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Du Métro à Malraux...


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#1 Paname

Paname

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Posté 20 mars 2007 - 04:09

DU METRO A MALRAUX

Des années folles aux trente glorieuses, on te fouta en gros la paix, mon cher Paris !

Luxe de repos bien mérité. Luxe de la paix retrouvée, et appétit de jouissances un temps disparues pour beaucoup.
Mais surtout repos de convalescence nécessaire, pour te remettre de tant d’interventions successives, subies avec ou sans anesthésie, et relevant de toutes les chirurgies imaginables, de celle de tes viscères profonds jusqu’à celle de ton esthétique superficielle et néanmoins capitale.

La dernière en date de ces interventions chirurgicales lourdes t’avait mis les tripes à l’air pour percer tes entrailles d’une tubulure métropolitaine artificielle, rendue nécessaire pour t’éviter l’étouffement pendant, et dont ta grande rivale londonienne bénéficiait depuis longtemps déjà.
Et si de loin en loin, on voyait en apparaître quelques rares hernies jaillissant à ta surface, c’est bien la profondeur de toi qui s’en était trouvée toute entière remuée, tes chairs charcutées, derme et épiderme tranchés, tailladés, lacérés, ton sein fouaillé sans vergogne, tes organes mis à sac pour accueillir la pieuvre étrangère de ce nouveau réseau salvateur qu’il fallait bien te greffer à l’intérieur puisqu’il n’y avait plus de place ailleurs.

Cette nouvelle opération à cœur ouvert, après tant d’autres depuis un demi-siècle, t’avait sans doute, mon pauvre Paris, mis sur le flanc pour un temps, le temps nécessaire pour récupérer de tant de charges sonnées, d’assauts donnés à l’arme blanche des pics qui te fouaillaient et de tant de viols profanateurs de ton intimité au mystère profond jusqu’ici préservé.
Et mis à part l’ablation de la gangrène de ton îlot insalubre numéroté 1, qui nettoya une bonne dizaine d’années avant ma naissance le plus urgent du tissu nécrosé qui te pourrissait le cœur, rien de réellement fort, jusqu’à mes quinze ans, ne vint vraiment troubler ton endormissement, ni réveiller le calme de ta convalescence essentielle : ton nouveau tissu, sur cet îlot enfin purgé qui n’allait abriter qu’un immense et banal parking, attendrait d’ailleurs patiemment quelques quarante ans, sous les essieux d’automobiles et de camions d’approvisionnement des Halles voisines, avant d’être habillé des atours controversés d’un provocant centre culturel aux vastes dépendances, géniale usine à gaz pompidolienne qui ferait bientôt couler plus d’encre qu’elle n’en aurait jamais fait de béton…

Tu continuas longtemps à te laisser noircir par les ans et les gaz d’échappement, comme pour te retrouver en triste harmonie avec les jours noirs de l’occupation ennemie. La victoire te laissa exsangue à l’image du pays tout entier, et tu attendras sagement, comme lui, qu’un début d’aisance retrouvée permette, dix ans plus tard, que l’on commence à songer un peu à te faire un gros brin de toilette…

Certes, ce n’était pas du luxe ! Mais c’eut été du luxe que d’y songer plus tôt.
1950, d’abord calmer définitivement la faim des hommes ; 1958, ensuite calmer le jeu de leurs institutions ; 1960 enfin, commencer de calmer ta soif d’équipement et de beauté, et l’heure était maintenant venue pour Malraux de sortir son grand Kärcher.
L’heure était surtout venue pour moi…d’être là, de tomber amoureux de toi, de vivre mon coup de foudre avec toi, et d’entamer ma longue, si belle et si fidèle, histoire d’amour de toi…

Paname