La mort me prit un soir de juin
Avais-je aimé ou pas encore ?
Le soleil était vert de chlore
Le ciel était incolore
Et mes yeux par les larmes joints
J'entendis trois mots disparaître
Mots par trop de langues poncés
Mots hâtivement dénoncés
Trois mots qu'on croit sans prononcer
Trois mots qu'on dit sans rien connaître
On me tuait place des Carmes
Où vibrait un marteau-piqueur
La nuit versait sa liqueur
A quoi bon vivre avec un coeur ?
Je m'endormais dans le vacarme
Faut-il mourir avant l'été ?
Faut-il s'entendre de l'absence ?
Faut-il mourir dans l'ignorance
Comme une terre en déshérence ?
Peut-on renaître après Léthé ?
Les vitres mortes des immeubles
Portaient l'ombre de mon ombre
J'avais des yeux de dés sans nombre
J'espérais que se désencombre
De ma mémoire tous les meubles
Le temps n'avait plus de visage
Quand la ville alluma ses veines
Je m'engouffrai rue des Cévennes
Une étrange odeur de verveine
Le vent portait comme un présage
Une assemblée faisait rumeur
Sous une lampe de fortune
On criait comme à la Commune
J'y rencontrai tes yeux de prunes
Fallait-il ou non que je meurs ?
Comme une blanche baïonnette
Ta voix qui me poignardait l'oeil
Tu réclamais à qui le veuille
La main comme seul porte-feuille
De quoi nourrir tes marionnettes
Tu étais jeune inabîmée
Je regardais les yeux crevés
Tes bras comme l'orant levés
Formant un cercle inachevé
Réanimant l'inanimé
Le jour vint comme un enfant blond
Avais-je aimé ou pas encore ?
La nuit emportait son décor
Je n'avais ni rôle ni corps
Que le temps du mourir est long !
La foule à la vie détroupée
Je demeurais sans devenir
Pouvait-ce être mieux me bénir
Cette offre à moi de te tenir
La compagnie de tes poupées ?
Mourir me prit c'était hier
Mourir est-il ce que l'on croit ?
Le soleil semblait une croix
Il en tombait comme l'orfroi
Un ensecret de lumière