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Country Song (corrigé)


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#1 Marygrange

Marygrange

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Posté 16 février 2010 - 08:51

Ce ne sera plus une suite de "Aux disparus et présences de l'âme", mais bien une nouvelle qui entrera dans un recueil que j'ai bien l'intention de mener à bien, d'autant que les nouvelles sont toutes plus ou moins écrites et à retravailler. Ce recueil je l'intitule, à titre provisoire ou définitif, comme l'une des nouvelles (partiellement publiée ici au salon principal), "Le fleuve rougit". Ce seront cinq histoires à tendance policières ou noires. Je publierai probablement des extraits sur TLP, mais pas les histoires dans leur intégrité au cas où je puisse trouver un éditeur pour publier tout le livre. On ne sait jamais...





Cela fait bien quatre ans que l’idée me trotte dans la tête. Elle s’ajoute à d’autres nouvelles et romans. Le monde imaginaire est à l’image de celui dans lequel on vit, on s’y oublie autant qu’en se baladant à travers les paysages qui peuplent nos pays. L’âme s’en voit soulagée de ses maux.
Puisque je ne peux me déplacer pour glaner des informations sur les détails de mes textes, je dois me résigner à en inventer. Pas trop pour rester crédible et ne pas me perdre dans l’irrationnel ni dans les clichés et stéréotypes que je ne peux guère éviter. C’est le cas de “Country Song”. L’histoire se déroule dans un lieu que je ne connais pas et que je laisse à l’imagination du lecteur.




Country Song
“Freedom’s just another word for nothing left to lose” Kris Kristofferson.



http://www.youtube.com/watch?v=W8ZkkKfg_Rw


C’est dans une région de France au bord de l’Atlantique, une ville où les Marin se rencontrèrent fin des années 70. Ils avaient alors vingt ans.
Soirée disco. Bee Gees: How deep is your love? Premiers rapprochements. Puis sorties entre copains. Vacances au Capbreton. Une photo. Ils sont adorables, assis sur le capot d’une 2CV devant la plage, jeans à pattes d’éléphant, elle blouse bouffante rentrée dans le pantalon, cheveux noirs longs et bouclés encadrant son souriant visage. Lui aussi sourit sous ses cheveux châtains ébouriffés, coupés très courts et grisonnants aujourd’hui. Ils sont insouciants de l’avenir grand ouvert devant eux. Cette photo ne quittera pas la jeune femme jusqu’à trente ans plus tard. Alors elle la donnera à sa fille qui la mettra sur son blog pour ses amis.

***



Si Sylvie Marin est devenue possessive, c’est dû au fait qu’elle n’appartient pas à la classe bourgeoise de son mari de laquelle il lui fallut se montrer digne, et que celui-là est du genre rêveur chez lui. Il faut le secouer pour qu’il accomplisse ses responsabilités familiales. Ainsi est-elle devenue autoritaire au cours des années.
Ludovic, l’époux, pharmacien de métier, est un passionné de musique. Un homme discret qui souffre du silence de sa femme insensible à ses penchants artistiques. Elle, cela l’agace. C’est comme s’il se désintéressait de sa famille. Mais sa marotte est si tenace…
En 1998, ils ont la quarantaine et plus de vingt ans de mariage. Leur fille unique Claudie a quinze ans. Ils se parlent à peine en privé. Leurs amis les envient et les prennent pour un couple modèle. Tant que ça tient encore, l’entourage n’a pas à être témoin de leurs différends. Divorcer ? Il n’en est pas question. Sylvie n’a pas de profession, elle a laissé tomber ses études d’infirmière en se mariant. Elle n’était pas du coin, il aurait fallu tout recommencer… Où irait-elle, s’ils divorçaient ? Aurait-elle la garde de Claudie ? Et puis, il faut toujours payer les traites de la maison. Alors Ludovic reste.
Sylvie finit par admettre qu’il faut qu’elle lâche du lest à son mari, si elle veut le conserver. Contre son gré, elle le laisse aller à ses répétitions de musique country deux fois par semaine, dans un club de cette ville où ils se connurent à cinq kilomètres de chez eux. Le reste de son temps libre, il le passe, dans la cave insonorisée, à jouer de la guitare.

***


Dans les années 2000, Internet et l’ordinateur font leur apparition dans les foyers. Ludovic se lie avec une Américaine sur un site musical. Il se trouve qu’elle parle un peu français et s’appelle Michèle. Il en discute avec ses amis du Country Club. Enthousiasmés, ils invitent la jeune femme au festival de Craponne[1]. Sylvie n’accompagnera pas son mari, bien qu’il le lui ait demandé par principe. Cette musique, elle la déteste trop. Qu’il en fasse dans sa cave, ok, mais un festival… Ludovic ira donc seul à Craponne et verra pour la première fois son amie américaine. Ils danseront sur les chansons de Johnny Cash, Willie Nelson, Hank Williams et d’autres inconnus des Français, habillés comme des cowboys.
Leurs relations ne sont que pures amicales. Ludovic n’est pas insensible aux charmes de la jeune femme, mais il ne veut pas d’histoire. Comment pourraient-ils débuter une idylle, alors qu’elle rentrera bientôt aux USA ? Et lui n’est-il pas marié ?…
Michèle est une jolie femme de trente-cinq ans. Chevelure châtain auburn longue et ondulée retombant sur ses épaules, sourcils épilés fins, yeux bleus aux longs cils maquillés, petites fossettes aux coins des lèvres, grand sourire. Une femme généreuse d’aspect, mais pas grosse, et de cœur. Et petit plus, elle est musicienne, ce qui n’est vraiment pas pour déplaire à Ludovic.
Il la reverra six mois plus tard, quand elle reviendra dans la région pour améliorer son français.

Elle débarque de l’avion avec des instruments de musique et deux grosses valises remplies d’effets personnels, de disques et de livres. Elle échangera ses connaissances contre des pratiques de langue. Ludovic lui trouve un deux-pièces en ville pas très loin du Country Club. Pour cette aide appréciable, Michèle lui offre un album qu’elle a rapporté des Etats-Unis, un CD d’un célèbre acteur-chanteur country. On le voit jeune barbu sur la pochette. Elle y a ajouté un mot :

« Merci de tout mon cœur, cher Ludovic… »

Sylvie a des doutes. Cela fait trois semaines que son mari traîne les soirs où il va au Country Club. Il rentre vers deux heures du matin. Quand il entre dans la chambre pour se coucher, elle feint le sommeil. Elle ne l’interroge pas, préférant vérifier par elle-même. Elle n’est pas dupe, il doit bien y avoir une femme là-dessous.
Un jour, elle décide de pénétrer dans son bureau. Personne d’autre que lui n’entre habituellement dans cette pièce, à l’exception de la femme de ménage deux fois par semaine. Ludovic ne doit pas penser que sa femme y vient en douce. C’est pour cela qu’il a laissé traîner, sur une pile de papiers à droite de l’ordinateur, le CD. Sylvie le prend et lit : “Kris Kristofferson. Me and Bobby McGee”. Curieuse, elle l’ouvre. Elle voit sur le disque, en grosses lettres écrites au feutre noir, une dédicace signée Michèle. Là, sa jalousie exulte.
Elle se met à fouiller les affaires de son mari. Mis à part ce malencontreux CD, rien de compromettant. Mais son blouson de cuir est accroché dans l’entrée. Il fait beau en ce jour d’avril, il ne l’a pas pris en sortant ce matin. Sylvie met la main dans les poches du vêtement. Elle en sort une feuille de papier avec un numéro de téléphone dessus, puis file jusqu’à la table de la salle à manger où elle saisit son portable.
Une boîte vocale répond : « Vous êtes bien au numéro de… ». « Michèle » ajoute une voix à l’accent étranger. Sylvie recopie le numéro de téléphone dans son agenda et remet le bout de papier dans la poche du blouson. Quelques heures plus tard, elle rappelle. “Hello !” fait la voix de tout à l’heure. Cette fois, Sylvie a la confirmation que c’est une Anglaise, ou une Américaine. Elle raccroche. Tout porte à croire que son mari l’a connue là-bas au club…
Passe une semaine de ces découvertes. Arrive jeudi, jour du Country Club. Á dix-neuf heures trente, Ludovic s’y rend. Leur fille est étudiante à Bordeaux, Sylvie se retrouve donc seule. Elle sait où se trouve le club. Au bout d’une heure, elle y va avec sa Twingo. Elle se gare à vingt mètres de l’établissement et attend dans le noir. On ne peut la voir d’où elle se trouve. Deux heures plus tard, elle aperçoit Ludovic qui sort avec un groupe de personnes. Parmi elles une femme que Sylvie ne distingue que lorsqu’elle passe sous le réverbère du coin de la rue où est stationnée la Volkswagen de son mari. La femme porte un jeans, une chemise bleu avec une sorte de plastron blanc et franges aux manches comme les Amérindiens. Très texan ! Alors ce serait une chanteuse de là-bas ? Est-elle connue ? Mais qu’est-ce qu’il fait avec ? Et qu’elle est belle ! Quel âge ? Certainement pas quarante-six ans comme moi. Une jeunesse ! Elle en crierait de rage. Elle a très envie de sortir de la voiture et les gifler tous les deux. Mais ils ne lui en laissent pas le temps, ils démarrent. Elle aussi.
Ils arrivent à une résidence aux blancs immeubles hauts de trois étages. Sylvie les regarde entrer dans l’un d’eux. Elle s’arrête et sort lire les noms sur l’interphone. Un seul à consonance anglo-saxonne, M. Scott. M. c’est Michèle… Elle part vérifier la rue, la note avec le numéro de l’immeuble sur un carnet qu’elle sort de son sac.
Elle y retourne le lundi suivant, à une heure où elle est sûre que Ludovic n’y est pas. Elle sonne à l’interphone de M. Scott. “Yes?” Pas fichue de répondre en français. Pourtant, Ludovic ne sait quasiment pas l’anglais. En quelle langue se parlent-ils donc ? En tout cas, c’est bien la voix du numéro de téléphone du papier du blouson. « Oui ?... » Cette fois, c’est en français.
─ Vous êtes Michèle ?
─ Heu… oui. C’est ça. Mais qui êtes-vous ?
─ La femme de Ludovic Marin.
─ La femme de Ludo ? (Elle l’appelle déjà Ludo !)
─ Exact. Ouvrez-moi. Je voudrais bien savoir ce que vous faites tous les deux. Vous ne couchez tout même pas ensemble ? Parce que sinon…
─ Mais… La voix de la jeune femme s’étrangle sous l’emprise de la terreur. L’autre se montre si en colère.
─ Ouvrez-moi ! insiste Sylvie emportée.
─ Non. Vous me faites peur ! Et elle raccroche. Mais Sylvie, qui n’est plus maître d’elle-même, s’en prend à l’interphone, et sonne, sonne, sonne…
Michèle s’affole. Elle descend au garage. Mais ce n’est pas sans compter sur la perspicacité de l’épouse en colère qui la voit sortir dans une décapotable. Elle la reconnaît à ses cheveux auburn qui flottent dans le vent. Elle court à sa Twingo.
Elle se colle derrière Michèle. Paniquée, celle-ci appuie sur le champignon. Elle tourne brusquement dans une ruelle. Sylvie, semée par « l’intruse », comme elle aime à l’appeler, rentre chez elle. Ce n’est que le lendemain qu’elle lit l’accident dans le journal local. Il fit une seconde victime, un homme de quarante ans qui sortait son chien et s’apprêtait à traverser la rue au moment où la décapotable à toute allure le renversa. Son état est grave et il se trouve à l’hôpital dans le coma. La conductrice du véhicule encastré dans le mur d’un immeuble est morte sur le coup.
Ludovic, s’il apprend que c’est à cause d’elle, ne lui pardonnera jamais. Et puis, cet homme grièvement blessé, il restera handicapé toute sa vie si ça se trouve. C’est odieux ! Elle ne voulait tuer ni blesser personne. Elle est rongée par le remords et finit par le dire à son mari.
Il lui jure qu’il ne se passait rien entre eux. Ils jouaient ensemble des airs de country, et il l’aidait à réviser son français. Elle avait un compagnon aux Etats-Unis. Se rend-elle compte de ce qu’elle a fait ?
─ Je n’ai tué personne ! hurle Sylvie.
─ Mais si en poursuivant cette femme ! Et tu as blessé un homme qui n’avait rien à voir avec elle.
─ Qu’est-ce que tu veux que je fasse ?
─ C’est fini. Tu m’entends ? C’est fini !
─ Que veux-tu dire ?
─ Qu’on divorce.
─ Mais Claudie et moi…
─ On s’arrangera. Je vous verserai une pension. Tu peux travailler aussi.

***



En mai 2008, les Marin sont divorcés depuis trois ans.
Sylvie fit un stage d’aide-soignante. Ludovic vendit la pharmacie et réalisa son rêve, s’installer aux Etats-Unis pour vivre de sa passion. Pour cela, enfin il s’est mis à l’anglais.
Leur fille Claudie, maintenant âgée de vingt-cinq ans, va se marier dans deux semaines.
Sylvie est à présent la propriétaire de leur maison dont il n’y a plus à payer les traites. Elle travaille dans un centre de rééducation proche de son domicile. C’est là qu’elle rencontra l’accidenté du jour de la poursuite de « l’intruse ».
A part Ludovic, personne n’est au courant de son rôle dans l’accident. Elle ne le dira jamais à cet homme dont elle s’occupe à présent. Elle aurait trop peur de perdre la possibilité de se racheter en le soignant, et de se retrouver en prison si on la dénonçait à la police.
Le paralysé apprécie beaucoup son dévouement. Suite à cet accident, sa femme demanda le divorce. Il n’a évidemment plus de profession et touche une pension d’invalidité. Son domicile est pour le moment cet impersonnel hôpital en attendant qu’on lui attribue un logement adapté et tout ce qui va avec, aide ménagère, autres allocations etc.
Au vu de leur attachement réciproque, Sylvie prit la décision d’aménager sa maison pour lui. Maintenant ils forment un couple uni.
Ludovic vient seul au mariage de sa fille, sans sa nouvelle compagne chanteuse country qui est restée chez eux à Austin, Texas, haut-lieu du célèbre “Austin City Limits Festival” de musique country.
C’est la première fois qu’il revoit sa femme depuis le divorce. Elle a vieilli, mais est restée toujours aussi mince. Par contre son visage s’est tout ridé. Ses cheveux teints sont courts et lisses, moins lumineux. Ses yeux noirs brillent de bonheur. Le seul point commun avec la jeune fille du Capbreton, pense l’ex-mari.
Elle a bien fait de s’occuper de cet homme, son remords s’amenuisera. Elle ne semble plus aussi irascible qu’avant. Il la trouve plus douce. Elle est surtout moins jalouse et sait maintenant les dégâts que peut occasionner un tel sentiment.
Le soir des noces, Sylvie demande à Ludovic de faire un tour dans le parc de l’hôtel où a lieu la réception. Ils discutent sans animosité. Avant de retourner à la fête, elle lui tend un paquet qu’elle tenait dans ses mains. Il l’ouvre et découvre le CD de Kris Kristofferson qu’il l’avait cherché en vain et s’était résigné à ne jamais retrouver. Elle l’avait caché.
─ Tu sais, dit-elle, j’ai écouté bien des fois “Me and Bobby McGee”. Te sens-tu libre à présent, comme la girlfriend de Kris Kristofferson ?... J’ai appris à aimer cette musique grâce à ce CD. J’ai même lu un livre sur cette chanson. L’auteur français m’a convaincue de la poésie des paroles. Ton amie avait fait un très bon choix. Dis, garde-le. Ou bien…
─ Quoi ?
─ Porte-le lui.
─ Sur sa tombe ?
─ Oui.




Dans la présentation de « Me and Bobby McGee », sur ce fameux disque dont je me réfère, Kris Kristofferson dit : « It’s a country song. ». C’est de cela que j’ai tiré le titre de cette nouvelle, « Country Song ».
La lecture du livre de Laurent Chalumeau « Moi et Bobby McGee » avec la photo de l’Américain en couverture, aux éditions Grasset, n’a fait qu’accentuer mon envie de l’écrire. Bobby McGee, dans la version de Kris Kristofferson, est une femme à qui le narrateur rend sa liberté puisque, sans le sou, il ne peut lui offrir un foyer digne. Un geste d’amour magnifique. Puis Janis Joplin, alors petite amie de Kris Kristofferson, l’a chantée avec des paroles adaptées à son genre. Son dernier succès, semble-t-il.
Evidemment d’autres choses m’ont inspirée, mais surtout cette chanson.




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[1] Festival de musique country qui a lieu tous les étés au mois de juillet à Craponne sur Arzon, Haute-Loire.

Modifié par Marygrange, 05 mars 2010 - 04:34 .