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[note de lecture] Gérard Titus-Carmel, "Albâtre", par Antoine Emaz


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Posté 20 septembre 2013 - 09:02

 

6a00d8345238fe69e2019aff80a92c970d-200wiOn sait Titus-Carmel attentif àlâarchitecture du livre, du volume. Toujours soucieux dâun ordre, dâunesymétrie, classique ou parnassienne ou simplement géométrique, comme on voudra.Câest peut-être pour lui façon dâendiguer ou contraindre ou former un élanlyrique qui serait sans cela débordement, crue, avec ce que cela peut avoirdâenrichissant et de dévastateur : Nil, pyramides.  Donc ce livre est composé, bâti, édifié ;le hasard peut se loger dans le détail, pas dans lâensemble. Ainsi, le premieret le dernier textes, en prose, renvoient clairement à lâÉgypte. La partie« I. » se compose de 25 poèmes numérotés en vers libres souples, toutcomme la partie « II. ». Au centre du livre, cinq textes en prose, enitaliques, développent une veine plus directement autobiographique. 
LâÉgypte. Plus précisément « la grande table dâembaumement de Memphis (â¦)taillée dans un bloc dâalbâtre de près de cinquante tonnes » (p.9), et onretrouve « Sobek », le « dieu crocodile » (p.69) à la findu livre. Ceci justifie ou éclaire certaine références égyptiennes au cours dulivre. Mais ce nâest pas son enjeu véritable, le titre Albâtre lâindique assez nettement, même si la mort est présente et pourraitrenvoyer à la « table dâembaumement initiale : « tu reconnais au loinune mort lente et amie// transparente lumineuse à lâimage de ta peine » (p.60). 
 
Plutôt que lâinterrogation spirituelle ou mystique à partir de la religion delâÉgypte ancienne, le livre pose davantage un rapport direct à une matière,lâalbâtre, roche étrange parce quâelle semble enclore la lumière. On rejointici la question posée dans un livre précédent, Ressac : la séparation entre le vivant et lâélémentaire : « le « non-je »de la nature » (p.28),« la mutité immémoriale du monde » (p.37), « tout cela qui aéchappé à lâhistoire / comme énigme refermée au cÅur de la pierre / étrangèreen si froide indifférence » (p.64). 
« La tendre indifférence du monde » écrivait Camus à la fin de LâÉtranger.  Le rapport à lâalbâtre pourrait êtrecelui-là : une conscience apaisée de ce qui nous sépare, une acceptationde lâénigme du dehors qui continue très bien sans nous qui cessons vite. Ilnâen va pas ainsi chez Titus-Carmel : il reste « lââpre travail dedurer / si loin de la lumière » (p.35) : autrement dit, vivre. Autantlâalbâtre, rétractée dans sa clarté opaline, dit une forme dâéternité minérale,autant cet hors-temps nous reste inaccessible : « jâai usé mon regardà cette aube / et me suis perdu car ici trop de blanc / pour mes os je ne mereconnais pas » (p.55) 
 
Au bout, match nul : on pourrait dire que lâhumain et lâélémentaire seregardent en chiens de faïence. Dâun côté, lâintemporel de la pierre (Albâtre) ou de la mer (Ressac), et de lâautre la peau dechagrin, la perte, la mort. Mais par un retournement (pascalien ?)Titus-Carmel fait pencher la balance du côté de lâhumain : « Aussi cherche-t-on à creuser toujours plusavant ce blanc dur et vitreux, espérant reconnaître en lui le lieu dâuneorigine cachée au cÅur de sa matière ; et lâon affouille mémoire &légende en ces tréfonds où lâon risque de se perdre à jamais. Mais par chance,revenus de là, rien nâentache plus notre langue ; notre périple au sein decette blancheur nâa fait quâallumer le grand salon dâabsence à lâintérieur, etrien dâautre. Pourtant ce nâest pas la déception qui nous submerge, mais unsoudain sentiment dâirréparable qui annule tout lâespace en nous, fendant lacroûte terrestre et lâouvrant jusquâau sommeil : câest une reconnaissance,au contraire, un clair vertige mêlé à la joie diffuse de reparaître au mondeaprès avoir côtoyé dâaussi près sa mort sculptée à lâenvers⦠»( p.39) 
 
[Antoine Emaz] 
 
Gérard Titus-Carmel, Albâtre, EditionsFata Morgana, 70 pages â 14⬠

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