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2 réponses ŕ ce sujet

#1 Dedalus

Dedalus

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Posté 15 juin 2007 - 09:52

« Que croyez-vous ? Je ne vais pas en soirée avec mon mari. Est-ce que vous allez au restaurant avec votre dîner ? » fit la jeune femme en dévoilant ses dents blanches dans un vaste éclat de rire, contrastant avec la retenue glaciale de l’auditoire, essentiellement masculin, totalement décontenancé. Seule au milieu de ce groupe de garçons déguisés en hommes importants. Le grand crime de notre histoire : Darwin. La lutte pour la survie, sélection naturelle de l’économie. Le féminisme nous a livré non au pouvoir des hommes, mais à celui de l’argent. Quel truisme !
Tous affamés. Pauvres petits garçons qui se croient si puissants. Pour jouer à s’élever, ils doivent tout rabaisser. Ils aiment ce pouvoir. Ils l’ont, tout entier. Ils croient avoir besoin de tout cela pour m’avoir. Mais ils n’ont rien qu’ils n’achètent, et moi, je n’ai pas de prix. Virevoltant, me tourne et retourne, moquant leurs visages floués s’entourant étirés tout autour de moi. Encerclée. Comme une meute, comme des chiens, autours de leur proie. Je me joue d’eux, de leur servilité débile. Bouscule et ouvre le cercle, brise le charme, les désenvoûtants soudainement. Le sol est dur, mais c’est la terre.

Regardez-moi ces mecs là. Des chasseurs, la nuit. Des hommes, on appelle ça. Voilà bien le pire. Tous beaux gominés, tous encostumés, dans leurs uniformes grisâtres. Des ombres d’hommes. Je me sens si mal à l’aide avec ces types là. Jamais, je n’ai pu les supporter. Un frein à ma carrière, sans aucun doute. Je n’aime pas frayer avec eux. Leurs blagues salaces, leur façon de traiter les femmes, les bagnoles, le sport, les chiens, le boulot. Quelle belle fille, elle les a bien humiliés, mais il n’ont rien compris, que moi. Je devrai dire nous, moi aussi, j’étais avec eux, que je le veuille ou non. Je me dis que je ne suis pas comme eux, mais ce ne doit pas être tellement vrai. Je suis là, et bien là, non. Même costume gris. De ma gueule aussi, elle s’est moquée. En quoi aurai-je pu lui paraître si différent ? Aux yeux de son mépris. Je suis pire que les autres, médiocre au milieu du néant. Petit score, petite bite.
Le chiffre. Le miens est toujours médiocre, c’est sûr. Je suis un perdant, dans leurs yeux. Et je m’accroche. Ils ont déjà bien faillit me faire virer, dès le premier jour. Rempli mes objectif sur le fil. Mais sur le long terme. Avec ça, ils nous obligent à venir renforcer l’esprit du groupe dans ces séminaires à la con. Perdu dans une zone industrielle au fin fond d’une province sinistrée, dans un hôtel restaurant de seconde zone, repaire de routier et de représentants de commerce.
Boire, et baiser. Leur idéal en deux mots. La quantité seule importe, la qualité n’étant qu’un détail d’esthète. Toujours à fond, toujours affable. Le menu vrp : vin à volonté, et de quoi tenir au corps ; l’apéritif est offert. La bière coule à flot. La bière, ce n’est pas de l’alcool, et ils le prouvent. Encore un boulot que je ne pourrai pas garder. Ils m’ont déjà fait dire que mon manque d’entrain était une attitude contre productive et démotivante pour l’esprit de nouveauté de l’entreprise. Parce que c’est bandant de passer ses week-ends dans des sordides turnes au fond du cul du monde à écouter des coaches nous dire qu’on ne branle rien, qu’on a rien compris, qu’on est des loques ? Que si on veut réussir, il faut se sortir les doigts du cul. Ils l’ont dit ! Il faut que l’on se remotive, un effort, un de plus, encore un effort, nous pouvons y arriver. Arnaquer encore un peu plus de vieux sans retraite, de ménagères malheureuses et de chômeurs surendettés. Consommez, bonnes gens, les organismes de crédits veillent sur vous. Nous serons sauvés. Plus productifs ! Plus lucratifs ! Mais je n’en veux pas de votre travail ! Je me couche tard, je n’aime pas entuber les autres, j’ai besoin de peu, je veux vivre, seulement, je me fous de vos compétitions et de vos concours, de vos réussites, vos fiches de paille et vos besoins de pacotille. Vous ne voulez pas me garder ? Pas de souci, c’est moi qui m’arrache. Adieux, pitoyables forçats de la nationale.

Je me sens lourd et j’ai trop bu. La tête me tourne et les plans se mélangent. Cinéma kaléidoscopique. Je ne peux plus suivre ces tarés. Ils sont allés demander au serveur où trouver des femmes et de quoi boire. Encore ? Mais comment peuvent-ils ? Ils doivent sniffer, ce n’est pas possible. Demain, réunion dès le matin, je vais être épuisé, avec une gueule de bois pas possible, et eux ils seront beaux, forts et compétitifs. Pleins de leurs joggings et de leur soif de vaincre. Gladiateurs, mais petite semaine. Esclaves en voitures commerciales, cravate au rabais et costume en série, gel dans les cheveux obligatoire. Je suis à bout de force, et je n’ai pas encore terminé ma période d’essai. Le pire pour moi, c’est que je suis persuadé qu’ils aiment ça. Je craque, je ne veux pas devenir comme eux, j’attends autre chose, n’importe quoi, mais quelque chose de plus grand, de ma vie. Ils se prennent pour les maîtres du monde, tout ce cinéma leur parle. Leur ambition, leur tentation de cirque. Ils se croient plus grands à mesure de la cylindrée de leur voiture de fonction, et des montants autorisés pour l’alcool qu’ils peuvent ingurgiter, seuls le soir dans leur hôtel, ou bien avec une fille qui accepte les tickets restaurants. Des cœurs de loups et des âmes de lapins.
Où qu’ils aillent, je n’irai pas, c’est décidé. Rien à foutre de ma note, ils peuvent ne pas me reprendre, je m’en fiche. Mieux, j’espère surtout qu’ils ne vont pas me proposer un contrat que je me sentirai obligé d’accepter. Pression sociale. Mettront dans leur rapport que je n’ai pas l’esprit d’équipe, l’instinct de corps. Les psychologues me diront narcissique et aigri. Le fruit pourri qui risque de ruiner toute une entreprise.
« C’est un métier où l’on peut rapidement gagner correctement, très correctement même, si vous voyez ce que je veux dire, sa vie. Regardez-moi ! J’en suis le vivant exemple. »
J’aurai du me méfier, je connaissais ce discours. Non, je ne vois pas ce que tu veux dire. Tout le monde n’a pas la même appréciation de ses besoins. Ah moi ! Je récalcitre, je renâcle. Depuis la petite école, et le conseiller d’orientation au collège. Puis au lycée. Et la faculté. Et les bureaux de l’agence pour l’emploi. Personne ne s’occupe jamais de vos maux. On en guérit un d’un côté, pendant que d’un autre il en prospère un nouveau, sans cesse. Et si je ne veux pas ? Si tout cela ne m’intéresse pas ?
Ils boivent pour boire des femmes et oublier ce qu’ils font. Gagner de l’argent. Pour payer le mauvais vin auquel ils abandonnent leur longue fuite. Fugue.

Dans le hall, j’attends sourdement les autres, je ne peux pas me défiler comme cela, aller me coucher sans les prévenir. Il y a une grande glace, dans un encadrement acajou, et je me regarde, j’ai envie de me tuer. Empesé, dans ce costume bon marché, les tempes battant, le museau rouge, le ventre rond et plein, attendant minable dans ce boui-boui de sous cadres dynamiques, plein de cocaïne, de mauvais pinard et de libido malsaine. Dans ma gorge, un violent torrent de bile et d’alcool pas encore digéré remonte violement en me calcinant l’œsophage. Ma bouche se remplit d’un coup, mais je me retiens de cracher, et ravale tout, avec l’amertume et la honte du courage. Je les entends rigoler grassement, à quelques mètres de là, échangeant sans doute des grivoiseries d’abattoir avec le crétin vicelard de la réception. Je me tire. Je ne peux pas attendre. Dans ma chambre, au lit tout de suite. Demain. Non, pas attendre, je me casse, vais faire ma valise et je rentre. A deux ou trois kilomètres, il y a une station service. Même de nuit, je trouverai bien un routier pour me ramener. Je présente bien. Si je prends une douche là tout de suite, avant, j’aurai encore plus de chance. Encore heureux que j’ai une valise légère. L’ordinateur, je leur laisse dans la chambre, avec le téléphone et les clefs de la voiture. Oubliez-moi, nous n’avons rien à voir ensemble. C’était un malentendu. Ne me donnez pas le job, je n’en veux pas. Ne me renvoyez pas, ne prenez pas cette peine, je pars de moi-même. Merci. Bon vent.
« Viens avec nous. Un routier nous a dis qu’il y avait des putes à deux pas. On va prendre ma voiture, on y sera en deux deux. En bande, on aura sûrement un prix. »
Je ne l’avais pas vu arriver, celui-là. J’en ai rien à foutre. Cause toujours, ducon. Sans rien lui dire, je me tourne et me dirige vivement vers la porte des escaliers qui mènent aux chambres.
« Tu veux pas tringler des gonzesses ?Me doutais bien que t’étais qu’une pédale, lopette. Rien qu’à voir ton chiffre… »
La porte battante claque derrière moi sur ces mots qui me soulagent. Il n’y a pas de malheur à se sentir proscrit du troupeau. Je vais faire ma valise, et je me barre d’ici, en taxi, même si mon mois doit y passer.

C’est la gentille jeune fille de l’agence qui va faire une drôle de tête. Je m’imagine déjà l’entendre, ce qu’elle va dire.
« Cette fois-ci, je ne peux malheureusement plus rien pour vous. Trois fois en un seul mois, vous vous rendez compte ? Vous n’y avez pas mis beaucoup du votre, admettez-le. Désolé, mais je dois vous rayer, c’est la règle. »
Pas grave, lui explique mon visage. Elle hésite, puis ajoute, d’un air entendu :
« Vous avez quand même un sacré bol. Bonne chance. »

Le conducteur était ivre, plus qu’ivre. Comme les trois autres dans la voiture. Ils n’avaient pas roulé un kilomètre entier lorsque le véhicule, blanc comme ivoire dans le noir de la nuit, devint incontrôlable, s’enfonçant se broyer dans un arbre lové au creux d’un virage. Longue trace grise qui s’enflamme. Le chauffeur avait cru apercevoir leur collègue, l’enfoiré, dans son costume gris tirant sa valise rouge au bord de la route. Freinant brusquement, il bloqua les roues et fila droit devant vers le tronc. Sûr que c’était lui, croyant rêver en apercevant le bolide s’encastrer dans le vénérable tronc. Le moteur leur déchira le ventre en les écrasant dans l’habitacle. Broyés, ils virent le feu commencer et se propager, alors qu’ils se vidaient, coincés entre le moteur et la carrosserie déformée par le choc. L’explosion du réservoir ne leur laissa aucune chance. Tous périrent des flammes sur le coup. L’arbre en revanche survécut. Le printemps suivant, il était superbe.

#2 Tempsdemot

Tempsdemot

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Posté 16 juin 2007 - 01:28

« Que croyez-vous ? Je ne vais pas en soirée avec mon mari. Est-ce que vous allez au restaurant avec votre dîner ? » fit la jeune femme en dévoilant ses dents blanches dans un vaste éclat de rire, contrastant avec la retenue glaciale de l'auditoire, essentiellement masculin, totalement décontenancé. Seule au milieu de ce groupe de garçons déguisés en hommes importants. Le grand crime de notre histoire : Darwin. La lutte pour la survie, sélection naturelle de l'économie. Le féminisme nous a livré non au pouvoir des hommes, mais à celui de l'argent. Quel truisme !
Tous affamés. Pauvres petits garçons qui se croient si puissants. Pour jouer à s'élever, ils doivent tout rabaisser. Ils aiment ce pouvoir. Ils l'ont, tout entier. Ils croient avoir besoin de tout cela pour m'avoir. Mais ils n'ont rien qu'ils n'achètent, et moi, je n'ai pas de prix. Virevoltant, me tourne et retourne, moquant leurs visages floués s'entourant étirés tout autour de moi. Encerclée. Comme une meute, comme des chiens, autours de leur proie. Je me joue d'eux, de leur servilité débile. Bouscule et ouvre le cercle, brise le charme, les désenvoûtants soudainement. Le sol est dur, mais c'est la terre.

Regardez-moi ces mecs là. Des chasseurs, la nuit. Des hommes, on appelle ça. Voilà bien le pire. Tous beaux gominés, tous encostumés, dans leurs uniformes grisâtres. Des ombres d'hommes. Je me sens si mal à l'aide avec ces types là. Jamais, je n'ai pu les supporter. Un frein à ma carrière, sans aucun doute. Je n'aime pas frayer avec eux. Leurs blagues salaces, leur façon de traiter les femmes, les bagnoles, le sport, les chiens, le boulot. Quelle belle fille, elle les a bien humiliés, mais il n'ont rien compris, que moi. Je devrai dire nous, moi aussi, j'étais avec eux, que je le veuille ou non. Je me dis que je ne suis pas comme eux, mais ce ne doit pas être tellement vrai. Je suis là, et bien là, non. Même costume gris. De ma gueule aussi, elle s'est moquée. En quoi aurai-je pu lui paraître si différent ? Aux yeux de son mépris. Je suis pire que les autres, médiocre au milieu du néant. Petit score, petite bite.
Le chiffre. Le miens est toujours médiocre, c'est sûr. Je suis un perdant, dans leurs yeux. Et je m'accroche. Ils ont déjà bien faillit me faire virer, dès le premier jour. Rempli mes objectif sur le fil. Mais sur le long terme. Avec ça, ils nous obligent à venir renforcer l'esprit du groupe dans ces séminaires à la con. Perdu dans une zone industrielle au fin fond d'une province sinistrée, dans un hôtel restaurant de seconde zone, repaire de routier et de représentants de commerce.
Boire, et baiser. Leur idéal en deux mots. La quantité seule importe, la qualité n'étant qu'un détail d'esthète. Toujours à fond, toujours affable. Le menu vrp : vin à volonté, et de quoi tenir au corps ; l'apéritif est offert. La bière coule à flot. La bière, ce n'est pas de l'alcool, et ils le prouvent. Encore un boulot que je ne pourrai pas garder. Ils m'ont déjà fait dire que mon manque d'entrain était une attitude contre productive et démotivante pour l'esprit de nouveauté de l'entreprise. Parce que c'est bandant de passer ses week-ends dans des sordides turnes au fond du cul du monde à écouter des coaches nous dire qu'on ne branle rien, qu'on a rien compris, qu'on est des loques ? Que si on veut réussir, il faut se sortir les doigts du cul. Ils l'ont dit ! Il faut que l'on se remotive, un effort, un de plus, encore un effort, nous pouvons y arriver. Arnaquer encore un peu plus de vieux sans retraite, de ménagères malheureuses et de chômeurs surendettés. Consommez, bonnes gens, les organismes de crédits veillent sur vous. Nous serons sauvés. Plus productifs ! Plus lucratifs ! Mais je n'en veux pas de votre travail ! Je me couche tard, je n'aime pas entuber les autres, j'ai besoin de peu, je veux vivre, seulement, je me fous de vos compétitions et de vos concours, de vos réussites, vos fiches de paille et vos besoins de pacotille. Vous ne voulez pas me garder ? Pas de souci, c'est moi qui m'arrache. Adieux, pitoyables forçats de la nationale.

Je me sens lourd et j'ai trop bu. La tête me tourne et les plans se mélangent. Cinéma kaléidoscopique. Je ne peux plus suivre ces tarés. Ils sont allés demander au serveur où trouver des femmes et de quoi boire. Encore ? Mais comment peuvent-ils ? Ils doivent sniffer, ce n'est pas possible. Demain, réunion dès le matin, je vais être épuisé, avec une gueule de bois pas possible, et eux ils seront beaux, forts et compétitifs. Pleins de leurs joggings et de leur soif de vaincre. Gladiateurs, mais petite semaine. Esclaves en voitures commerciales, cravate au rabais et costume en série, gel dans les cheveux obligatoire. Je suis à bout de force, et je n'ai pas encore terminé ma période d'essai. Le pire pour moi, c'est que je suis persuadé qu'ils aiment ça. Je craque, je ne veux pas devenir comme eux, j'attends autre chose, n'importe quoi, mais quelque chose de plus grand, de ma vie. Ils se prennent pour les maîtres du monde, tout ce cinéma leur parle. Leur ambition, leur tentation de cirque. Ils se croient plus grands à mesure de la cylindrée de leur voiture de fonction, et des montants autorisés pour l'alcool qu'ils peuvent ingurgiter, seuls le soir dans leur hôtel, ou bien avec une fille qui accepte les tickets restaurants. Des cœurs de loups et des âmes de lapins.
Où qu'ils aillent, je n'irai pas, c'est décidé. Rien à foutre de ma note, ils peuvent ne pas me reprendre, je m'en fiche. Mieux, j'espère surtout qu'ils ne vont pas me proposer un contrat que je me sentirai obligé d'accepter. Pression sociale. Mettront dans leur rapport que je n'ai pas l'esprit d'équipe, l'instinct de corps. Les psychologues me diront narcissique et aigri. Le fruit pourri qui risque de ruiner toute une entreprise.
« C'est un métier où l'on peut rapidement gagner correctement, très correctement même, si vous voyez ce que je veux dire, sa vie. Regardez-moi ! J'en suis le vivant exemple. »
J'aurai du me méfier, je connaissais ce discours. Non, je ne vois pas ce que tu veux dire. Tout le monde n'a pas la même appréciation de ses besoins. Ah moi ! Je récalcitre, je renâcle. Depuis la petite école, et le conseiller d'orientation au collège. Puis au lycée. Et la faculté. Et les bureaux de l'agence pour l'emploi. Personne ne s'occupe jamais de vos maux. On en guérit un d'un côté, pendant que d'un autre il en prospère un nouveau, sans cesse. Et si je ne veux pas ? Si tout cela ne m'intéresse pas ?
Ils boivent pour boire des femmes et oublier ce qu'ils font. Gagner de l'argent. Pour payer le mauvais vin auquel ils abandonnent leur longue fuite. Fugue.

Dans le hall, j'attends sourdement les autres, je ne peux pas me défiler comme cela, aller me coucher sans les prévenir. Il y a une grande glace, dans un encadrement acajou, et je me regarde, j'ai envie de me tuer. Empesé, dans ce costume bon marché, les tempes battant, le museau rouge, le ventre rond et plein, attendant minable dans ce boui-boui de sous cadres dynamiques, plein de cocaïne, de mauvais pinard et de libido malsaine. Dans ma gorge, un violent torrent de bile et d'alcool pas encore digéré remonte violement en me calcinant l'œsophage. Ma bouche se remplit d'un coup, mais je me retiens de cracher, et ravale tout, avec l'amertume et la honte du courage. Je les entends rigoler grassement, à quelques mètres de là, échangeant sans doute des grivoiseries d'abattoir avec le crétin vicelard de la réception. Je me tire. Je ne peux pas attendre. Dans ma chambre, au lit tout de suite. Demain. Non, pas attendre, je me casse, vais faire ma valise et je rentre. A deux ou trois kilomètres, il y a une station service. Même de nuit, je trouverai bien un routier pour me ramener. Je présente bien. Si je prends une douche là tout de suite, avant, j'aurai encore plus de chance. Encore heureux que j'ai une valise légère. L'ordinateur, je leur laisse dans la chambre, avec le téléphone et les clefs de la voiture. Oubliez-moi, nous n'avons rien à voir ensemble. C'était un malentendu. Ne me donnez pas le job, je n'en veux pas. Ne me renvoyez pas, ne prenez pas cette peine, je pars de moi-même. Merci. Bon vent.
« Viens avec nous. Un routier nous a dis qu'il y avait des putes à deux pas. On va prendre ma voiture, on y sera en deux deux. En bande, on aura sûrement un prix. »
Je ne l'avais pas vu arriver, celui-là. J'en ai rien à foutre. Cause toujours, ducon. Sans rien lui dire, je me tourne et me dirige vivement vers la porte des escaliers qui mènent aux chambres.
« Tu veux pas tringler des gonzesses ?Me doutais bien que t'étais qu'une pédale, lopette. Rien qu'à voir ton chiffre… »
La porte battante claque derrière moi sur ces mots qui me soulagent. Il n'y a pas de malheur à se sentir proscrit du troupeau. Je vais faire ma valise, et je me barre d'ici, en taxi, même si mon mois doit y passer.

C'est la gentille jeune fille de l'agence qui va faire une drôle de tête. Je m'imagine déjà l'entendre, ce qu'elle va dire.
« Cette fois-ci, je ne peux malheureusement plus rien pour vous. Trois fois en un seul mois, vous vous rendez compte ? Vous n'y avez pas mis beaucoup du votre, admettez-le. Désolé, mais je dois vous rayer, c'est la règle. »
Pas grave, lui explique mon visage. Elle hésite, puis ajoute, d'un air entendu :
« Vous avez quand même un sacré bol. Bonne chance. »

Le conducteur était ivre, plus qu'ivre. Comme les trois autres dans la voiture. Ils n'avaient pas roulé un kilomètre entier lorsque le véhicule, blanc comme ivoire dans le noir de la nuit, devint incontrôlable, s'enfonçant se broyer dans un arbre lové au creux d'un virage. Longue trace grise qui s'enflamme. Le chauffeur avait cru apercevoir leur collègue, l'enfoiré, dans son costume gris tirant sa valise rouge au bord de la route. Freinant brusquement, il bloqua les roues et fila droit devant vers le tronc. Sûr que c'était lui, croyant rêver en apercevant le bolide s'encastrer dans le vénérable tronc. Le moteur leur déchira le ventre en les écrasant dans l'habitacle. Broyés, ils virent le feu commencer et se propager, alors qu'ils se vidaient, coincés entre le moteur et la carrosserie déformée par le choc. L'explosion du réservoir ne leur laissa aucune chance. Tous périrent des flammes sur le coup. L'arbre en revanche survécut. Le printemps suivant, il était superbe.


Pour une nouvelle... très bonne. Faut continuer.

#3 Dedalus

Dedalus

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Posté 25 juin 2007 - 01:47

Ben oui.