(Londres - Niamey)
Un peu plus de prudence... Un peu moins de fanchise...
Vos chemins ne sont pas, ne vont pas sans péril.
Vous marchez sous un ciel de couleur indécise
Où les seuls imprudents se découvrent d'un fil.
Un peu plus de prudence... Un peu moins de franchise :
Vous avez par endroits neige, pluie et grésil.
Vos hivers trop longtemps n'ont agi qu'Ã leur guise
Pour déjà , résignés, se résoudre à l'exil.
Attendez au moins mai... que l'Amour favorise
(Sous un ciel de Niger et non plus de Tamise)
Des chemins tout exempts des caprices d'avril :
Vous aurez chaque instant les faveurs de la brise...
Et d'une onde ô combien douce aux feux qu'elle attise,
Nous aurons - vous et moi - soif de suivre le fil.
Et du commentaire de Lé Clone :
(De Lé Clone)
Déjà dire que le sonnet est fluide, réussi, doux, reposant, chaleureux.
Pour poursuivre un peu nos quelques échanges, plusieurs points :
D'une manière générale, et plus particulièrement en poésie, je n'aime pas trop l'usage des points de suspension, dès lors qu'ils indiquent à priori - là -, matière à réfléchir, sous-entendu, direction, manière de dire " bon, là , va falloir imaginer, réfléchir ou achever la phrase ". Cela me laisse souvent l'impression d'un non-dit pesant, un peu forcé et souvent inutile. C'est très personnel comme ressenti, je n'en fais pas une règle absolue.
Pour ce qui est de la sonorité en I, voyelle que je trouve statique, dure à l'oreille, à la bouche et à l'oeil, elle éveille chez moi " une première couche ", quelque chose d'assez neutre mais tendu, ayant besoin de sonorités arrondies pour donner de la couleur et de la consistance. Pour exemple : " et d'une onde au combien douce aux feux qu'elle at /tise, Nous aurons - vous et moi - soif de suivre le / fil. " (relais du chaud au froid qui était : avril, Tamise, grésil, pluie, exil : la bouche arrondie s'en va réchauffer la fin de phrase).
Dans le même ordre de ressenti, les sons en R ou en L (Amour, Niger, hiver, ciel) donnent, d'une manière générale, beaucoup de respiration, de l'altitude ou de la profondeur. Probablement dû aux mots naturels qu'ils suggèrent, même assez inconsciemment (terre, pierre, air, éther, épeire, ouvert, ciel, miel, y compris gel... etc.), mais aussi probablement dû à l'intonation accentuée grave, la bouche ouverte pour la goulée d'air ou de miel.
Par ailleurs, je trouve très important de bien prononcer le son AI (accentuation grave) ce qui donne toute sa chaleur au mot, ici mois de mai. Ni-a-mey, d'une manière phonétique et sonore, me paraît contenir et résumer cet envol du froid au chaud.
J'aime
Alors j'ai été très frappée par la sensibilité du commentaire. Rare non ?
C'est ce qui m'a touchée le plus.
Pour le rejet des points de suspension je n'ai pas trop cherché à les ou à me défendre :
Je ne défendrai les points de suspension que très mal c-à -d. en me plaignant...
pas de vous ! ... ... ... ... ... mais du nombre extrêmement limité de signes de ponctuation offerts par l'écriture occidentale au poète, autrement dit : la pauvreté quantitative des moyens de suggérer à la vue, le vrai relief rythmique d'une interprétation avant tout destinée à la voix haute et à la respiration.
Le texte triplement ponctué ne se veut pas lourd de sous-entendus profonds, comme vous le soupçonnez ! Il essaie seulement de ne pas laisser retomber la voix, de ne pas fermer la phrase, de laisser un peu de souffle en suspens.
(de Lé Clone)
Je comprends assez bien la tentative de suggérer à la vue un relief rythmique de la voix ou de la respiration par l'emploi des points de suspension. Personnellement, je ressens les points de suspension comme un essoufflement dirigé, une suspension artificielle où manqueraient le dynamisme naturel du souffle et le je des poumons ; où, d'une manière morne et un peu forcée - non-restituante -, s'évanouiraient et la voix et la vue et le toucher. Une lassitude. Les points de suspension ne me paraissent pas reliefs-relieurs de quelque chose de vibrant et sensitif. Pas même en suspens. Je trouve au contraire que cela ferme le jeu naturel des organes. A l'électrocardiogramme ce serait presque plat, manquant de vibrations colorées.
Ah c'est bien Lé Clone cette sensibilité ! Plus répandue, la poésie en serait toute transformée.
Tu as engendré plus d'une conversation chez les amis d'ici, - en moi toute seule déjà (il n'y a pas d'âge pour gâtouiller), parce que le rythme est un mot sans fond, un de ces noms extraordinaires pareils au miroir magique d'Internet : renvois infinis d'échos sans figure, de reflets sans voix…, mais qui bien mixés prennent visage humain - et puis carrément corps.
En moi – philo d'abord ! - rythme = définition de Platon : l'ordre du mouvement de toute chose, mais il le spécialise déjà dans l'ordre manifesté par le corps en mouvement dans la danse. De Platon à Aristote le rythme devient la forme ou la figure dans la relation au temps, il prend enfin son sens musical et poétique.
L'étymologie acceptée couramment est celle de rheo je coule, de rhein (couler) lié au panta rhei, « tout s'écoule »… Mais elle est remise en question assez souvent ce qui ne me déplaît pas tu vas voir
Louis et Hélène (le premier tu sais qui c'est, la deuxième est musicologue) se sont demandés d'où venait ta sensation, celle que tu dépeins concernant les points de suspension. Louis nous a développé ce que je t'ai suggéré, la réflexion sur la faible quantité, le peu de variété de signes de ponctuation que propose l'écriture, pour donner idée du relief sonore du texte écrit :
Le texte écrit parle d'abord sans remuer les lèvres, du bout des yeux si l'on peut dire. Il remarque que ton souci a de fameux antécédents ! Comment donner vie rythmique à l'enchaînement monotone des signes sur la feuille, le papyrus, la tablette gravée ? L'appréhension visuelle silencieuse, personnelle – littéraire – domine de très loin chez certains, auteurs et lecteurs, la sensation sonore physique, la saisie collective.
Ici la question est brûlante, faire passer de l'œil à l'oreille de façon tangible, de la lecture muette à la profération, est le souci constant du travail avec les comédiens – il pourrait presque le résumer. Il s'agit de tenir le spectateur auditeur en… suspens à tes lèvres !
Ton allergie aux trois points est une maladie déjà répertoriée, déjà en poésie française, dans un référencement plutôt honorifique ! Valéry pendant 6 ou 7 ans de sa vie en a retiré un de ses publications. Les premières éditions des Fragments du Narcisse par exemple sont truffées de ces amputations visuelles, les classiques trois points sont réduits à seulement deux..
Mallarmé dans ses derniers sonnets supprime carrément toute ponctuation : Avec la ponctuation la phrase ne va pas toute seule commentait-il. Sa toute dernière œuvre Un Coup de dés montre jusqu'où – espacements, pagination, choix des caractères – a pu aller chez un poète le souci de suggérer aux yeux de l'esprit la toute-puissance comme les infinies nuances de la voix sonore.
Paolo majora canamus !
La Bible originelle espace étrangement les phrases. Les blancs plus ou moins irréguliers figurent les respirations, les périodes de scansion prosodique. Meschonnic ne cesse d'y faire sérieusement allusion – c'est son obsession ! Critique du rythme, Manifeste pour un parti du rythme, en veux-tu en voilÃ
Personnellement (sans vouloir entrer en polémique j'ai horreur de ça) je trouve que ses théories sont à côté, son besoin d'explication de commentaires touche à la justification : les textes poétiques de lui qui les illustrent, ont-ils besoin de ces béquilles exégétiques ?! Pourquoi tant expliquer ? Mais en université le programme intéresse, séduit et convainc au point que l'œuvre… enfin bref ! (points d'une suspension due à la fatigue d'être plongée là -dedans)
L'idée de Meschonnic procède d'un faux départ : l'idée que le mètre classique (type alexandrin) serait monotone, carré, martèlement régulier ! L'idée ne lui vient pas que sous le 12-12 visuel si évidemment creux et débile en surface, le broken out existe, concentré de toutes les figures rythmiques possibles.
voici une longue citation qu'il vaut peut-être mieux zapper, bien sûr elle concerne en plein le sujet mais ralentit l'action :
(de Louis Latourre Vers un théâtre d'art)]
Prose ou vers il est vrai - nous ne pouvons parler que nous ne soutenions le son de nos paroles de timbres, de hauteurs, d'intensités, de rythmes, dans une dépendance plus ou moins heureuse des sentiments qui gouvernent le choix de nos mots et l'effet que nous cherchons à produire en parlant. Mais s'agissant du vers - du vers irréductible, composition des plus expressives ou des plus rares dont soit capable le langage écrit - nous devons espérer du travail de l'acteur une composition d'équivalente qualité dans son rendu sonore, une séquence d'inflexions choisies qui transpose à l'oreille, dans l'espace de la scène, cette recherche d'un dire absolu et comme intransitif qui a déjà conduit le travail du poète.
J'ai donné ailleurs le détail des exercices pratiqués lors des répétitions de nos spectacles : repérage des inflexions conventionnelles, recherche d'accents par les variations rythmiques, mesure de la valeur expressive des intervalles de hauteur, renouvellement du rapport entre les intentions et les inflexions, recherche de la résonance (2).
Le texte est travaillé d'abord recto tono - l'énergie individuelle, la sensibilité de l'oreille, la faculté d'enraciner son écoute et son corps dans le sol déterminant la hauteur et l'intensité de l'émission vocale (dont l'acteur soutiendra le plus souvent son rôle). Le relief du discours tient entier à cet axe, à cette note fondamentale d'où les écarts, les éloignements, les rapprochements plus ou moins progressifs et sensibles de la voix seront perçus comme arsis et thésis, facteurs de tension ou de détente, et nuances dramatiques d'intention ou de sentiment du personnage interprété. Mais - notons-le d'emblée - la diction linéaire, le refus de l'écart ne sont pas moins sentis comme des écarts eux-mêmes, d'une radicalité propre à nous jeter dans des terres encore mal défrichées de la psychologie. Nous leur attribuons quelque raison cachée - ou qu'on ne sait nommer ou que l'on voudrait taire, ou dont on aimerait détourner l'aveu clair… Du côté du l'acteur, certaine retenue, certaine réticence, certaine peur de blesser qui écoute peuvent porter la parole sur une seule hauteur, dans un dépouillement qui semble alors pudique ; ou bien tout au contraire une franche, une puissante détermination, le soin seul de se bien faire entendre, rendre son dénuement provocant. Les ressources de cette ambiguïté interprétative sont précieuses à l'exigence d'un théâtre d'art, inquiet ici encore d'explorations nouvelles de nos moyens d'expression.
La recherche rythmique s'appuie sur cet axe vocal dépouillé, qui par ailleurs l'appelle et concentre l'attention de l'acteur sur la diversité de ses propres valeurs interprétatives. Il importe déjà d'éviter la scansion pléonastique, de fuir la transposition littérale des schémas métriques trop évidemment inscrits dans le vers. Ainsi par exemple :
L'univers a-t-il vu changer ses destinées
(Racine, Bérénice)
communément scandé :
L'univers | a-t-il vu | changer | ses destinées
(coupe trois-trois-deux-quatre avec accents sur 3, 6, 8, et 12), pourra devenir un premier temps :
L'uni | vers a | -t-il vu | changer | ses des | tinées
le décalage simple d'un rythme ïambique brève-longue étayant une recherche ultérieure plus subtile.
Le rythme est par ailleurs chose trop personnelle, trop riches de valeurs irrationnelles sont le débit de la parole humaine et son élévation au degré poétique, pour calquer les rapports de durée fixés par quelque notation que ce soit… Dans l'exemple cité, le rapport brève-longue n'est pas de 1 à 2 ; mais les appuis vocaux s'affirment plus nombreux, la prononciation plus consciente (moins de syllabes sont mangées), le vers plus allongé, et l'exaspération (ici de Titus) plus étrangement soutenue. L'ïambe est l'équivalent d'un battement de cœur –– aussi indispensable qu'imperceptible.
Les inflexions de voix sont enfin tolérées, travaillées, les unes peu contrôlables de quarts et tiers de tons, les autres demi-tons d'une grande force expressive. De plus grands intervalles (appuyés d'intentions, de sentiments divers qu'ils inspirent souvent) vont sculpter le discours - et surtout les contrastes, les ruptures, les silences et l'essentielle respiration, lui donner vie entière. Un acteur doué des sens poétique, capable de ce « basculement de la perception » que j'évoquais plus haut, et suffisamment fait à tous ces exercices, peut bien improviser des pans de tout son rôle : rien ne touche davantage que les inflexions (ou les gestes) qui semblent échapper à toute préparation comme à l'acteur lui-même… C'est une erreur commune, d'ailleurs, que de séparer trop nettement le calcul de la spontanéité : l'improvisation règne sur toute chose telle une nécessité - y compris sur les relectures critiques, les reprises et les corrections. L'œuvre la plus écrite, volontaire, rigoureuse, creusée des mois durant, n'en est que la conservation des plus heureux moments.
Tu vois nous sommes loin des . ; , … ? ! et pauvres moyens de l'écriture, même de l'écriture musicale avec ses soixante-quatrièmes de soupir. C'est pourquoi ton allergie aux points de suspension me paraît quand même drôlement sélective ! Tous les signes de l'écriture sont piqûres de moustiques - alphabet inclus – comparés aux ravages de la puissance-impuissance inhérente à toute expression humaine – larmes ; sanglots ; cris ; joie plaisir rut faim peur - poésie rudimentaire essentielle, que nous serions en peine de traduire sur papier.
(De Lé Clone)
Vibrations que l'on retrouve aisément, par contre, dans le heurtement naturel - ou provoqué - des sonorités. C'est là que je vois le soufle en suspens. Naturel, car instinctif. On ne recherche pas pourquoi là ça relie, là ça heurte, là ça accompagne, là ça module, là ça suspend : cela vient du fond du corps. En fonction du ressenti spontané. Provoqué, lorsqu'il est devient nécessaire de suggérer à l'autre un relief urgent qu'il n'entendrait peut-être pas naturellement. Il m'arrive parfois d'utiliser le point isolé [ . ] un espace avant, un espace après (plutôt que les points de suspension), notamment pour suggérer ce relief urgent nécessaire. Cette arythmie de résistance, contenant et la fracture et la liaison ; et la phrase butoir (on trébuche) et la phrase ouverte.
Exemple complet pour l'illustration, où j'ai cherché à nous rester en vie :
...
nous avons su . sinistre le feu plombant le trajet de la nuque . nous avons su l'eau n'éclabousser les hanches . étouffer le sillon de la bouche . rouillée la main appuyer sur la poignée du gaz . le charnier dépouiller le corps . l'ossuaire vomir l'os . chairs .
combien de dimensions encore pour être un homme . parallélépipèdes gravés au cœur du nu . combien d'incendies .
de p(l)eurésies où pouvoir récupérer poumons . du fond des chromosomes ils parlaient de solution . de mathématique . ultimes . ils parlaient d'hommes . de races . du peigne de dieu […]
récépissé de la douleur . carnassières les lèvres souillées de la hideur toujours me font peur . de la saleté de la douche toujours j'ai honte . les mannequins de l'effroyable couloir toujours me font froid . aux environs du corps . cœur . corps . cœur . corps .
alevins nous savions . les maquereaux de la mort . les voyages-collisions . à nouveau le fleuve s'effrite . d'autres mannequins . chauves . toujours à brandir le peigne de dieu […] . d'autres mantes . d'autres murs . brouillards . vous haranguez qui cette fois-ci . dans nos alvéoles malades vous insufflez quel poison . à présent . il était une fois . alevins nous savions . les proxos de la terreur .
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- Merci beaucoup, Isabelle. Aïe aïe aïe, disais-je, n'est-ce pas !
Oui Chantal
Je n'ai rien à répondre à l'excellence phonétique, phonique. Tu donnes tous les appuis qu'il faut, tensions, détentes…
nous avons su l'eau n'éclabousser les hanches . étouffer le sillon de la bouche . Tu sais même éliminer tout « r » prononcé d'une succession de 20 syllabes, tu as l'art du relief que veux-tu que je dise ?
ton poème mérite une meilleure réponse - mieux qu'un développement trop à côté
Mais le peu que je dis est vrai, sur ta saisie poétique ; l'appui phonétique est au plus près de l'expression radicale
Je te lis à voix haute.
[font="Arial"]J'aimerais tant entendre Elyse enregistrer ce texte – mais elle choisit çà et là , et cette spontanéité la rend excellente je ne sais si lui demander sa voix lui permettrait d'improviser avec sa facilité habituelle