intime entre la plume et le poète mais où l'on sent aussi le recul de ce dernier qui nous pose la scène sans se montrer réellement, qui sait rester à fois dedans et en dehors...
il me faudra plusieurs lectures pour explorer, là je regarde :)

wldp
ps peut-être aimerais tu mon dernier texte B)


Ségalen voyageait rideaux fermés, pour garder la distance au monde alors qu'il l'écrivait...

Merci de ta lecture !

A te lire,

Inti

PS. Beaucoup...

#6 Blanche

Blanche

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Posté 28 avril 2007 - 09:30

Un hurlement de fibres
Arrachées
Résonna à l'infini
Des gratte-ciels
Son cœur brillait
D'une lumière apaisante



Il est beau ce texte Ini, peut-être mériterait-il d'être un brin plus travaillé, mais les sensations
y sont bien plantées..aucune lassitude à la lecture...
Une loi de la nature : s'adapter à son environnement, ou disparaître...

Il découle de cette loi un raisonnement logique : respecter son environnement, ou le trahir, le perdre, et se perdre soi-même...

L'homme a cru qu'il pouvait inverser le processus : adpater l'environnement à l'humain... L'homme, doué de la pensée, n'a jamais su s'en servir...

Ce que l'arbre comprend, l'homme n'est pas même capable de le ressentir...

Merci pour ce partage,
:rolleyes: Blanche