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21 réponses à ce sujet

#1 zqfd

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Posté 02 juillet 2007 - 01:26

(Vanité)

43


-----Nous ne nous tenons jamais au temps présent. Nous anticipons l'avenir comme trop lent à venir, comme pour hâter son cours, ou nous rappelons le passé pour l'arrêter comme trop prompt, si imprudents que nous errons dans les temps qui ne sont point nôtres, et ne pensons point au seul qui nous appartient, et si vains que nous songeons à ceux qui ne sont rien, et échappons sans réflexion le seul qui subsiste. C'est que le présent d'ordinaire nous blesse. Nous le cachons à notre vue parce qu'il nous afflige, et s'il nous est agréable, nous regrettons de le voir échapper. Nous tâchons de le soutenir par l'avenir, et pensons à disposer les choses qui ne sont pas en notre puissance pour un temps où nous n'avons aucune assurance d'arriver.
-----Que chacun examine ses pensées. Il les trouvera toutes occupées au passé ou à l'avenir. Nous ne pensons presque point au présent, et si nous y pensons ce n'est que pour en prendre la lumière pour disposer de l'avenir. Le présent n'est jamais notre fin. Le passé et le présent sont nos moyens ; le seul avenir est notre fin. Ainsi nous ne vivons jamais, mais nous espérons de vivre, et nous disposant toujours à être heureux il est inévitable que nous ne le soyons jamais.




#2 .ds.

.ds.

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Posté 02 juillet 2007 - 02:14

"Condamnés à la mort, condamnés à la vie..."
Vigny, Le Journal d'un poète, 1833, p. 978.

#3 Maureen

Maureen

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Posté 02 juillet 2007 - 10:10

c'est des notes sur quelle lecture ?

#4 zqfd

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Posté 02 juillet 2007 - 10:20

c'est tiré des Pensées de Pascal. sur ce, je m'en vais les feuilleter...

bonne nuit Maureen.

#5 zqfd

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Posté 03 juillet 2007 - 01:10

(misère de l'homme.)

Raison & existence :

64


Quand je considère la petite durée de ma vie, absorbée devant l'éternité précédant et suivant ("memoria hospitis unius diei praetereuntis"*), le petit espace que je remplis et même que je vois, abîmé dans l'infinie immensité des espaces que j'ignore et qui m'ignorent, je m'effraie et m'étonne de me voir ici plutôt que là, car il n'y a point de raison pourquoi ici plutôt que là, pourquoi à présent plutôt que lors. Qui m'y a mis? Par l'ordre et la conduite de qui ce lieu et ce temps a-t-il été destiné à moi?


*"Le souvenir d'un homme logé pour un jour, qui passe outre"

#6 zqfd

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Posté 03 juillet 2007 - 01:27

(misère de l'homme)

faiblesse de la raison humaine devant le souverain bien :

56


[...]
[L'un dit que le souverain bien est en la vertu, l'autre le met en la volupté, l'autre à suivre la nature, l'autre en la vérité ("felix qui potuit rerum cognoscere causas"*), l'autre à l'ignorance totale, l'autre en l'indolence, d'autres à résister aux apparences, l'autre à n'admirer rien ("nihil mirari prope res una quae possit facere et servare beatum"**), les braves pyrrhoniens en leur ataraxie, doute et suspension perpétuelle, et d'autres plus sages qu'on ne le peut trouver, non pas même par souhait. Nous voilà bien payés.]
[...]


*"Heureux celui qui a pu connaître les causes des choses" (Virgile)
**"Ne s'étonner de rien, à peu près la seule chose qui puisse donner et conserver le bonheur" (~Horace)

#7 zqfd

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Posté 03 juillet 2007 - 01:57

(misère de l'homme)

critique des lois, faiblesse de la raison humaine devant la justice :

56


[...]
L'éclat de la véritable équité aurait assujetti tous les peuples. Et les législateurs n'auraient pas pris pour modèle, au lieu de cette justice constante, les fantaisies et les caprices des Perses et des Allemands. On la verrait plantée par tous les Etats du monde, et dans tous les temps, au lieu qu'on ne voit rien de juste ou d'injuste qui ne change de qualité en changeant de climat. Trois degrés d'élévations du pôle renversent toute la jurisprudence. Un méridien décide de la vérité. En peu d'années de possession, les lois fondamentales changent, le droit a ses époques, l'entrée de Saturne au Lion nous marque l'origine d'un tel crime. Plaisante justice qu'une rivière borne! Vérité au-deça des Pyrénées, erreur au-delà.
Ils confessent que la justice n'est pas dans ces coutumes, mais qu'elle réside dans les lois naturelles communes en tout pays. Certainement ils la soutiendraient opiniatrement si la témérité du hasard qui a semé les lois humaines en avait rencontré au moins une qui fût universelle. Mais la plaisanterie est telle que le caprice des hommes s'est si bien diversifié qu'il n'y en a point.
Le larcin, l'inceste, le meurtre des enfants et des pères, tout a eu sa place entre les actions vertueuses. Se peut-il rien de plus plaisant qu'un homme ait droit de me tuer parce qu'il demeure au-delà de l'eau et que son prince a querelle contre le mien, quoique je n'en ai aucune avec lui?
Il y a sans doute des lois naturelles, mais cette belle raison corrompue a tout corrompu.
[...]


(note : on obéit à une loi non parce qu'elle est juste, mais parce qu'elle fait loi. On obéit faussement à une loi en la croyant juste. l'essence d'une loi n'a rien à voir avec la notion du juste sinon avec la raison de l'homme en un certain endroit, prise dans un certain événement, en un certain temps...(>raison corrompue qui corromp)
cf
Pensée 56 : "Qui leur obéit parce qu'elles sont justes, obéit à la justice qu'il imagine, mais non pas à l'essence de la loi."
cf
Montaigne, Essais, III, 13 : "Or les lois se maintiennent en crédit, non parce qu'elles sont justes, mais parce qu'elles sont lois. C'est le fondement mystique de leur autorité; elles n'en ont point d'autres... Il n'est rien si lourdement et largement fautier que les lois, ni si ordinairement. Quiconque leur obéit parce qu'elles sont justes, ne leur obéit pas justement par où il doit."

l'inconstance humaine se retrouve donc dans les lois.
cf
Pensée 57 : "Justice. Comme la mode fait l'agrément, aussi fait-elle la justice."
cf
Montaigne, Essais, II, 12 : "Les lois prennent leur autorité de la possession et de l'usage; il est dangereux de les ramener à leur naissance.")

#8 zqfd

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Posté 03 juillet 2007 - 02:16

(misère de l'homme)

l'injustice, pendant des lois humaines :

62


Injustice.
Il est dangereux de dire au peuple que les lois ne sont pas justes, car il n'y obéit qu'à cause qu'il les croit justes. C'est pourquoi il lui faut dire en même temps qu'il y faut obéir parce qu'elles sont lois, comme il faut obéir aux supérieurs non parce qu'ils sont justes, mais parce qu'ils sont supérieurs. Par la voilà toute sédition prévenue, si on peut faire entendre cela et que proprement c'est la définition de la justice.


(notes : la longévité d'une société peut-elle se mesurer à la propension qu'ont ses sujets à croire en la seule loi ?
une société ne peut être qu'injuste.
une société meurt quand son injustice devient trop présente à l'esprit du citoyen, se plaçant devant la présence de la loi elle même.)


#9 zqfd

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Posté 03 juillet 2007 - 02:33

(misère de l'homme)

Finalement, l'homme est misérable parce que la raison ne suffit à lui faire connaître ni le souverain bien, ni la justice, ni son âme, ni son corps, etc. (notes folio)
or c'est dans sa nature de vouloir cela, ainsi, l'homme ne peut être que malheureux dans son ignorance.

cf :

71


L'Ecclesiaste montre que l'homme sans Dieu est dans l'ignorance de tout et dans un malheur inévitable, car c'est être malheureux que de vouloir et ne pouvoir. Or il veut être heureux et assuré de quelque vérité. Et cependant il ne peut ni savoir ni ne désirer point de savoir. Il ne peut même douter.


(note : l'art de s'épanouir dans le champs du doute, sans Dieu, un dépassement du nihilisme ? cf Aotourou.)

#10 zqfd

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Posté 03 juillet 2007 - 02:35

Apprendre à vivre le doute. LE VERTIGE.
a
a
arg

#11 Victorugueux

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Posté 03 juillet 2007 - 08:41

Apprendre à nager, à faire de l'escalade, oser plonger dans les chiures du Niagara, pisser plus loin que le copain , penser à baiser de temps en temps, être amoureux 20 heures sur 24, dorrmir 4 heures, sourire à son précepteur de cachet d'aspirine, dire son fait à son patron, avoir le courage de dire combien on gagne à la femme de sa vie, ne pas pleurer devant son patron, chier des vers idiots dans des lieux sanitaires de poésie, puis avoir une grande envie de rigoler, prendre la vie lui faire de beaux enfants qui vous chieront dessus en disant papa tu es le meilleur!

#12 zqfd

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Posté 03 juillet 2007 - 04:25

(misère de l'homme.)

Raison & existence :

64


Quand je considère la petite durée de ma vie, absorbée devant l'éternité précédant et suivant ("memoria hospitis unius diei praetereuntis"*), le petit espace que je remplis et même que je vois, abîmé dans l'infinie immensité des espaces que j'ignore et qui m'ignorent, je m'effraie et m'étonne de me voir ici plutôt que là, car il n'y a point de raison pourquoi ici plutôt que là, pourquoi à présent plutôt que lors. Qui m'y a mis? Par l'ordre et la conduite de qui ce lieu et ce temps a-t-il été destiné à moi?


*"Le souvenir d'un homme logé pour un jour, qui passe outre"


Siracide 18,8

Néant de l'homme
Qu'est-ce que l'homme? A quoi sert-il?
Que signifie le bien ou le mal qu'il fait?
Le nombre de ses jours est grand s'il atteint cent ans.
Une goutte d'eau de la mer, un grain de sable,
telles sont ces quelques années face à l'éternité.
C'est pourquoi le Seigneur est patient à l'égard des hommes
et déverse sur eux sa pitié.
Il voit et il sait combien leur fin est misérable,
c'est pourquoi il multiplie son pardon.
L'homme a pitié de son prochain,
mais le Seigneur a pitié de toute créature;
il reprend, il instruit, il enseigne,
il ramène, tel le berger, son troupeau.
Il a pitié de ceux qui acceptent l'instruction,
et de ceux qui recherchent avec empressement ses jugements.

#13 zqfd

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Posté 03 juillet 2007 - 04:52

Siracide 6, 18

L'acquisition de la sagesse
Mon fils, dès ta jeunesse accueille l'instruction,
jusqu'à tes cheveux blancs tu trouveras la sagesse.
Comme le laboureur et le semeur, approche toi d'elle
et attends ses fruits excellents.
Car, à la cultiver, tu peineras quelque peu,
mais tu mangeras bientôt de ses produits.
Que la sagesse est donc rude aux ignorants,
il ne persévérera pas, l'homme sans intelligence.
Comme une pierre, elle est un poids qui teste sa force,
il ne tardera pas à la rejeter.
Car la sagesse mérite bien son nom,
elle n'est visible qu'au petit nombre.
Ecoute, mon fils, et reçois mon avis,
ne rejette pas mon conseil.
Mets tes pieds dans ses entraves,
et ton cou dans son carcan.
Incline ton épaule pour la porter,
ne sois pas impatient de ses liens.
Va à elle de toute ton âme,
et de toute ta force garde ses voies.
Suis-la à la piste et recherche-la, elle se fera connaître de toi;
quand tu l'auras saisie, ne la lâche pas.
Car à la fin tu trouveras en elle le repos,
elle se changera pour toi en joie.
Alors ses entraves seront pour toi une protection puissante,
et son carcan un vêtement glorieux.
Son joug est une aprure d'or,
ses liens sont un ruban de pourpre violette.
Comme d'un vêtement de gloire tu t'en revêtiras.
Comme d'une couronne d'allégresse tu t'en ceindras.
Si tu le veux, mon fils, tu seras instruit,
et si tu appliques ton âme, tu deviendras habile.
Si tu aimes écouter, tu apprendras,
si tu prêtes l'oreille, tu deviendras sage.
Tiens-toi dans l'assembée des vieillards,
attache-toi à leur sagesse.
Tout discours divin, écoute-le volontier,
veille à ne laisser échapper aucun sage proverbe.
Si tu vois un homme intelligent, cours à lui dès le matin,
que ton pied use les marches de sa porte.
Réfléchis aux ordres du Seigneur,
applique-toi sans cesse à ses commandements;
lui-même affermira ton coeur
et la sagesse que tu désires te sera donnée.

#14 Victorugueux

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Posté 04 juillet 2007 - 01:17

je ne ferais pas d'ironie j'aime bien ces passages que tu cites
mais il yen a aussi qui sont terriblement désespérants dans ce même livre

#15 zqfd

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Posté 09 juillet 2007 - 07:36

Genèse 18,26 :
Les hommes se dirigèrent de là vers Sodome. Abraham se tenait encore devant le Seigneur, il s'approcha et dit: ""Vas-tu vraiment supprimer le juste avec le coupable? Peut-être y a-t-il cinquante justes dans la ville! Vas-tu vraiment supprimer cette cité, sans lui pardonner à cause des cinquante justes qui s'y trouvent? Ce serait abominable que tu agisses ainsi! Faire mourir le juste avec le coupable? Il en serait du juste comme du coupable? Quelle abomination! Le juge de toute la terre n'appliquerait-il pas le droit?"" Le SEIGNEUR dit: ""Si je trouve à Sodome cinquante justes au sein de la ville, à cause d'eux je pardonnerai à toute la cité.""
Abraham reprit et dit : ""Je vais me décider à parler à mon Seigneur, moi qui ne suis que poussière et cendre. Peut-être sur cinquante en manquera-t-il cinq! Pour cinq, détruiras-tu toute la ville?"" Il dit: ""Je ne la détruirai pas si j'y trouve quarante-cinq justes.""
Abraham reprit encore la parole et lui dit: ""Peut-être là s'en trouvera-t-il quarante!"" Il dit: ""Je ne le ferai pas à cause de ces quarante.""
Il reprit : ""Que mon Seigneur ne s'irrite pas si je parle; peut-être là s'en trouvera-t-il trente!"" Il dit: ""Je ne le ferai pas si j'y trouve ces trente.""
Il reprit: ""Je vais me décider à parler à mon Seigneur: peut-être là s'en trouvera-t-il vingt!"" Il dit: ""Je ne détruirai pas à cause de ces vingt.""
Il reprit: ""Que mon seigneur ne s'irrite pas si je parle une dernière fois: peut-être là s'en trouvera-t-il dix!"" _ ""Je ne détruirai pas à cause de ces dix.""
Le Seigneur partit lorsqu'il eut achevé de parler à Abraham et Abraham retourna chez lui.

#16 karcher

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Posté 09 juillet 2007 - 08:48

Oui, ces propos sont très beaux.
C'est un drame millénaire que d'avoir offert à des écrits, des lecteurs si peu à même de les lire, trop occupés à adorer leur image. Bleue, rouge ou jaune. Oubliant qu'avant, bien avant les écrits, si merveilleux, les images, si révérées, l'être se contentait d'être, oui, à force de regarder le ciel pour puiser dans sa grandeur, la force d'avancer, l'homme s'est créé des images l'éloignant de sa propre capacité de penser. Oubliant, en tenant ses livres de couleur jaune, bleu ou rouge, que c'est du mélange des couleurs que le monde peut se peindre ... uni.

Oui, je sais ce qui fait de moi, une iconoclaste.
Et quel sens je donne à ce mot.

Dommage que les mots ne se lisent qu'avec des lunettes monochromes.

#17 zqfd

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Posté 10 juillet 2007 - 10:44

(REGNE DE LA MEDIOCRITE)

"Alexis Dulaurier, ami, par choix, de tout le monde et, par conséquent, sans principes comme sans passions, comblé des dons de la médiocrité, -- cette force à déraciner des Himalayas ! -- pouvait raisonnablement prétendre à tous les succès.

Quand l'heure fut venue, il n'eut qu'à toucher du doigt les murailles de bêtise de la grande Publicité pour qu'elles tombassent aussitôt devant lui et pour qu'il entrât, comme un Antiochus, dans cette forteresse imprenable aux gens de génie, avec les cent vingt éléphants futiles chargés de son bagage littéraire.

Sa prépondérante situation d'écrivain est désormais incontestable. Il ne représente rien moins que la Littérature française !

Bardé de trois volumes d'une poésie bleuâtre et frigide, en excellent acier des plus recommandables usines anglaises, -- au travers de laquelle il peut défier qu'on atteigne jamais son coeur ; inventeur d'une psychologie polaire, par l'heureuse addition de quelques procédés de Stendhal au _dilettantisme_ critique de M. Renan ; sublime déjà pour les haïsseurs de toute virilité intellectuelle, il escalada enfin les plus hautes frises en publiant les deux premiers romans d'une série dont nul prophète ne saurait prévoir la fin, car il est persuadé d'avoir trouvé sa vraie voie.

Il faut penser à l'incroyable anémie des âmes modernes dans les classes dites élevées, -- les seules âmes qui intéressent Dulaurier et dont il ambitionne le suffrage, -- pour bien comprendre l'eucharistique succès de cet évangéliste du Rien.

Raturer toute passion, tout enthousiasme, toute indépendance généreuse, toute indécente vigueur d'affirmation ; fendre en quatre l'ombre de poil d'un sénile fantôme de sentiment, faire macérer, en trois cents pages, d'impondérables délicatesses amoureuses dans l'huile de myrrhe d'une chaste hypothèse ou dans les aromates d'un élégant scrupule ; surtout ne jamais conclure, ne jamais voir le Pauvre, ne jamais s'interrompre de gémir avec lord Byron sur l'aridité des joies humaines ; en un mot, ne _jamais_ ÉCRIRE ; -- telles furent les victuailles psychologiques offertes par Dulaurier à cette élite dirigeante engraissée dans tous les dépotoirs révolutionnaires, mais qui, précisément, expirait d'une inanition d'aristocratie.

Après cela, que pouvait-on refuser à ce nourrisseur ? Tout, à l'instant, lui fut prodigué : l'autorité d'un augure, les éditions sans cesse renouvelées, la survente des vieux brouillons, les prix académiques, l'argent infini, et jusqu'à cette croix d'honneur si polluée, mais toujours désirable, qu'un artiste fier, à supposer qu'il l'obtînt, n'aurait même plus le droit d'accepter ! "

#18 zqfd

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Posté 10 juillet 2007 - 01:34

(REGNE DE LA MEDIOCRITE)

"Ils ne sont, _nécessairement_, ni des eunuques, ni des méchants, ni des fanatiques, ni des hypocrites, ni des imbéciles affolés. Ils ne sont ni des égoïstes avec assurance, ni des lâches avec précision. Ils n'ont pas même l'énergie du scepticisme. Ils ne sont absolument rien. Mais la terre est à leurs pieds et cela leur paraît très simple.

En vertu de ce principe qu'on ne détruit bien que ce qu'on remplace, il fallait boucher l'énorme trou par lequel les anciennes aristocraties s'étaient évadées comme des ordures, en attendant qu'elles refluassent comme une pestilence. Il fallait condamner à tout prix cette dangereuse porte et les Acéphales furent élus pour chevaucher un peuple de décapités !

Aussi, la Fille aînée de l'Église, devenue la Salope du monde, les a triés avec une sollicitude infinie, ces lys d'impuissance, ces nénuphars bleus dont l'innocence ravigote sa perverse décrépitude ! Si l'Exterminateur arrivait enfin, il ne trouverait plus une âme vivante dans les quartiers opulents de Paris, rien aux Champs-Élysées, rien au Trocadéro, rien au Parc Monceau, trois fois rien au Faubourg Saint-Germain et, sans doute, il dédaignerait angéliquement de frapper du glaive les simulacres humains pavés de richesses qu'il y découvrirait !"

#19 zqfd

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Posté 10 juillet 2007 - 02:40

"_Un éternel mouvement dans le même cercle, une éternelle répétition, un éternel passage du jour à la nuit et de la nuit au jour ; une goutte de larmes douces et une mer de larmes amères ! Ami, à quoi bon moi, toi, nous tous, vivons-nous ? A quoi bon vécurent nos aïeux ? A quoi bon vivront nos descendants ? Mon âme est épuisée, faible et triste._

Ces lignes furent écrites, dans les dernières années du siècle passé, par l'historien Karamsine.

On le voit, l'étrange Russie était déjà travaillée de ce célèbre désespoir qui descend aujourd'hui, comme un dragon d'apocalypse des plateaux slaves sur le vieil Occident accablé de lassitude.




Ce Dévorateur des âmes est si formidable, dans sa lente, mais invincible progression, que toutes les autres menaces de la météorologie politique ou sociale commencent d'apparaître comme rien devant cette Menace théophanique, dont voici l'épouvante et trilogique formule inscrite en bâtardes de feu sur le pennon noir du Nihilisme triomphant :

_Vivent le chaos et la destruction ! Vive la mort ! Place à l'avenir !_"




***



"Cette pensée terrible, cette convoitise _de derrière le cœur _, s'est jetée sur la société moderne et l'a enveloppée comme un poulpe. Les plus myopes esprits commencent à comprendre qu'elle est en train de confectionner un fameux cadavre, -- le cadavre même de la Civilisation ! -- aussi grand que cinquante peuples, dont les chiens sans Dieu se préparent à ronger le crâne en Occident, pendant que ses pieds putréfiés répandront la peste au fond de l'Orient !"

#20 zqfd

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Posté 10 juillet 2007 - 03:04

(LITTERATURE DE DESESPOIR, LITTERATURE D'ESPRIT REPROUVE)

"Il ne faut pas chercher cette situation inouïe des âmes supérieures en un autre point de l'histoire que cette fin de siècle, où le mépris de toute transcendance intellectuelle ou morale est précisément arrivé à une sorte de contrefaçon du miracle.

Antérieurement à Baudelaire, on le sait trop, il y avait eu lord Byron, Chateaubriand, Lamartine, Musset, postiches lamentateurs qui trempèrent la soupe de leur gloire avec les incontinentes larmes d'une mélancolie _bonne fille_ qui leur partageait ses faveurs.

Or, qu'est-ce que le _vague passionnel_ de l'incestueux René, bâtard de Rousseau, ou la frénésie décorative de Manfred, auprès de la tétanique bave de quelques réprouvés tels que Baudelaire ?...

Ceux-là ne _se souviennent_ plus _des cieux_, blague lamartinienne tant admirée ! Ils ne s'en souviennent plus du tout. Mais ils se souviennent de la tangible terre où ils sont forcés de vivre, au sein de l'ordure humaine, dans une irrémédiable _privation de la vue de Dieu_, -- quel que soit leur concept de cette Entité substantielle, -- avec un désir enragé de s'en repaître et de s'en soûler à toute heure !...

A cette profondeur de spirituelle infortune il n'y a plus qu'une seule torture, en qui toutes les autres se sont résorbées pour lui donner une épouvantable énergie, je veux dire : le besoin de la JUSTICE, nourriture infiniment absente !

Parbleu ! ils savent ce que disent les chrétiens, ils le savent même supérieurement. Mais il faut une foi de tous les diables et ce n'est pas la vue des chrétiens modernes qui la leur donnerait ! Alors, ils produisent la littérature du désespoir, que de sentencieux imbéciles peuvent croire une chose très simple, mais qui est en réalité, une sorte de mystère... annonciateur d'on ne sait quoi.

Ce qui est certain, c'est que toute pensée vigoureuse est maintenant poussée, emportée, balayée dans cette direction, aspirée et avalée par ce Maëlstrom !

Serait-ce que nous touchons enfin à quelque Solution divine dont le voisinage prodigieux affolerait la boussole humaine ?..."

#21 zqfd

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Posté 10 juillet 2007 - 03:04

(LAUTREAMONT)



"L'un des signes les moins douteux de cet acculement des âmes modernes à l'extrémité de tout, c'est la récente intrusion en France d'un monstre de livre, presque inconnu encore, quoique publié en Belgique depuis dix ans : _Les Chants de Maldoror_, par le comte de Lautréamont ( ?), oeuvre tout à fait sans analogue et probablement appelée à retentir. L'auteur est mort dans un cabanon et c'est tout ce qu'on sait de lui.

Il est difficile de décider si le mot _monstre_ est ici suffisant. Cela ressemble à quelque effroyable polymorphe sous-marin qu'une tempête surprenante aurait lancé sur le rivage, après avoir saboulé le fond de l'Océan.

La gueule même de l'Imprécation demeure béante et silencieuse au conspect de ce visiteur, et les sataniques litanies des _Fleurs du Mal_ prennent subitement, par comparaison, comme un certain air d'anodine bondieuserie.

Ce n'est plus la _Bonne Nouvelle de la Mort_ du bonhomme Herzen, c'est quelque chose comme la Bonne Nouvelle de la _Damnation_. Quant à la forme littéraire, il n'y en a pas. C'est de la lave liquide. C'est insensé, noir et dévorant.

Mais ne semble-t-il pas à ceux qui l'ont lue que cette diffamation inouïe de la Providence exhale, par anticipation, -- avec l'inégalable autorité d'une Prophétie, -- l'ultime clameur imminente de la conscience humaine devant son Juge ?..."

#22 Victorugueux

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Posté 14 juillet 2007 - 08:32

Léo Ferré
IL N'Y A PLUS RIEN


Écoute, écoute... Dans le silence de la mer, il y a comme un balancement maudit qui vous met le coeur à l'heure, avec le sable qui se remonte un peu, comme les vieilles putes qui remontent leur peau, qui tirent la couverture.

Immobile... L'immobilité, ça dérange le siècle.
C'est un peu le sourire de la vitesse, et ça sourit pas lerche, la vitesse, en ces temps.
Les amants de la mer s'en vont en Bretagne ou à Tahiti...
C'est vraiment con, les amants.

IL n'y a plus rien

Camarade maudit, camarade misère...
Misère, c'était le nom de ma chienne qui n'avait que trois pattes.
L'autre, le destin la lui avait mise de côté pour les olympiades de la bouffe et des culs semestriels qu'elle accrochait dans les buissons pour y aller de sa progéniture.
Elle est partie, Misère, dans des cahots, quelque part dans la nuit des chiens.
Camarade tranquille, camarade prospère,
Quand tu rentreras chez toi
Pourquoi chez toi?
Quand tu rentreras dans ta boîte, rue d'Alésia ou du Faubourg
Si tu trouves quelqu'un qui dort dans ton lit,
Si tu y trouves quelqu'un qui dort
Alors va-t-en, dans le matin clairet
Seul
Te marie pas
Si c'est ta femme qui est là, réveille-la de sa mort imagée

Fous-lui une baffe, comme à une qui aurait une syncope ou une crise de nerfs...
Tu pourras lui dire: "T'as pas honte de t'assumer comme ça dans ta liquide sénescence.
Dis, t'as pas honte? Alors qu'il y a quatre-vingt-dix mille espèces de fleurs?
Espèce de conne!
Et barre-toi!
Divorce-la
Te marie pas!
Tu peux tout faire:
T'empaqueter dans le désordre, pour l'honneur, pour la conservation du titre...

Le désordre, c'est l'ordre moins le pouvoir!

Il n'y a plus rien

Je suis un nègre blanc qui mange du cirage
Parce qu'il se fait chier à être blanc, ce nègre,
Il en a marre qu'on lui dise: " Sale blanc!"

A Marseille, la sardine qui bouche le Port
Était bourrée d'héroïne
Et les hommes-grenouilles n'en sont pas revenus...
Libérez les sardines
Et y'aura plus de mareyeurs!

Si tu savais ce que je sais
On te montrerait du doigt dans la rue
Alors il vaut mieux que tu ne saches rien
Comme ça, au moins, tu es peinard, anonyme, Citoyen!

Tu as droit, Citoyen, au minimum décent
A la publicité des enzymes et du charme
Au trafic des dollars et aux traficants d'armes
Qui traînent les journaux dans la boue et le sang
Tu as droit à ce bruit de la mer qui descend
Et si tu veux la prendre elle te fera du charme
Avec le vent au cul et des sextants d'alarme
Et la mer reviendra sans toi si tu es méchant

Les mots... toujours les mots, bien sûr!
Citoyens! Aux armes!
Aux pépées, Citoyens! A l'Amour, Citoyens!
Nous entrerons dans la carrière quand nous aurons cassé la gueule à nos ainés!
Les préfectures sont des monuments en airain... un coup d'aile d'oiseau ne les entame même pas... C'est vous dire!

Nous ne sommes même plus des juifs allemands
Nous ne sommes plus rien

Il n'y a plus rien

Des futals bien coupés sur lesquels lorgnent les gosses, certes!
Des poitrines occupées
Des ventres vacants
Arrange-toi avec ça!

Le sourire de ceux qui font chauffer leur gamelle sur les plages reconverties et démoustiquées
C'est-à-dire en enfer, là où Dieu met ses lunettes noires pour ne pas risquer d'être reconnu par ses admirateurs
Dieu est une idole, aussi!
Sous les pavés il n'y a plus la plage
Il y a l'enfer et la Sécurité
Notre vraie vie n'est pas ailleurs, elle est ici
Nous sommes au monde, on nous l'a assez dit
N'en déplaise à la littérature

Les mots, nous leur mettons des masques, un bâillon sur la tronche
A l'encyclopédie, les mots!
Et nous partons avec nos cris!
Et voilà!

Il n'y a plus rien... plus, plus rien

Je suis un chien?
Perhaps!
Je suis un rat
Rien

Avec le coeur battant jusqu'à la dernière battue

Nous arrivons avec nos accessoires pour faire le ménage dans la tête des gens:
"Apprends donc à te coucher tout nu!
"Fous en l'air tes pantoufles!
"Renverse tes chaises!
"Mange debout!
"Assois-toi sur des tonnes d'inconvenances et montre-toi à la fenêtre en gueulant des gueulantes de principe

Si jamais tu t'aperçois que ta révolte s'encroûte et devient une habituelle révolte, alors,
Sors
Marche
Crève
Baise
Aime enfin les arbres, les bêtes et détourne-toi du conforme et de l'inconforme
Lâche ces notions, si ce sont des notions
Rien ne vaut la peine de rien

Il n'y a plus rien... plus, plus rien

Invente des formules de nuit: CLN... C'est la nuit!
Même au soleil, surtout au soleil, c'est la nuit
Tu peux crever... Les gens ne retiendront même pas une de leur inspiration.
Ils canaliseront sur toi leur air vicié en des regrets éternels puant le certificat d'études et le catéchisme ombilical.
C'est vraiment dégueulasse
Ils te tairont, les gens.
Les gens taisent l'autre, toujours.
Regarde, à table, quand ils mangent...
Ils s'engouffrent dans l'innommé
Ils se dépassent eux-mêmes et s'en vont vers l'ordure et le rot ponctuel!

La ponctuation de l'absurde, c'est bien ce renversement des réacteurs abdominaux, comme à l'atterrissage: on rote et on arrête le massacre.
Sur les pistes de l'inconscient, il y a des balises baveuses toujours un peu se souvenant du frichti, de l'organe, du repu.

Mes plus beaux souvenirs sont d'une autre planète
Où les bouchers vendaient de l'homme à la criée

Moi, je suis de la race ferroviaire qui regarde passer les vaches
Si on ne mangeait pas les vaches, les moutons et les restes
Nous ne connaîtrions ni les vaches, ni les moutons, ni les restes...
Au bout du compte, on nous élève pour nous becqueter
Alors, becquetons!
Côte à l'os pour deux personnes, tu connais?

Heureusement il y a le lit: un parking!
Tu viens, mon amour?
Et puis, c'est comme à la roulette: on mise, on mise...
Si la roulette n'avait qu'un trou, on nous ferait miser quand même
D'ailleurs, c'est ce qu'on fait!
Je comprends les joueurs: ils ont trente-cinq chances de ne pas se faire mettre...
Et ils mettent, ils mettent...
Le drame, dans le couple, c'est qu'on est deux
Et qu'il n'y a qu'un trou dans la roulette...

Quand je vois un couple dans la rue, je change de trottoir

Te marie pas
Ne vote pas
Sinon t'es coincé

Elle était belle comme la révolte
Nous l'avions dans les yeux,
Dans les bras dans nos futals
Elle s'appelait l'imagination

Elle dormait comme une morte, elle était comme morte
Elle sommeillait
On l'enterra de mémoire

Dans le cocktail Molotov, il faut mettre du Martini, mon petit!

Transbahutez vos idées comme de la drogue... Tu risques rien à la frontière
Rien dans les mains
Rien dans les poches

Tout dans la tronche!

- Vous n'avez rien à déclarer?
- Non.
- Comment vous nommez-vous?
- Karl Marx.
- Allez, passez!

Nous partîmes... Nous étions une poignée...
Nous nous retrouverons bientôt démunis, seuls, avec nos projets d'imagination dans le passé
Écoutez-les... Écoutez-les...
Ça rape comme le vin nouveau
Nous partîmes... Nous étions une poignée
Bientôt ça débordera sur les trottoirs
La parlote ça n'est pas un détonateur suffisant
Le silence armé, c'est bien, mais il faut bien fermer sa gueule...
Toutes des concierges!
Écoutez-les...

Il n'y a plus rien

Si les morts se levaient?
Hein?

Nous étions combien?
Ça ira!

La tristesse, toujours la tristesse...

Ils chantaient, ils chantaient...
Dans les rues...

Te marie pas Ceux de San Francisco, de Paris, de Milan
Et ceux de Mexico
Bras dessus bras dessous
Bien accrochés au rêve

Ne vote pas

0 DC8 des Pélicans
Cigognes qui partent à l'heure
Labrador Lèvres des bisons
J'invente en bas des rennes bleus
En habit rouge du couchant
Je vais à l'Ouest de ma mémoire
Vers la Clarté vers la Clarté

Je m'éclaire la Nuit dans le noir de mes nerfs
Dans l'or de mes cheveux j'ai mis cent mille watts
Des circuits sont en panne dans le fond de ma viande
J'imagine le téléphone dans une lande
Celle où nous nous voyons moi et moi
Dans cette brume obscène au crépuscule teint
Je ne suis qu'un voyant embarrassé de signes
Mes circuits déconnectent
Je ne suis qu'un binaire

Mon fils, il faut lever le camp comme lève la pâte
Il est tôt Lève-toi Prends du vin pour la route
Dégaine-toi du rêve anxieux des biens assis
Roule Roule mon fils vers l'étoile idéale
Tu te rencontreras Tu te reconnaîtras
Ton dessin devant toi, tu rentreras dedans
La mue ça ses fait à l'envers dans ce monde inventif
Tu reprendras ta voix de fille et chanteras Demain
Retourne tes yeux au-dedans de toi
Quand tu auras passé le mur du mur
Quand tu auras autrepassé ta vision
Alors tu verras rien

Il n'y a plus rien

Que les pères et les mères
Que ceux qui t'ont fait
Que ceux qui ont fait tous les autres
Que les "monsieur"
Que les "madame"
Que les "assis" dans les velours glacés, soumis, mollasses
Que ces horribles magasins bipèdes et roulants
Qui portent tout en devanture
Tous ceux-là à qui tu pourras dire:

Monsieur!
Madame!

Laissez donc ces gens-là tranquilles
Ces courbettes imaginées que vous leur inventez
Ces désespoirs soumis
Toute cette tristesse qui se lève le matin à heure fixe pour aller gagner VOS sous,
Avec les poumons resserrés
Les mains grandies par l'outrage et les bonnes moeurs
Les yeux défaits par les veilles soucieuses...
Et vous comptez vos sous?
Pardon.... LEURS sous!

Ce qui vous déshonore
C'est la propreté administrative, écologique dont vous tirez orgueil
Dans vos salles de bains climatisées
Dans vos bidets déserts
En vos miroirs menteurs...

Vous faites mentir les miroirs
Vous êtes puissants au point de vous refléter tels que vous êtes
Cravatés
Envisonnés
Empapaoutés de morgue et d'ennui dans l'eau verte qui descend
des montagnes et que vous vous êtes arrangés pour soumettre
A un point donné
A heure fixe
Pour vos narcissiques partouzes.
Vous vous regardez et vous ne pouvez même plus vous reconnaître
Tellement vous êtes beaux
Et vous comptez vos sous
En long
En large
En marge
De ces salaires que vous lâchez avec précision
Avec parcimonie
J'allais dire "en douce" comme ces aquilons avant-coureurs et qui racontent les exploits du bol alimentaire, avec cet apparat vengeur et nivellateur qui empêche toute identification...
Je veux dire que pour exploiter votre prochain, vous êtes les champions de l'anonymat.

Les révolutions? Parlons-en!
Je veux parler des révolutions qu'on peut encore montrer
Parce qu'elles vous servent,
Parce qu'elles vous ont toujours servis,
Ces révolutions de "l'histoire",
Parce que les "histoires" ça vous amuse, avant de vous intéresser,
Et quand ça vous intéresse, il est trop tard, on vous dit qu'il s'en prépare une autre.
Lorsque quelque chose d'inédit vous choque et vous gêne,
Vous vous arrangez la veille, toujours la veille, pour retenir une place
Dans un palace d'exilés, entouré du prestige des déracinés.
Les racines profondes de ce pays, c'est Vous, paraît-il,
Et quand on vous transbahute d'un "désordre de la rue", comme vous dites, à un "ordre nouveau" comme ils disent, vous vous faites greffer au retour et on vous salue.

Depuis deux cent ans, vous prenez des billets pour les révolutions.
Vous seriez même tentés d'y apporter votre petit panier,
Pour n'en pas perdre une miette, n'est-ce-pas?
Et les "vauriens" qui vous amusent, ces "vauriens" qui vous dérangent aussi, on les enveloppe dans un fait divers pendant que vous enveloppez les "vôtres" dans un drapeau.

Vous vous croyez toujours, vous autres, dans un haras!
La race ça vous tient debout dans ce monde que vous avez assis.
Vous avez le style du pouvoir
Vous en arrivez même à vous parler à vous-mêmes
Comme si vous parliez à vos subordonnés,
De peur de quitter votre stature, vos boursouflures, de peur qu'on vous montre du doigt, dans les corridors de l'ennui, et qu'on se dise: "Tiens, il baisse, il va finir par se plier, par ramper"
Soyez tranquilles! Pour la reptation, vous êtes imbattables; seulement, vous ne vous la concédez que dans la métaphore...
Vous voulez bien vous allonger mais avec de l'allure,
Cette "allure" que vous portez, Monsieur, à votre boutonnière,
Et quand on sait ce qu'a pu vous coûter de silences aigres,
De renvois mal aiguillés
De demi-sourires séchés comme des larmes,
Ce ruban malheureux et rouge comme la honte dont vous ne vous êtes jamais décidé à empourprer votre visage,
Je me demande comment et pourquoi la Nature met
Tant d'entêtement,
Tant d'adresse
Et tant d'indifférence biologique
A faire que vos fils ressemblent à ce point à leurs pères,
Depuis les jupes de vos femmes matrimoniaires
Jusqu'aux salonnardes équivoques où vous les dressez à boire,
Dans votre grand monde,
A la coupe des bien-pensants.

Moi, je suis un bâtard.
Nous sommes tous des bâtards.
Ce qui nous sépare, aujourd'hui, c'est que votre bâtardise à vous est sanctionnée par le code civil
Sur lequel, avec votre permission, je me plais à cracher, avant de prendre congé.
Soyez tranquilles, Vous ne risquez Rien

Il n'y a plus rien

Et ce rien, on vous le laisse!
Foutez-vous en jusque-là, si vous pouvez,
Nous, on peut pas.
Un jour, dans dix mille ans,
Quand vous ne serez plus là,
Nous aurons TOUT
Rien de vous
Tout de nous
Nous aurons eu le temps d'inventer la Vie, la Beauté, la Jeunesse,
Les Larmes qui brilleront comme des émeraudes dans les yeux des filles,
Le sourire des bêtes enfin détraquées,
La priorité à Gauche, permettez!

Nous ne mourrons plus de rien
Nous vivrons de tout

Et les microbes de la connerie que nous n'aurez pas manqué de nous léguer, montant
De vos fumures
De vos livres engrangés dans vos silothèques
De vos documents publics
De vos règlements d'administration pénitentiaire
De vos décrets
De vos prières, même,
Tous ces microbes...
Soyez tranquilles,
Nous aurons déjà des machines pour les révoquer

NOUS AURONS TOUT

Dans dix mille ans.