Je marche, je marche.
J’avance, j’avance.
Je tue le temps ; je compte mes pas.
Un, deux, trois…
Me tient compagnie un vieux sac à dos, rempli d’air et de poussière..
Libre sans l’avoir voulu, j’erre dans la grande ville.
Je marche, je marche.
J’avance, j’avance.
Je tue le temps ; je compte mes pas.
Un, deux, trois…
Les semelles usées de mes godillots écrasent le bitume, foulent les saisons.
Je croise les passants qui courent après le temps.
Je leur souris ; ils ne me voient plus..
Je marche, je marche.
J’avance, j’avance.
Je tue le temps ; je compte mes pas. .
Un, deux, trois…
Les vitrines illuminées avec violence racolent les passants..
Ruisselante d’impudence, la nourriture s’étale avec nonchalance.
Je crache dessus et vomis un flot amer d’insultes.
Outragés, les gens appellent un vigile.
Je détale en courant.
Je marche, je marche.
J’avance, j’avance.
Je tue le temps ; je compte mes pas.
Un, deux, trois..
La faim m’enserre de ses griffes puissantes.
Une mort douloureuse et lente.
J’ai le vertige.
Le trottoir tangue.
Mon cœur s’emballe.
Je tremble.
Je m’affale dans un recoin sombre.
Les gens m’ignorent.
Je mâchouille ma langue et fouille mon sac à dos.
Rien.
J’avale un grand bol d’air croupi.
Un corniaud galeux renifle mes pieds.
Je ferme les yeux et m’assoupis.
Le froid me réveille.
Je marche, je marche.
J’avance, j’avance.
Je tue le temps ; je compte mes pas.
Un deux, trois…
Le corniaud me suit.
La nuit tombe doucement sous la pluie glacée.
Le Père Noël distribue des sucreries devant l’entrée d’un grand magasin.
Je m’approche ; il me tourne le dos.
J’accélère pour arriver à l’heure dans la rue où l’on distribue les repas chauds.
Ensuite, j’irai chercher un coin pour cesser de marcher.
Mes jambes sont trop fatiguées.
Demain,
je marcherai, je marcherai,
j’avancerai, j’avancerai,
je tuerai le temps ; je compterai mes pas.
Un, deux, trois…