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Martine Broda dans la revue « Action poétique » : un témoignage


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Posté 29 juin 2013 - 07:37

par Pascal Boulanger

 Jâai rencontré, pour la première fois, Martine Broda quand je menais mon enquête sur la revue Action poétique. Nous étions en 1996. Jâavais été chargé, par Yves di Manno, de rédiger une longue introduction au volume anthologique Une action poétique de 1950 à aujourdâhui (Flammarion). Jâinterviewais alors tous les poètes qui avaient participé, de près ou de loin, à cette aventure éditoriale et ceux qui, comme Marcelin Pleynet pour le collectif Tel Quel, sâétaient opposés aux lignes politiques et esthétiques de la revue dâHenri Deluy.

Martine Broda est entrée au comité de rédaction dâAction poétique en 1978, avec notamment Yves Boudier, Marie Etienne et Liliane Giraudon. Elle le quittera en 1990. Je la rencontre donc six ans après son départ, en ayant lu toutes ses interventions poétiques et critiques dans cette revue. Jâavais été frappé par sa liberté de ton et par le numéro 80  quâelle avait fédéré, en 1979, sur la langue morte

Lâamateur de langues mortes participe à lâÅuvre pie, conjure la mort. Il oublie la sienne en se tournant vers le passé, quâil ranime pour suspendre un procès inéluctable. Il répare, déchiffre et recopie les traces dans lâespoir de leur donner une seconde durée de vie. Justifiant à nouveau lâinvention de lâécriture : seul moyen dâempêcher la destruction de lâavenir.

 Lâambition de ce numéro nâétait pas de couvrir exhaustivement un champ mais dâétablir entre les textes publiés un jeu subtil de contrastes et dâéchos. Il y a bien un imaginaire où langue morte et langue vivante échangent leurs significations. Et câest dans le numéro 86 (décembre 1981) dâAction poétique que Martine Broda proposera une contribution sous le titre : Lâobjet du poème lyrique. Elle sâen prend alors et avant la publication en 1997 aux éditions Corti de Lâamour du nom à lâactuelle terreur contre le lyrisme (terreur â rassurons-nous, uniquement symbolique – et qui sâexercera au sein même dâAction poétique, de Change ou encore de Tel Quel). Dâaprès elle, ceux qui veulent extirper de la littérature lâortie du lyrisme invoquent la crise ouverte dans la question du sujet par la plupart des systèmes de pensées contemporaines. Mais si cette caution philosophique est certaine, ils montrent par là quâils en restent à une définition insuffisante et qui vient du romantisme allemand. De Jaufré Rudel à Pierre Jean Jouve, le paradigme du genre lyrique est le poème dâamour :

(â¦) Deux êtres sexués ne peuvent se conjoindre : « il nây a pas de rapports sexuels ». Lacan nous enseigne que la langue et lâamour est ce qui vient à cette place. Mais ça ne répare rien. Deux êtres sexués ne peuvent se conjoindre : à la place ils se parlent, parlent dâamour. Ils écrivent. Lâimpossible demeure. Heureusement. Quelquâun en meurt quelquefois (câest moi qui souligne). La vocation du lyrisme est de dire ça, assez crûment, il ne sait rien dâautre. Contrairement à sa réputation, il ne sâattendrit pas, il serait plutôt impitoyable (â¦).

 En 1993, Henri Deluy fait parvenir à une cinquantaine de poètes, la question suivante : La forme-poésie va-t-elle, peut-elle, doit-elle disparaître ? Mais croyant prévenir le danger, la question succombe trop au syndrome de lâalerte et sa formulation nâest pas sans poser dâautres questions. Quoiquâil en soit, Martine Broda, agacée et scandalisée par ce type de problématique « formaliste » répond frontalement dans le numéro 133/134 dâAction poétique :

 Quelle question, à la fois imbécile, journalistique et arrogante ! La poésie existe depuis des milliers dâannées et vous enterrera tous. Elle survivra à sa crise actuelle, qui nâest que lâeffet de lâabsence dâune vraie pensée. La poésie survivra à ceux qui croient que le langage peut être libéré du sens le plus grave, celui du sens de la vie, pour chacun chaque fois autre. Elle survivra aux galipettes formalistes, aux calembredaines de lâhumour débile, à la blancheur squelettique exténuée, par laquelle on sâefforce dâimiter lâabstraction minimale picturale (â¦) Elle survivra, peut-être même dans ce qui constitue, de toujours, son noyau dur, le lyrisme, que par un étrange malentendu, sans cesse reconduit depuis le romantisme, certains identifient à la niaiserie et à lâenflure du moi, alors que le lyrisme authentique, le haut lyrisme, est le chant de « lâamor fati », chant du monde et non du moi, comme sut le voir Nietzsche.

 Je partageais, mais en étant bien incapable de la formuler ainsi, la pensée de Martine Broda. Câest dire que jâétais impatient de la rencontrer pour mieux saisir les enjeux de sa parole souveraine qui ne craignait ni les modes ni les arguments dâautorité.

Pascal Boulanger

mai 2013


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