(Betty se promène seule dans une forêt)
Ah ! Seule ! Enfin je goûte au plaisir d’être Moi !
Dans l’herbe et dans les fleurs je dépose le masque,
Un corset qui gainait mes états d’âme flasque,
Enserrait ma gaité, muselant tout émoi.
D’un Moi-fossile éteint qui se tint à leur guise !
J'étais fille d'avril que le froid paralyse,
De soie emmitouflant l'éclat de mon profil.
Je regardais la voie, en équilibre, assise,
Me dessiner des croix sous un ciel volatil.
Je fuyais le péril
Et j’aimais ma bêtise.
Par quel heureux hasard un jour le nœud se brise,
Libérant un lacet pas plus long que mon cil?
Il suffisait, guettant, d’en assurer la prise,
Tirer puis délier paisiblement le fil
En un geste subtil.
Ravages, vague et vie ! Orage de rosée !
Le murmure des mots sur ma peau reposée
Sûre et tendue… Osée !
Alors il vînt au derme, ô grain superficiel,
Un duel ajusté de matière et de ciel…
Je sus que j’étais morte… ou métamorphosée…
Je tenais dans mes bras un cœur artificiel
Et de lui s’échappait un poult pestilentiel,
Trop d’instants de nausée,
D’imparfaits mouvements…
En surface perçaient d’autres picotements
Que celui du déni me disant : « Tu te mens ! » :
L’écrasement du nombre.
Oh ! L’être est cette mouche aveugle aux firmaments !
Qui donc est délié de l’égo qui l’encombre
Et fuit l’incandescent de jolis filaments ?
De l’éther étiré ne restera que l’ombre !
Les regards de partout
Lançaient leur flamme vive.
Ils me disaient navrante, ils me disaient : « Naïve ! ».
Ils disaient : « Bonne à rien ! » et puis : « Mauvaise à tout !
À quoi riment ces vers, montre-nous ton atout !
En as-tu un, au moins ? » J’allais à la dérive…
« As-tu quelques carreaux, rois de pique blessants ?
Où n'as-tu que du trèfle ? Un as ! La belle excuse !
(Elle ouvre sa main, la regarde, dessus est posé un cœur.)
Et sur ta main, du cœur ?!! »... Je m’écrasais, recluse
En l'immobilité de mes rêves naissants...
A présent je refuse !
Je ne veux plus sombrer sous leurs vœux oppressants !
Folle, j'en ferai fi !... Fille, je ferai sans !
Sauvage et cependant heureuse de me croire
Défaite et morte aux yeux des bêtes de la foire
Dans l'immobilité des cachots indécents...
Ô, lèvres d'une mère ! Ô, perle ruisselante !
J'aurai sur ma peau nue, étendue, un baiser...
Inlassables acquis pour qui sait apaiser,
Impérissables fruits qui ne s'épuisent... Lente !
Fête des sens, ô proie où mon imaginaire
(Elle regarde à nouveau la cœur dans sa main et le caresse)
Polit mon œuf au creux d'une si fragile aire,
Si haute! Sur un nid : ce rêve qui me tord,
M’inonde d’un bonheur tendu comme un ressort.
Calme, je coulerai jusqu'au fond du calice,
M'adonnant au délit d'invisibilité,
Aux anges qu’une brume ôte en totalité
La vue à qui s'enlise en ce câlin délice.
Pèlerine galante et mêlant à ravir
L'haleine scintillante à la goutte égarée,
J'atteindrai cet asile au goût d'aube effarée,
J'effacerai ce corps comme écorce à ravir.
Et recueillant le Moi, me laissant l’assouvir,
Jamais je ne serai plus libre et plus heureuse
Qu’à cette heure où s’éteint dans un son de pleureuse
L’éclat du frais perlé dont fleure sous ma peau
La gouttelette au point d’un délicat dépôt.
Tout va changer, regarde !
Je n’ai plus à mon front l’affront d’un poids qui farde
Tout a changé, c’est vrai ! Tout est léger soudain !
Je vois déjà sortir du bois le petit daim,
Les faons qui s’y tapissent.
Jouant au pré joli, les papillons frémissent
Posant en chastes sauts leurs dons sur ma fleur et
Les libellules font de leurs ailes hélices
Des lys délicieux au bel astre effleuré.
Oui, seule ! enfin je vis du simple plaisir d’être !
Beaucoup s’offrent l’écueil d’adorer leur malheur
Ils s’en font une vie et la laisse sans heurt
Dériver sans chercher jamais à reconnaitre
Qu’ils ont fui leur bonheur,
Leur honneur,
Leur liberté, peut-être… ?
Moi, Moi !!! Répète encor ! Je suis Moi si je veux !
Ne plus jamais cacher ma face, de mes vœux
C’est le plus cher et c’est, pour peu que je m’adonne
A ce plaisir, la voie où va ce Moi-madone !
Qu’il est beau ce matin !
C’est une fleur fanée,
Juste un peu surannée…
Mais son parfum m’atteint.
Qu’il est beau ce matin,
Flétri dans la pénombre,
Recueilli ! Mais le sombre,
En sa noirceur, s’éteint.
Qu’il est beau ce matin
Lorsqu’enfin je m’éveille,
Effleure la merveille,
Le doigt léger, mutin…
Palpitant sous la prose,
Qu’il est beau dans ma main
Ô, bourgeon de demain,
Ce frais bouton de rose !
(Elle s’allonge sur la terre du chemin, le doute la reprend)
Ah! Ce rêve est bien beau! Mais il est si peu vrai !
Que verrai-je au moment où je l'aurai lapée
La vapeur qui tenait la Vérité nappée ?
Quel sera ce secret qu'au fond je percevrai ?
(Sûre d’elle à nouveau, décidée, le ton monte, elle s’enflamme)
Vaporeuse aise... Aqua... Je tomberai le voile !
Révélant la vermine au sol et succomber
Sera léger pour moi qui ai tant su tomber !
Je me relèverai criant sous mon étoile.
Ignorant ce qui sort de terre et sa laideur,
J'apposerai ce pied, solide, en m'avançant
(Elle lève une jambe en l’air montrant son pied décidé au ciel)
Sur le petit chemin que l'astre pave en sang,
Je suivrai ses rayons faits de rouge raideur.
Dans l'éclat perforant le brouillard en fissure,
Je ferai de ce guide un filin rougeoyant,
Me montrant une voie au contour chatoyant
D'intensité croissante au fur et à mesure
(Sa voix monte encore et se termine dans un cri quand elle prononce le mot « pas »)
Que creuseront mes pas...
(Quelqu’un arrive, se précipite inquiet devant Betty à terre)
Le passant
Qu’avez-vous ? Ça ne va pas ? Je vous ai entendue crier.