Une muse marchait au milieu d’un orage
Errant sur une route, au milieu de la nuit,
Indifférente aux cris de la nature en rage.
Elle croisa, sur la route imbibée de pluie,
Un vieux poète assis aux bornes d’un virage
Qui, sentant sa présence, vers son tendre visage
Leva ses yeux rêveurs et, doucement, lui dit :
« Vous ignorez, madame, que votre existence
Inspire les plus beaux vers aux poètes transis.
Vous êtes ignorante, dans votre innocence
Des clartés que vous jetez dans leurs esprits,
Et quand vers leur plume vous mènent vos errances
Le sentiment en leur cœur de votre présence
Apporte de la grâce à leurs tremblants écrits.
Vous êtes les esprits qui marchent dans nos cœurs.
Vous créez de vos doigts un monde féerique
Qui dissimule par un rideau de douceur
La dureté du monde et des ses mécaniques
Qui fuient et rejettent les dessins de couleur,
De peur de se perdre dans ces rêves magiques.
Vous êtes bien trop pure, et bien trop innocente
Pour capter dans le vent les parfums de ce monde.
Votre cœur marche seul, sans que votre nez sente
L’odeur de l’univers, énorme, laide, immonde ;
Votre aura vos protège de cette infâme ronde
Qui nous entraîne dans cette longue descente.
J’ai bu trop de ce vin qu’on appelle bonheur,
Cherchant dans la débauche une improbable transe.
Je me suis enivré de ces suaves liqueurs
Sans comprendre que ces vapeurs lourdes et rances,
Comme un opium s’insinuant dans mes douleurs,
Ne faisait que décupler toutes mes rancœurs,
Me nourrissant au sein affreux de la souffrance.
Mais maintenant la fin approche, laide et belle,
Le noir tunnel arrive à une extrémité.
Je n’attends plus rien, ma vie n’est pas éternelle,
Mais voyez-vous madame, de vous avoir parlé
D’avoir vu en vos mains un couple d’hirondelle,
D’avoir vu naître en vos yeux une aube nouvelle
M’aura permis au moins de m’en aller en paix ».
Et la muse s’en fut, sans regard en arrière
Pour le vieux troubadour et ses vielles idées,
Et reprenant son pas, seule, libre, légère
Elle respira l’odeur de terre mouillée,
Cette odeur électrique, fraîche et opiacée
Qui vient après l’orage et rajeunit la terre.

La muse et le poète.
Débuté par Piwhy, mai 27 2007 11:35
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