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Lumière de la série


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43 réponses à ce sujet

#31 serioscal

serioscal

    Serialismo Rigoroso

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  • Une phrase ::All series are not red. But some are. They burn-speak.

Posté 22 novembre 2014 - 09:01

Elle dormait. Le chaos
ne s'inquiétait pas. J'étais
dans la chambre à cette heure.
Les volets inexistants
tremblaient imperceptiblement. L'oeil
qui s'était égaré sur mon
visage rond - cherchait peut-être
à remplacer mes lèvres absentées.
Elle dormait. Mes vêtements étaient
des nudités abandonnées
pour l'aube. J'ai soufflé. L'aube
une structure -iridescente - demandait
si l'heure est nécessaire au lendemain.
Au lendemain - le chaos s'endornait.
Le bruit des travaux de la nuit
recevait la structure de mes déclinaisons
comme un volet ouvert, fermé
et ouvert à nouveau, refermé
comme le cahot
d'une respiration.


Ouais!



#32 AURE

AURE

    Tlpsien +++

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Posté 22 novembre 2014 - 09:45

 

Elle dormait. Le chaos
ne s'inquiétait pas. J'étais
dans la chambre à cette heure.
Les volets inexistants
tremblaient imperceptiblement. L'oeil
qui s'était égaré sur mon
visage rond - cherchait peut-être
à remplacer mes lèvres absentées.
Elle dormait. Mes vêtements étaient
des nudités abandonnées
pour l'aube. J'ai soufflé. L'aube
une structure -iridescente - demandait
si l'heure est nécessaire au lendemain.
Au lendemain - le chaos s'endornait.
Le bruit des travaux de la nuit
recevait la structure de mes déclinaisons
comme un volet ouvert, fermé
et ouvert à nouveau, refermé
comme le cahot
d'une respiration.

 



#33 serioscal

serioscal

    Serialismo Rigoroso

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Posté 22 novembre 2014 - 10:04

C’est, semble-t-il, après la zoologie, le domaine sportif, qui a fait de la série des emplois spécialisés, liés là encore à la classification : ォ petit groupe formant une subdivision d’un classement  (1859). Ainsi, dans le football, ce qu’on appelle aujourd’hui division s’appelait autrefois série. A la même époque, le terme apparaît dans le vocabulaire du billard, pour désigner une ォ suite de points réussis d’affilée . Cette fois, l’idée d’enchaînement prime. De même, dans les années 1920, la série est employée en boxe pour désigner une ォ suite rapide de coups , et en gymnastique pour l’ォ enchaînement de mouvements . Ce survol extrêmement superficiel du domaine sportif offre un nouvel aperçu de l’ambiguité de la série, entre classification et succession.

 

Le mot apparaît dans le vocabulaire commercial vers 18931 dans les expressions série de prix, prix de série. C’est à la même époque que nait l’expression ォ série noire サ pour désigner une ォ suite d’événements pénibles ou de catastrophes . Le GRH estime que l’expression ォ vient de ce que ces événements isolés semblent obéir à une sorte de logique interne . L’expression ォ en série , du type fabrication en série, est attestée en 1903, et désigne un ォ grand nombre d’objets identiques . Si, au XIXe siècle, s’ébauche l’assimilation de série et du même, ce n’est qu’à partir de ce moment que ce trait de signification se cristallise ; il n’est pas improbable que cette locution soit à la base d’une nouvelle signification de série, suite d’objets ou d’événements identiques. On notera qu’en électricité, le montage en série, qui s’oppose au montage en parallèles, date de 1881.

 

A l’idée de succession, d’enchaînement, s’est combinée celle d’éléments analogues, de même nature, puis d’éléments identiques. Au XXe siècle, s’est confirmée la tendance par laquelle, de plus en plus, le sériel se trouvait identfié à la production du même, de l’identique. Il resterait à voir comment, de la notion de production en série (qui semble le plus ancien témoignage de l’assimilation du terme série et de l’idée de même) on est passé aux séries tékévisées2. Incontestablement, dans le vocabulaire courant, ces deux acceptions sont celles qui dominent actuellement. Passée du domaine éditorial au domaine audiovisuel, la série est devenue l’une des formes privilégiées des médias actuels, au point que sur le modèle de film-culte, est née l’expression ォ série-culte : ォ Derrière la série culte de TF1, AB production , lisait-on voici quelques années au chapeau d’un article journalistique voué à la détestation du ォ sit-com サ Hélène et les garçons.

 

Dans le domaine de la presse, une enquête plus rigoureuse que ce travail ne le permet serait à effectuer, mais il semble que la notion de série se soit, là encore, déplacée. La série désignait au XIXe siècle plutôt le tirage d’un livre3, ou encore la collection4, éventuellement (ce qu’on trouve chez Léon Bloy) les parties d’un ouvrages composé d’une succession de courtes pièces. La série, aujourd’hui, est une sorte de feuilleton. Série est ainsi le terme générique employé pour l’édition française des comics américains5. Voici par exemple ce qu’écrivait un lecteur de la revue Titans, dans les années quatre-vingt, pour aider l’éditeur à résorber les retards pris dans la publication de l’une des deux séries impliquant l’Araignée :

 

Première solution, supprimer pendant le temps nécessaire (1 an et demi je crois) la série Peter Parker et la remplacer par les Envahisseurs ou une série interrompue ou même par une série ne contenant que 18 épisodes.6

 

La série est apparemment une réalité très forte, dans tout ce ォ courrier サ de Titans. Ainsi, disent les éditeurs, nous recevons des avalanches de lettres qui nous disent : ‘Cette série est mauvaise, ôtez-la’ . La série plait, est bien ou mal dessinée, est interrompue, etc. Resterait à voir, dans ce type de publications, où le courrier des lecteurs peut jouer un rôle considérable (puisqu’il dit au lecteur ce qu’il est, et dans un même mouvement, ce qu’il lit), la part de la répétition. On mettrait ainsi à l’épreuve certaines des thèses d’Umberto Eco. Même pour ces publications, dont la valeur est secondaire7, et même est d’être secondaire, il serait plus exact de parler de renouvellement que de répétition. Car l’épisode n’est pas la répétition de l’épisode précédent, mais seulement comporte un élément de répétition.

 

Pourtant la production en série, les séries télévisées et radiophoniques, l’expression hors-série dans le domaine des revues périodiques, vont dans un même sens, et tendent à faire de série un signifiant de la répétition et de l’automatisme. Le phénomène d’ailleurs est loin d’être spécifiquement français. En témoigne la récente locution tueur en série, simple traduction de l’anglais serial killer. La série est un témoin idéologique.

 

1 La datation reprend celles du GLLF et du TLF. On se gardera de leur conférer une valeur autre qu’approximative.

2 Il n’est pas impossible que la chose vienne du domaine éditorial, qui depuis le XIXe siècle a fait un abondant usage de série, tant pour déisgner les tirages que les sections d’un ouvrage.

3 Je prends au hasard une édition des Choses vues Victor Hugo, Jules Boiff et cie, 5 volumes, nー284 à 288, tous estampillés ォ Nouvelle série サ.

4 Ce que certaines publications scientifiques, telles que le Bulletin de l’Académie des sciences, pratiquent encore.

5 Je prends ci-après un exemple de Titans. Il y aurait là encore à opérer un relevé chronologique des apparitions du terme dans l’hisroire de ka collection Lug.

6 Patrice Payssot, in Titans, ォ Le courrier des fans de Titans サ, nー61, 1984, p. 73.

7 Secondaire ? Oui, si l’on excepte quelques dessinateurs les plus singuliers, tels Jack Kirby, John Buscema, Franck Miller, Bill Sienkiewicks... Umberto Eco pose la série, production de masse, contre l’art ォ moderniste サ. La valeur d’une oeuvre n’est pas fonction de la catégorie d’où elle ressort. Les oeuvres de Sienkiewiks et de Miller sont de parfaits exemples de ce qu’est l’individuation. La déliquescence des formes dans le dessin de Bill Sienkiewicks est d’autant plus forte qu’elle va à l’encontre des impératifs industriels et commerciaux. Ainsi, lorsqu’il reprend, dans les années quatre-vingt, une série jusque là d’un intérêt nul -- nul et non avenu -- la série au bout de quelques épisodes est censurée... en France, par l’éditeur français, Lug, par crainte de perdre le statut de ォ publication pour la jeunesse サ.



#34 serioscal

serioscal

    Serialismo Rigoroso

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Posté 22 novembre 2014 - 10:43


Cest, semble-t-il, après la zoologie, le domaine sportif, qui a fait de la série des emplois spécialisés, liés là encore à la classification :  petit groupe formant une subdivision dun classement  (1859). Ainsi, dans le football, ce quon appelle aujourdhui division sappelait autrefois série. A la même époque, le terme apparaît dans le vocabulaire du billard, pour désigner une  suite de points réussis daffilée . Cette fois, lidée denchaînement prime. De même, dans les années 1920, la série est employée en boxe pour désigner une  suite rapide de coups , et en gymnastique pour l enchaînement de mouvements . Ce survol extrêmement superficiel du domaine sportif offre un nouvel aperçu de lambiguité de la série, entre classification et succession.
 
Le mot apparaît dans le vocabulaire commercial vers 18931 dans les expressions série de prix, prix de série. Cest à la même époque que nait lexpression  série noire  pour désigner une  suite dévénements pénibles ou de catastrophes . Le GRH estime que lexpression  vient de ce que ces événements isolés semblent obéir à une sorte de logique interne . Lexpression  en série , du type fabrication en série, est attestée en 1903, et désigne un  grand nombre dobjets identiques . Si, au XIXe siècle, sébauche lassimilation de série et du même, ce nest quà partir de ce moment que ce trait de signification se cristallise ; il nest pas improbable que cette locution soit à la base dune nouvelle signification de série, suite dobjets ou dévénements identiques. On notera quen électricité, le montage en série, qui soppose au montage en parallèles, date de 1881.
 
A lidée de succession, denchaînement, sest combinée celle déléments analogues, de même nature, puis déléments identiques. Au XXe siècle, sest confirmée la tendance par laquelle, de plus en plus, le sériel se trouvait identfié à la production du même, de lidentique. Il resterait à voir comment, de la notion de production en série (qui semble le plus ancien témoignage de lassimilation du terme série et de lidée de même) on est passé aux séries tékévisées2. Incontestablement, dans le vocabulaire courant, ces deux acceptions sont celles qui dominent actuellement. Passée du domaine éditorial au domaine audiovisuel, la série est devenue lune des formes privilégiées des médias actuels, au point que sur le modèle de film-culte, est née lexpression  série-culte  :  Derrière la série culte de TF1, AB production , lisait-on voici quelques années au chapeau dun article journalistique voué à la détestation du  sit-com  Hélène et les garçons.
 
Dans le domaine de la presse, une enquête plus rigoureuse que ce travail ne le permet serait à effectuer, mais il semble que la notion de série se soit, là encore, déplacée. La série désignait au XIXe siècle plutôt le tirage dun livre3, ou encore la collection4, éventuellement (ce quon trouve chez Léon Bloy) les parties dun ouvrages composé dune succession de courtes pièces. La série, aujourdhui, est une sorte de feuilleton. Série est ainsi le terme générique employé pour lédition française des comics américains5. Voici par exemple ce quécrivait un lecteur de la revue Titans, dans les années quatre-vingt, pour aider léditeur à résorber les retards pris dans la publication de lune des deux séries impliquant lAraignée :
 
Première solution, supprimer pendant le temps nécessaire (1 an et demi je crois) la série Peter Parker et la remplacer par les Envahisseurs ou une série interrompue ou même par une série ne contenant que 18 épisodes.6
 
La série est apparemment une réalité très forte, dans tout ce  courrier  de Titans. Ainsi, disent les éditeurs, nous recevons des avalanches de lettres qui nous disent : Cette série est mauvaise, ôtez-la . La série plait, est bien ou mal dessinée, est interrompue, etc. Resterait à voir, dans ce type de publications, où le courrier des lecteurs peut jouer un rôle considérable (puisquil dit au lecteur ce quil est, et dans un même mouvement, ce quil lit), la part de la répétition. On mettrait ainsi à lépreuve certaines des thèses dUmberto Eco. Même pour ces publications, dont la valeur est secondaire7, et même est dêtre secondaire, il serait plus exact de parler de renouvellement que de répétition. Car lépisode nest pas la répétition de lépisode précédent, mais seulement comporte un élément de répétition.
 
Pourtant la production en série, les séries télévisées et radiophoniques, lexpression hors-série dans le domaine des revues périodiques, vont dans un même sens, et tendent à faire de série un signifiant de la répétition et de lautomatisme. Le phénomène dailleurs est loin dêtre spécifiquement français. En témoigne la récente locution tueur en série, simple traduction de langlais serial killer. La série est un témoin idéologique.
 

1 La datation reprend celles du GLLF et du TLF. On se gardera de leur conférer une valeur autre quapproximative.

2 Il nest pas impossible que la chose vienne du domaine éditorial, qui depuis le XIXe siècle a fait un abondant usage de série, tant pour déisgner les tirages que les sections dun ouvrage.

3 Je prends au hasard une édition des Choses vues Victor Hugo, Jules Boiff et cie, 5 volumes, n284 à 288, tous estampillés  Nouvelle série .

4 Ce que certaines publications scientifiques, telles que le Bulletin de lAcadémie des sciences, pratiquent encore.

5 Je prends ci-après un exemple de Titans. Il y aurait là encore à opérer un relevé chronologique des apparitions du terme dans lhisroire de ka collection Lug.

6 Patrice Payssot, in Titans,  Le courrier des fans de Titans , n61, 1984, p. 73.

7 Secondaire ? Oui, si lon excepte quelques dessinateurs les plus singuliers, tels Jack Kirby, John Buscema, Franck Miller, Bill Sienkiewicks... Umberto Eco pose la série, production de masse, contre lart  moderniste . La valeur dune oeuvre nest pas fonction de la catégorie doù elle ressort. Les oeuvres de Sienkiewiks et de Miller sont de parfaits exemples de ce quest lindividuation. La déliquescence des formes dans le dessin de Bill Sienkiewicks est dautant plus forte quelle va à lencontre des impératifs industriels et commerciaux. Ainsi, lorsquil reprend, dans les années quatre-vingt, une série jusque là dun intérêt nul -- nul et non avenu -- la série au bout de quelques épisodes est censurée... en France, par léditeur français, Lug, par crainte de perdre le statut de  publication pour la jeunesse .



#35 serioscal

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Posté 22 novembre 2014 - 12:41

Il y a bien sur des liens. Je suis un lecteur assidu, autant que je le peux, de Marx. Rien de plus poignant que son oeuvre sur les travailleurs anglais, qui, si on la prolonge dans notre actualité, rappelle les travailleurs chinois. Allez je poste ce magnifique texte qui est d'une actualité totale :
 
Ouvriers,
C'est un fait très remarquable que la misère des masses travailleuses n'a pas diminué de 1848 à 1864, et pourtant cette période défie toute comparaison pour le développement de l'industrie et l'extension du commerce. En 1850, un organe modéré de la bourgeoisie anglaise, très bien informé d'ordinaire, prédisait que si l'exportation et l'importation de l'Angleterre s'élevaient de 50 %, le paupérisme tomberait à zéro. Hélas ! le 7 avril 1864, le chancelier de l'Echiquier charmait son auditoire parlementaire en lui annonçant que le commerce anglais d'importation et d'exportation était monté en 1863 «à 443 955 000 livres sterling, somme étonnante qui surpasse presque des deux tiers le commerce de l'époque, relativement récente, de 1843». Mais en même temps, il parlait éloquemment de la «misère». «Songez, s'écria-t-il, à ceux qui vivent sur le bord de cet horrible état», aux «salaires qui n'augmentent point», à la «vie humaine qui, dans neuf cas sur dix, n'est qu'une lutte pour l'existence.» Encore ne disait-il rien des Irlandais que remplacent graduellement les machines dans le Nord, les troupeaux de moutons dans le Sud, quoique les moutons eux-mêmes diminuent dans ce malheureux pays, moins rapidement, il est vrai, que les hommes. Il ne répétait pas ce que venaient de dévoiler, dans un accès soudain de terreur, les représentants les plus élevés des dix mille supérieurs. Lorsque la panique des garrotteurs [1] atteignit un certain degré, la Chambre des Lords fit faire une enquête et un rapport sur la transportation et la servitude pénales. La vérité fut ainsi révélée dans le volumineux Livre bleu de 1863, et il fut démontré, par des faits et chiffres officiels, que les pires des criminels condamnés, les forçats de l'Angleterre et de l'Ecosse, travaillaient beaucoup moins et étaient beaucoup mieux nourris que les travailleurs agricoles des mêmes pays. Mais ce n'est pas tout. Quand la guerre civile d'Amérique eut jeté sur le pavé les ouvriers des comtés de Lancaster et de Chester, la même Chambre des Lords envoya un médecin dans les provinces manufacturières, en le chargeant de rechercher le minimum de carbone et d'azote, administrable sous la forme la plus simple et la moins chère, qui pût suffire en moyenne «à prévenir les maladies causées par la famine». Le docteur Smith, le médecin délégué, trouva que 28 000 grains de carbone et 1 330 grains d'azote par semaine étaient nécessaires, en moyenne, à un adulte... uniquement pour le préserver des maladies causées par la famine ; de plus, il trouva que cette quantité n'était pas fort éloignée de la maigre nourriture à laquelle l'extrême détresse venait de réduire les ouvriers cotonniers [2]. Mais, écoutez encore. Le même savant médecin fut, un peu plus tard, délégué de nouveau par le département médical du Conseil privé, afin d'examiner la nourriture des classes travailleuses les plus pauvres. Le Sixième rapport sur l'état dis la santé publique, publié par ordre du Parlement, dans le courant de cette année, contient le résultat de ses recherches. Qu'a découvert le docteur ? Que les tisseurs en soie, les couturières, les gantiers, les tisserands de bas, etc., ne recevaient pas toujours, en moyenne, la misérable pitance des ouvriers cotonniers, pas même la quantité de carbone et d'azote «suffisant uniquement à prévenir les maladies causées par la famine».
«En outre, nous citons textuellement le rapport, l'examen de l'état des familles agricoles a démontré que plus du cinquième d'entre elles est réduit à une quantité moins que suffisante d'aliments carboniques, et plus du tiers à une quantité moins que suffisante d'aliments azotés ; que dans trois comtés, Berkshire, Oxfordshire et Somersetshire, l'insuffisance des aliments azotés est, en moyenne, le régime local.» «Il ne faut pas oublier, ajoute le rapport officiel, que la privation de nourriture n'est supportée qu'avec répugnance, et qu'en règle générale, le manque de nourriture suffisante n'arrive jamais que précédé de bien d'autres privations... La propreté même est regardée comme une chose très chère et difficile, et, quand le respect de soi-même s'efforce de l'entretenir, chaque effort de la sorte est nécessairement payé par un surcroît des tortures de la faim.» «Ce sont des réflexions d'autant plus douloureuses, qu'il ne s'agit pas ici de la misère méritée par la paresse, mais, dans tous les cas, de la détresse d'une population travailleuse. En fait, le travail qui n'assure qu'une si maigre pitance est, pour la plupart, extrêmement long.» Le rapport dévoile ce fait étrange et même inattendu que «de toutes les parties du Royaume-Uni» (c'est-à-dire l'Angleterre, le Pays de Galles, l'Ecosse et l'Irlande) «c'est la population agricole de l'Angleterre», précisément de la partie la plus opulente, «qui est incontestablement la plus mal nourrie», mais que même les plus pauvres laboureurs des comtés de Berks, d'Oxford et de Somerset sont beaucoup mieux nourris que la plupart des ouvriers de l'Etat de Londres, travaillant à domicile.
Telles sont les données officielles publiées par ordre du Parlement, en 1864, dans le millénaire du libre-échange, au moment même où le chancelier de l'Echiquier racontait à la Chambre des Communes que «la condition des ouvriers anglais s'est améliorée, en moyenne, d'une manière si extraordinaire que nous n'en connaissons point d'exemple dans l'histoire d'aucun pays, ni d'aucun âge». De quel son discordant ces exaltations officielles sont percées par une brève remarque du non moins officiel Rapport sur l'état de la santé publique : «La santé publique d'un pays signifie la santé de ses masses, et il est presque impossible que les masses soient bien portantes, si elles ne jouissent pas, jusqu'au plus bas de l'échelle sociale, au moins du plus modeste bien-être.»
Ebloui par le «Progrès de la Nation», le chancelier de l'Echiquier voit danser devant ses yeux les chiffres de ses statistiques. C'est avec un accent de véritable extase qu'il s'écrie : «De 1842 à 1852, le revenu imposable du pays s'est accru de 6 % ; dans les huit années de 1853 à 1861, il s'est accru de 20 %, si l'on prend pour base 1853 ; c'est un fait si étonnant qu'il est presque incroyable !... Cette vertigineuse montée de richesses et de puissance, ajoute W. Gladstone, se limite entièrement aux classes possédantes.»
Si vous voulez savoir à quelles conditions de santé perdue, de morale flétrie et de ruine intellectuelle, cette «vertigineuse montée de richesses et de puissance, limitée entièrement aux classes possédantes», a été et est produite par les classes laborieuses, voyez la description qui est faite des ateliers de couture pour hommes et pour dames, et d'imprimeries, dans le dernier «Rapport sur l'état de la santé publique». Comparez le «Rapport de la commission pour examiner le travail des enfants», où il est constaté, par exemple, que la classe des potiers, hommes et femmes, présente une population très dégénérée, tant sous le rapport physique que sous le rapport intellectuel ; que «les enfants infirmes deviennent ensuite des parents infirmes» ; que «la dégénération de la race en est une conséquence absolue»; que «la dégénération de la population du comté de Staffer serait beaucoup plus avancée, n'était le recrutement continuel des pays adjacents et les mariages mixtes avec des races plus robustes». Jetez un coup d'oeil sur le Livre bleu de M. Tremenheere : Griefs et plaintes des journaliers boulangers. Et qui n'a pas frissonné en lisant ce paradoxe des inspecteurs des fabriques, certifié par le Registrar General, d'après lequel la santé des ouvriers du comté de Lancaster s'est améliorée considérablement, quoiqu'ils soient réduits à la plus misérable nourriture, parce que le manque de coton les a chassés des fabriques cotonnières, que la mortalité infantile a diminué, parce que, enfin, il est permis aux mères de donner le sein aux nouveau-nés, au lieu du cordial de Godfrey.
Mais retournez encore une fois la médaille ! Le Tableau de l'impôt des revenus et des propriétés, présenté à la Chambre des Communes le 20 juillet 1864, nous apprend que du 5 avril 1862 au 5 avril 1863, treize personnes ont grossi les rangs de ceux dont les revenus annuels sont évalués par le collecteur des impôts à 50 000 livres sterling et au-delà, c'est-à-dire que leur nombre est monté, en une seule année, de 67 à 80. Le même Tableau dévoile le fait curieux que 3 000 personnes à peu près partagent entre elles un revenu annuel d'environ 25 000 000 de livres sterling, plus que la somme totale distribuée annuellement entre tous les laboureurs de l'Angleterre et du Pays de Galles. Ouvrez le registre du cens de 1861, et vous trouverez que le nombre des propriétaires terriens en Angleterre et dans le Pays de Galles s'est réduit de 16 934 en 1851 à 15 066 en 1861 ; qu'ainsi la concentration de la propriété du sol s'est accrue en dix années de 11 %. Si la concentration de la propriété foncière dans les mains d'un petit nombre suit toujours le même progrès, la question agraire deviendra singulièrement simplifiée, comme elle l'était dans l'Empire romain quand Néron eut un fin sourire à la nouvelle que la moitié de la province d'Afrique était possédée par six chevaliers.
Nous nous sommes appesantis sur ces «faits si étonnants qu'ils sont presque incroyables», parce que l'Angleterre est à la tête de l'Europe commerciale et industrielle. Rappelez-vous qu'il y a quelques mois à peine, un des fils réfugiés de Louis-Philippe félicitait publiquement le travailleur agricole anglais de la supériorité de son lot par rapport à celui, moins prospère, de ses camarades de l'autre côté de la Manche. En vérité, si nous tenons compte de la différence des circonstances locales, nous voyons les faits anglais se reproduire sur une plus petite échelle, dans tous les pays industriels et progressifs du continent. Depuis 1848, un développement inouï de l'industrie et une expansion inimaginable des exportations et des importations ont eu lieu dans ces pays. Partout «la montée de richesses et de puissance entièrement limitée aux classes possédantes» a été réellement «vertigineuse». Partout, comme en Angleterre, une petite minorité de la classe ouvrière a obtenu une légère augmentation du salaire réel ; mais, dans la plupart des cas, la hausse du salaire nominal ne dénotait pas plus l'accroissement du bien-être des salariés que l'élévation du coût de l'entretien des pensionnaires, par exemple, à l'hôpital des pauvres ou dans l'asile des orphelins de la métropole, de 7 livres 7 shillings 4 pence en 1852, à 9 livres 15 sh. 8 p. en 1861, ne leur bénéficie ni n'augmente leur bien-être. Partout les grandes masses de la classe laborieuse descendaient toujours plus bas, dans la même proportion au moins que les classes placées au-dessus d'elle montaient plus haut sur l'échelle sociale. Dans tous les pays de l'Europe -- c'est devenu actuellement une vérité incontestable pour tout esprit impartial, et déniée par ceux-là seuls dont l'intérêt consiste à promettre aux autres monts et merveilles -- , ni le perfectionnement des machines, ni l'application de la science à la production, ni la découverte de nouvelles communications, ni les nouvelles colonies, ni l'émigration, ni la création de nouveaux débouchés, ni le libre-échange, ni toutes ces choses ensemble ne supprimeront la misère des classes laborieuses ; au contraire, tant qu'existera la base défectueuse d'à-présent, chaque nouveau progrès des forces productives du travail aggravera de toute nécessité les contrastes sociaux et fera davantage ressortir l'antagonisme social. Durant cette «vertigineuse» époque de progression économique, la mort d'inanition s'est élevée à la hauteur d'une institution sociale dans la métropole britannique. Cette époque est marquée, dans les annales du monde, par les retours accélérés, par l'étendue de plus en plus vaste et par les effets de plus en plus meurtriers de la peste sociale appelée la crise commerciale et industrielle.
Après la défaite des révolutions de 1848, toutes les associations et tous les journaux politiques des classes ouvrières furent écrasés sur le continent par la main brutale de la force ; les plus avancés parmi les fils du travail s'enfuirent désespérés outre Atlantique, aux Etats-Unis, et les rêves éphémères d'affranchissement s'évanouirent devant une époque de fièvre industrielle, de marasme moral et de réaction politique. Dû en partie à la diplomatie anglaise qui agissait, alors comme maintenant dans un esprit de fraternelle solidarité avec le cabinet de Saint-Pétersbourg, l'échec de la classe ouvrière continentale répandit bientôt ses effets contagieux de ce côté de la Manche. La défaite de leurs frères du continent, en faisant perdre tout courage aux ouvriers anglais, toute foi dans leur propre cause, rendait en même temps aux seigneurs terriens et aux puissances d'argent leur confiance quelque peu ébranlée. Ils retirèrent insolemment les concessions déjà annoncées. La découverte de nouveaux terrains aurifères amena une immense émigration et creusa un vide irréparable dans les rangs du prolétariat de la Grande-Bretagne. D'autres, parmi ses membres les plus actifs jusque-là, furent séduits par l'appât temporaire d'un travail plus abondant et de salaires plus élevés et devinrent ainsi des «briseurs de grève politiques». En vain essaya-t-on d'entretenir ou de réformer le mouvement chartiste, tous les efforts échouèrent complètement. Dans la presse, les organes de la classe ouvrière moururent l'un après l'autre de l'apathie des masses et, en fait, jamais l'ouvrier anglais n'avait paru accepter si entièrement sa nullité politique. Si autrefois il n'y avait pas eu solidarité d'action entre la classe ouvrière de la Grande-Bretagne et celle du continent, maintenant il y a, en tout cas, entre elles, solidarité de défaite.
Cependant cette période écoulée depuis les révolutions de 1848 a eu aussi ses compensations. Nous n'indiquerons ici que deux faits très importants.
Après une lutte de trente années, soutenue avec la plus admirable persévérance, la classe ouvrière anglaise, profitant d'une brouille momentanée entre les maîtres de la terre et les maîtres de l'argent, réussit à enlever le bill de dix heures. Les immenses bienfaits physiques, moraux et intellectuels qui en résultèrent pour les ouvriers des manufactures ont été enregistrés dans les rapports bisannuels des inspecteurs des fabriques et, de tous côtés, on se plaît maintenant à les reconnaître. La plupart des gouvernements continentaux furent obligés d'accepter la loi anglaise dans les manufactures, sous une forme plus ou moins modifiée, et le Parlement anglais est lui-même chaque année forcé d'étendre et d'élargir le cercle de son action. Mais à côté de son utilité pratique, il y a dans la loi certains autres caractères bien faits pour en rehausser le merveilleux succès. Par la bouche de ses savants les plus connus, tels que le docteur Ure, le professeur Senior et autres philosophes de cette trempe, la classe moyenne avait prédit et allait répétant que toute intervention de la loi pour limiter les heures de travail devait sonner le glas de l'industrie anglaise qui, semblable au vampire, ne pouvait vivre que de sang, et du sang des enfants, par-dessus le marché. Jadis, le meurtre d'un enfant était un rite mystérieux de la religion de Moloch, mais on ne le pratiquait qu'en des occasions très solennelles, une fois par an peut-être, et encore Moloch n'avait-il pas de penchant exclusif pour les enfants du pauvre. Ce qui dans cette question de la limitation légale des heures de travail, donnait au conflit un véritable caractère d'acharnement et de fureur, c'est que, sans parler de l'avarice en émoi, il s'agissait là de la grande querelle entre le jeu aveugle de l'offre et de la demande, qui est toute l'économie politique de la classe bourgeoise, et la production sociale contrôlée et régie par la prévoyance sociale, qui constitue l'économie politique de la classe ouvrière. Le bill des dix heures ne fut donc pas seulement un important succès pratique ; ce fut aussi le triomphe d'un principe; pour la première fois, au grand jour, l'économie politique de la bourgeoisie avait été battue par l'économie politique de la classe ouvrière.
Mais il était réservé à l'économie politique du travail de remporter bientôt un triomphe plus complet encore sur l'économie politique de la propriété. Nous voulons parler du mouvement coopératif et surtout des manufactures coopératives créées par l'initiative isolée de quelques «bras» [3] entreprenants. La valeur de ces grandes expériences sociales ne saurait être surfaite. Elles ont montré par des faits, non plus par de simples arguments, que la production sur une grande échelle et au niveau des exigences de la science moderne pouvait se passer d'une classe de patrons employant une classe de salariés; elles ont montré qu'il n'était pas nécessaire pour le succès de la production que l'instrument de travail fût monopolisé et servît d'instrument de domination et d'extorsion contre le travailleur lui-même; elles ont montré que comme le travail esclave, comme le travail serf, le travail salarié n'était qu'une forme transitoire et inférieure, destinée à disparaître devant le travail associé exécuté avec entrain, dans la joie et le bon vouloir. En Angleterre, c'est Robert Owen qui jeta les germes du système coopératif ; les entreprises des ouvriers, tentées sur le continent, ne furent en fait que la réalisation pratique des théories non découvertes, mais hautement proclamées en 1848.
En même temps, l'expérience de cette période (1848-1864) a prouvé jusqu'à l'évidence que, si excellent qu'il fût en principe, si utile qu'il se montrât dans l'application, le travail coopératif, limité étroitement aux efforts accidentels et particuliers des ouvriers, ne pourra jamais arrêter le développement, en proportion géométrique, du monopole, ni affranchir les masses, ni même alléger un tant soit peu le fardeau de leurs misères. C'est peut-être précisément le motif qui a décidé de grands seigneurs bien intentionnés, des hâbleurs-philanthropes bourgeois et même des économistes pointus à accabler tout à coup d'éloges affadissants ce système coopératif qu'ils avaient en vain essayé d'écraser, lorsqu'il venait à peine d'éclore, ce système coopératif qu'ils représentaient alors d'un ton railleur comme une utopie de rêveur, ou qu'ils anathématisaient comme un sacrilège de socialiste. Pour affranchir les masses travailleuses, la coopération doit atteindre un développement national et, par conséquent, être soutenue et propagée par des moyens nationaux. Mais les seigneurs de la terre et les seigneurs du capital se serviront toujours de leurs privilèges politiques pour défendre et perpétuer leurs privilèges économiques. Bien loin de pousser à l'émancipation du travail, ils continueront à y opposer le plus d'obstacles possible. Qu'on se rappelle avec quel dédain lord Palmerston rembarra les défenseurs du bill sur les droits des tenanciers irlandais présenté pendant la dernière session. «La Chambre des Communes, s'écria-t-il, est une chambre de propriétaires fonciers !»
La conquête du pouvoir politique est donc devenue le premier devoir de la classe ouvrière. Elle semble l'avoir compris, car en Angleterre, en Allemagne, en Italie, en France, on a vu renaître en même temps ces aspirations communes, et en même temps aussi des efforts ont été faits pour réorganiser politiquement le parti des travailleurs.
Il est un élément de succès que ce parti possède: il a le nombre; mais le nombre ne pèse dans la balance que s'il est uni par l'association et guidé par le savoir. L'expérience du passé nous a appris comment l'oubli de ces liens fraternels qui doivent exister entre les travailleurs des différents pays et les exciter à se soutenir les uns les autres dans toutes leurs luttes pour l'affranchissement, sera puni par la défaite commune de leurs entreprises divisées. C'est poussés par cette pensée que les travailleurs de différents pays, réunis en un meeting public à Saint-Martin's Hall le 28 septembre 1864, ont résolu de fonder l'Association Internationale
Une autre conviction encore a inspiré ce meeting.
Si l'émancipation des classes travailleuses requiert leur union et leur concours fraternels, comment pourraient-elles accomplir cette grande mission si une politique étrangère, qui poursuit des desseins criminels, met en jeu les préjugés nationaux et fait couler dans des guerres de piraterie le sang et dilapide le bien du peuple? Ce n'est pas la prudence des classes gouvernantes de l'Angleterre, mais bien la résistance héroïque de la classe ouvrière à leur criminelle folie qui a épargné à l'Europe occidentale l'infamie d'une croisade pour le maintien et le développement de l'esclavage outre Atlantique. L'approbation sans pudeur, la sympathie dérisoire ou l'indifférence stupide avec lesquelles les classes supérieures d'Europe ont vu la Russie saisir comme une proie les montagnes-forteresses du Caucase et assassiner l'héroïque Pologne, les empiétements immenses et sans entrave de cette puissance barbare dont la tête est à Saint-Pétersbourg et dont on retrouve la main dans tous les cabinets d'Europe, ont appris aux travailleurs qu'il leur fallait se mettre au courant des mystères de la politique internationale, surveiller la conduite diplomatique de leurs gouvernements respectifs, la combattre au besoin par tous les moyens en leur pouvoir, et enfin lorsqu'ils seraient impuissants à rien empêcher, s'entendre pour une protestation commune et revendiquer les simples lois de la morale et de la justice qui devraient gouverner les rapports entre individus, comme lois suprêmes dans le commerce des nations.
Combattre pour une politique étrangère de cette nature, c'est prendre part à la lutte générale pour l'affranchissement des travailleurs.
Prolétaires de tous les pays, unissez-vous !



#36 AURE

AURE

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Posté 22 novembre 2014 - 01:49

 

Il y a bien sur des liens. Je suis un lecteur assidu, autant que je le peux, de Marx. Rien de plus poignant que son oeuvre sur les travailleurs anglais, qui, si on la prolonge dans notre actualité, rappelle les travailleurs chinois. Allez je poste ce magnifique texte qui est d'une actualité totale :
 
Ouvriers,
C'est un fait très remarquable que la misère des masses travailleuses n'a pas diminué de 1848 à 1864, et pourtant cette période défie toute comparaison pour le développement de l'industrie et l'extension du commerce. En 1850, un organe modéré de la bourgeoisie anglaise, très bien informé d'ordinaire, prédisait que si l'exportation et l'importation de l'Angleterre s'élevaient de 50 %, le paupérisme tomberait à zéro. Hélas ! le 7 avril 1864, le chancelier de l'Echiquier charmait son auditoire parlementaire en lui annonçant que le commerce anglais d'importation et d'exportation était monté en 1863 «à 443 955 000 livres sterling, somme étonnante qui surpasse presque des deux tiers le commerce de l'époque, relativement récente, de 1843». Mais en même temps, il parlait éloquemment de la «misère». «Songez, s'écria-t-il, à ceux qui vivent sur le bord de cet horrible état», aux «salaires qui n'augmentent point», à la «vie humaine qui, dans neuf cas sur dix, n'est qu'une lutte pour l'existence.» Encore ne disait-il rien des Irlandais que remplacent graduellement les machines dans le Nord, les troupeaux de moutons dans le Sud, quoique les moutons eux-mêmes diminuent dans ce malheureux pays, moins rapidement, il est vrai, que les hommes. Il ne répétait pas ce que venaient de dévoiler, dans un accès soudain de terreur, les représentants les plus élevés des dix mille supérieurs. Lorsque la panique des garrotteurs [1] atteignit un certain degré, la Chambre des Lords fit faire une enquête et un rapport sur la transportation et la servitude pénales. La vérité fut ainsi révélée dans le volumineux Livre bleu de 1863, et il fut démontré, par des faits et chiffres officiels, que les pires des criminels condamnés, les forçats de l'Angleterre et de l'Ecosse, travaillaient beaucoup moins et étaient beaucoup mieux nourris que les travailleurs agricoles des mêmes pays. Mais ce n'est pas tout. Quand la guerre civile d'Amérique eut jeté sur le pavé les ouvriers des comtés de Lancaster et de Chester, la même Chambre des Lords envoya un médecin dans les provinces manufacturières, en le chargeant de rechercher le minimum de carbone et d'azote, administrable sous la forme la plus simple et la moins chère, qui pût suffire en moyenne «à prévenir les maladies causées par la famine». Le docteur Smith, le médecin délégué, trouva que 28 000 grains de carbone et 1 330 grains d'azote par semaine étaient nécessaires, en moyenne, à un adulte... uniquement pour le préserver des maladies causées par la famine ; de plus, il trouva que cette quantité n'était pas fort éloignée de la maigre nourriture à laquelle l'extrême détresse venait de réduire les ouvriers cotonniers [2]. Mais, écoutez encore. Le même savant médecin fut, un peu plus tard, délégué de nouveau par le département médical du Conseil privé, afin d'examiner la nourriture des classes travailleuses les plus pauvres. Le Sixième rapport sur l'état dis la santé publique, publié par ordre du Parlement, dans le courant de cette année, contient le résultat de ses recherches. Qu'a découvert le docteur ? Que les tisseurs en soie, les couturières, les gantiers, les tisserands de bas, etc., ne recevaient pas toujours, en moyenne, la misérable pitance des ouvriers cotonniers, pas même la quantité de carbone et d'azote «suffisant uniquement à prévenir les maladies causées par la famine».
«En outre, nous citons textuellement le rapport, l'examen de l'état des familles agricoles a démontré que plus du cinquième d'entre elles est réduit à une quantité moins que suffisante d'aliments carboniques, et plus du tiers à une quantité moins que suffisante d'aliments azotés ; que dans trois comtés, Berkshire, Oxfordshire et Somersetshire, l'insuffisance des aliments azotés est, en moyenne, le régime local.» «Il ne faut pas oublier, ajoute le rapport officiel, que la privation de nourriture n'est supportée qu'avec répugnance, et qu'en règle générale, le manque de nourriture suffisante n'arrive jamais que précédé de bien d'autres privations... La propreté même est regardée comme une chose très chère et difficile, et, quand le respect de soi-même s'efforce de l'entretenir, chaque effort de la sorte est nécessairement payé par un surcroît des tortures de la faim.» «Ce sont des réflexions d'autant plus douloureuses, qu'il ne s'agit pas ici de la misère méritée par la paresse, mais, dans tous les cas, de la détresse d'une population travailleuse. En fait, le travail qui n'assure qu'une si maigre pitance est, pour la plupart, extrêmement long.» Le rapport dévoile ce fait étrange et même inattendu que «de toutes les parties du Royaume-Uni» (c'est-à-dire l'Angleterre, le Pays de Galles, l'Ecosse et l'Irlande) «c'est la population agricole de l'Angleterre», précisément de la partie la plus opulente, «qui est incontestablement la plus mal nourrie», mais que même les plus pauvres laboureurs des comtés de Berks, d'Oxford et de Somerset sont beaucoup mieux nourris que la plupart des ouvriers de l'Etat de Londres, travaillant à domicile.
Telles sont les données officielles publiées par ordre du Parlement, en 1864, dans le millénaire du libre-échange, au moment même où le chancelier de l'Echiquier racontait à la Chambre des Communes que «la condition des ouvriers anglais s'est améliorée, en moyenne, d'une manière si extraordinaire que nous n'en connaissons point d'exemple dans l'histoire d'aucun pays, ni d'aucun âge». De quel son discordant ces exaltations officielles sont percées par une brève remarque du non moins officiel Rapport sur l'état de la santé publique : «La santé publique d'un pays signifie la santé de ses masses, et il est presque impossible que les masses soient bien portantes, si elles ne jouissent pas, jusqu'au plus bas de l'échelle sociale, au moins du plus modeste bien-être.»
Ebloui par le «Progrès de la Nation», le chancelier de l'Echiquier voit danser devant ses yeux les chiffres de ses statistiques. C'est avec un accent de véritable extase qu'il s'écrie : «De 1842 à 1852, le revenu imposable du pays s'est accru de 6 % ; dans les huit années de 1853 à 1861, il s'est accru de 20 %, si l'on prend pour base 1853 ; c'est un fait si étonnant qu'il est presque incroyable !... Cette vertigineuse montée de richesses et de puissance, ajoute W. Gladstone, se limite entièrement aux classes possédantes.»
Si vous voulez savoir à quelles conditions de santé perdue, de morale flétrie et de ruine intellectuelle, cette «vertigineuse montée de richesses et de puissance, limitée entièrement aux classes possédantes», a été et est produite par les classes laborieuses, voyez la description qui est faite des ateliers de couture pour hommes et pour dames, et d'imprimeries, dans le dernier «Rapport sur l'état de la santé publique». Comparez le «Rapport de la commission pour examiner le travail des enfants», où il est constaté, par exemple, que la classe des potiers, hommes et femmes, présente une population très dégénérée, tant sous le rapport physique que sous le rapport intellectuel ; que «les enfants infirmes deviennent ensuite des parents infirmes» ; que «la dégénération de la race en est une conséquence absolue»; que «la dégénération de la population du comté de Staffer serait beaucoup plus avancée, n'était le recrutement continuel des pays adjacents et les mariages mixtes avec des races plus robustes». Jetez un coup d'oeil sur le Livre bleu de M. Tremenheere : Griefs et plaintes des journaliers boulangers. Et qui n'a pas frissonné en lisant ce paradoxe des inspecteurs des fabriques, certifié par le Registrar General, d'après lequel la santé des ouvriers du comté de Lancaster s'est améliorée considérablement, quoiqu'ils soient réduits à la plus misérable nourriture, parce que le manque de coton les a chassés des fabriques cotonnières, que la mortalité infantile a diminué, parce que, enfin, il est permis aux mères de donner le sein aux nouveau-nés, au lieu du cordial de Godfrey.
Mais retournez encore une fois la médaille ! Le Tableau de l'impôt des revenus et des propriétés, présenté à la Chambre des Communes le 20 juillet 1864, nous apprend que du 5 avril 1862 au 5 avril 1863, treize personnes ont grossi les rangs de ceux dont les revenus annuels sont évalués par le collecteur des impôts à 50 000 livres sterling et au-delà, c'est-à-dire que leur nombre est monté, en une seule année, de 67 à 80. Le même Tableau dévoile le fait curieux que 3 000 personnes à peu près partagent entre elles un revenu annuel d'environ 25 000 000 de livres sterling, plus que la somme totale distribuée annuellement entre tous les laboureurs de l'Angleterre et du Pays de Galles. Ouvrez le registre du cens de 1861, et vous trouverez que le nombre des propriétaires terriens en Angleterre et dans le Pays de Galles s'est réduit de 16 934 en 1851 à 15 066 en 1861 ; qu'ainsi la concentration de la propriété du sol s'est accrue en dix années de 11 %. Si la concentration de la propriété foncière dans les mains d'un petit nombre suit toujours le même progrès, la question agraire deviendra singulièrement simplifiée, comme elle l'était dans l'Empire romain quand Néron eut un fin sourire à la nouvelle que la moitié de la province d'Afrique était possédée par six chevaliers.
Nous nous sommes appesantis sur ces «faits si étonnants qu'ils sont presque incroyables», parce que l'Angleterre est à la tête de l'Europe commerciale et industrielle. Rappelez-vous qu'il y a quelques mois à peine, un des fils réfugiés de Louis-Philippe félicitait publiquement le travailleur agricole anglais de la supériorité de son lot par rapport à celui, moins prospère, de ses camarades de l'autre côté de la Manche. En vérité, si nous tenons compte de la différence des circonstances locales, nous voyons les faits anglais se reproduire sur une plus petite échelle, dans tous les pays industriels et progressifs du continent. Depuis 1848, un développement inouï de l'industrie et une expansion inimaginable des exportations et des importations ont eu lieu dans ces pays. Partout «la montée de richesses et de puissance entièrement limitée aux classes possédantes» a été réellement «vertigineuse». Partout, comme en Angleterre, une petite minorité de la classe ouvrière a obtenu une légère augmentation du salaire réel ; mais, dans la plupart des cas, la hausse du salaire nominal ne dénotait pas plus l'accroissement du bien-être des salariés que l'élévation du coût de l'entretien des pensionnaires, par exemple, à l'hôpital des pauvres ou dans l'asile des orphelins de la métropole, de 7 livres 7 shillings 4 pence en 1852, à 9 livres 15 sh. 8 p. en 1861, ne leur bénéficie ni n'augmente leur bien-être. Partout les grandes masses de la classe laborieuse descendaient toujours plus bas, dans la même proportion au moins que les classes placées au-dessus d'elle montaient plus haut sur l'échelle sociale. Dans tous les pays de l'Europe -- c'est devenu actuellement une vérité incontestable pour tout esprit impartial, et déniée par ceux-là seuls dont l'intérêt consiste à promettre aux autres monts et merveilles -- , ni le perfectionnement des machines, ni l'application de la science à la production, ni la découverte de nouvelles communications, ni les nouvelles colonies, ni l'émigration, ni la création de nouveaux débouchés, ni le libre-échange, ni toutes ces choses ensemble ne supprimeront la misère des classes laborieuses ; au contraire, tant qu'existera la base défectueuse d'à-présent, chaque nouveau progrès des forces productives du travail aggravera de toute nécessité les contrastes sociaux et fera davantage ressortir l'antagonisme social. Durant cette «vertigineuse» époque de progression économique, la mort d'inanition s'est élevée à la hauteur d'une institution sociale dans la métropole britannique. Cette époque est marquée, dans les annales du monde, par les retours accélérés, par l'étendue de plus en plus vaste et par les effets de plus en plus meurtriers de la peste sociale appelée la crise commerciale et industrielle.
Après la défaite des révolutions de 1848, toutes les associations et tous les journaux politiques des classes ouvrières furent écrasés sur le continent par la main brutale de la force ; les plus avancés parmi les fils du travail s'enfuirent désespérés outre Atlantique, aux Etats-Unis, et les rêves éphémères d'affranchissement s'évanouirent devant une époque de fièvre industrielle, de marasme moral et de réaction politique. Dû en partie à la diplomatie anglaise qui agissait, alors comme maintenant dans un esprit de fraternelle solidarité avec le cabinet de Saint-Pétersbourg, l'échec de la classe ouvrière continentale répandit bientôt ses effets contagieux de ce côté de la Manche. La défaite de leurs frères du continent, en faisant perdre tout courage aux ouvriers anglais, toute foi dans leur propre cause, rendait en même temps aux seigneurs terriens et aux puissances d'argent leur confiance quelque peu ébranlée. Ils retirèrent insolemment les concessions déjà annoncées. La découverte de nouveaux terrains aurifères amena une immense émigration et creusa un vide irréparable dans les rangs du prolétariat de la Grande-Bretagne. D'autres, parmi ses membres les plus actifs jusque-là, furent séduits par l'appât temporaire d'un travail plus abondant et de salaires plus élevés et devinrent ainsi des «briseurs de grève politiques». En vain essaya-t-on d'entretenir ou de réformer le mouvement chartiste, tous les efforts échouèrent complètement. Dans la presse, les organes de la classe ouvrière moururent l'un après l'autre de l'apathie des masses et, en fait, jamais l'ouvrier anglais n'avait paru accepter si entièrement sa nullité politique. Si autrefois il n'y avait pas eu solidarité d'action entre la classe ouvrière de la Grande-Bretagne et celle du continent, maintenant il y a, en tout cas, entre elles, solidarité de défaite.
Cependant cette période écoulée depuis les révolutions de 1848 a eu aussi ses compensations. Nous n'indiquerons ici que deux faits très importants.
Après une lutte de trente années, soutenue avec la plus admirable persévérance, la classe ouvrière anglaise, profitant d'une brouille momentanée entre les maîtres de la terre et les maîtres de l'argent, réussit à enlever le bill de dix heures. Les immenses bienfaits physiques, moraux et intellectuels qui en résultèrent pour les ouvriers des manufactures ont été enregistrés dans les rapports bisannuels des inspecteurs des fabriques et, de tous côtés, on se plaît maintenant à les reconnaître. La plupart des gouvernements continentaux furent obligés d'accepter la loi anglaise dans les manufactures, sous une forme plus ou moins modifiée, et le Parlement anglais est lui-même chaque année forcé d'étendre et d'élargir le cercle de son action. Mais à côté de son utilité pratique, il y a dans la loi certains autres caractères bien faits pour en rehausser le merveilleux succès. Par la bouche de ses savants les plus connus, tels que le docteur Ure, le professeur Senior et autres philosophes de cette trempe, la classe moyenne avait prédit et allait répétant que toute intervention de la loi pour limiter les heures de travail devait sonner le glas de l'industrie anglaise qui, semblable au vampire, ne pouvait vivre que de sang, et du sang des enfants, par-dessus le marché. Jadis, le meurtre d'un enfant était un rite mystérieux de la religion de Moloch, mais on ne le pratiquait qu'en des occasions très solennelles, une fois par an peut-être, et encore Moloch n'avait-il pas de penchant exclusif pour les enfants du pauvre. Ce qui dans cette question de la limitation légale des heures de travail, donnait au conflit un véritable caractère d'acharnement et de fureur, c'est que, sans parler de l'avarice en émoi, il s'agissait là de la grande querelle entre le jeu aveugle de l'offre et de la demande, qui est toute l'économie politique de la classe bourgeoise, et la production sociale contrôlée et régie par la prévoyance sociale, qui constitue l'économie politique de la classe ouvrière. Le bill des dix heures ne fut donc pas seulement un important succès pratique ; ce fut aussi le triomphe d'un principe; pour la première fois, au grand jour, l'économie politique de la bourgeoisie avait été battue par l'économie politique de la classe ouvrière.
Mais il était réservé à l'économie politique du travail de remporter bientôt un triomphe plus complet encore sur l'économie politique de la propriété. Nous voulons parler du mouvement coopératif et surtout des manufactures coopératives créées par l'initiative isolée de quelques «bras» [3] entreprenants. La valeur de ces grandes expériences sociales ne saurait être surfaite. Elles ont montré par des faits, non plus par de simples arguments, que la production sur une grande échelle et au niveau des exigences de la science moderne pouvait se passer d'une classe de patrons employant une classe de salariés; elles ont montré qu'il n'était pas nécessaire pour le succès de la production que l'instrument de travail fût monopolisé et servît d'instrument de domination et d'extorsion contre le travailleur lui-même; elles ont montré que comme le travail esclave, comme le travail serf, le travail salarié n'était qu'une forme transitoire et inférieure, destinée à disparaître devant le travail associé exécuté avec entrain, dans la joie et le bon vouloir. En Angleterre, c'est Robert Owen qui jeta les germes du système coopératif ; les entreprises des ouvriers, tentées sur le continent, ne furent en fait que la réalisation pratique des théories non découvertes, mais hautement proclamées en 1848.
En même temps, l'expérience de cette période (1848-1864) a prouvé jusqu'à l'évidence que, si excellent qu'il fût en principe, si utile qu'il se montrât dans l'application, le travail coopératif, limité étroitement aux efforts accidentels et particuliers des ouvriers, ne pourra jamais arrêter le développement, en proportion géométrique, du monopole, ni affranchir les masses, ni même alléger un tant soit peu le fardeau de leurs misères. C'est peut-être précisément le motif qui a décidé de grands seigneurs bien intentionnés, des hâbleurs-philanthropes bourgeois et même des économistes pointus à accabler tout à coup d'éloges affadissants ce système coopératif qu'ils avaient en vain essayé d'écraser, lorsqu'il venait à peine d'éclore, ce système coopératif qu'ils représentaient alors d'un ton railleur comme une utopie de rêveur, ou qu'ils anathématisaient comme un sacrilège de socialiste. Pour affranchir les masses travailleuses, la coopération doit atteindre un développement national et, par conséquent, être soutenue et propagée par des moyens nationaux. Mais les seigneurs de la terre et les seigneurs du capital se serviront toujours de leurs privilèges politiques pour défendre et perpétuer leurs privilèges économiques. Bien loin de pousser à l'émancipation du travail, ils continueront à y opposer le plus d'obstacles possible. Qu'on se rappelle avec quel dédain lord Palmerston rembarra les défenseurs du bill sur les droits des tenanciers irlandais présenté pendant la dernière session. «La Chambre des Communes, s'écria-t-il, est une chambre de propriétaires fonciers !»
La conquête du pouvoir politique est donc devenue le premier devoir de la classe ouvrière. Elle semble l'avoir compris, car en Angleterre, en Allemagne, en Italie, en France, on a vu renaître en même temps ces aspirations communes, et en même temps aussi des efforts ont été faits pour réorganiser politiquement le parti des travailleurs.
Il est un élément de succès que ce parti possède: il a le nombre; mais le nombre ne pèse dans la balance que s'il est uni par l'association et guidé par le savoir. L'expérience du passé nous a appris comment l'oubli de ces liens fraternels qui doivent exister entre les travailleurs des différents pays et les exciter à se soutenir les uns les autres dans toutes leurs luttes pour l'affranchissement, sera puni par la défaite commune de leurs entreprises divisées. C'est poussés par cette pensée que les travailleurs de différents pays, réunis en un meeting public à Saint-Martin's Hall le 28 septembre 1864, ont résolu de fonder l'Association Internationale
Une autre conviction encore a inspiré ce meeting.
Si l'émancipation des classes travailleuses requiert leur union et leur concours fraternels, comment pourraient-elles accomplir cette grande mission si une politique étrangère, qui poursuit des desseins criminels, met en jeu les préjugés nationaux et fait couler dans des guerres de piraterie le sang et dilapide le bien du peuple? Ce n'est pas la prudence des classes gouvernantes de l'Angleterre, mais bien la résistance héroïque de la classe ouvrière à leur criminelle folie qui a épargné à l'Europe occidentale l'infamie d'une croisade pour le maintien et le développement de l'esclavage outre Atlantique. L'approbation sans pudeur, la sympathie dérisoire ou l'indifférence stupide avec lesquelles les classes supérieures d'Europe ont vu la Russie saisir comme une proie les montagnes-forteresses du Caucase et assassiner l'héroïque Pologne, les empiétements immenses et sans entrave de cette puissance barbare dont la tête est à Saint-Pétersbourg et dont on retrouve la main dans tous les cabinets d'Europe, ont appris aux travailleurs qu'il leur fallait se mettre au courant des mystères de la politique internationale, surveiller la conduite diplomatique de leurs gouvernements respectifs, la combattre au besoin par tous les moyens en leur pouvoir, et enfin lorsqu'ils seraient impuissants à rien empêcher, s'entendre pour une protestation commune et revendiquer les simples lois de la morale et de la justice qui devraient gouverner les rapports entre individus, comme lois suprêmes dans le commerce des nations.
Combattre pour une politique étrangère de cette nature, c'est prendre part à la lutte générale pour l'affranchissement des travailleurs.
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#37 serioscal

serioscal

    Serialismo Rigoroso

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Posté 22 novembre 2014 - 03:24


Cest, semble-t-il, après la zoologie, le domaine sportif, qui a fait de la série des emplois spécialisés, liés là encore à la classification :  petit groupe formant une subdivision dun classement  (1859). Ainsi, dans le football, ce quon appelle aujourdhui division sappelait autrefois série. A la même époque, le terme apparaît dans le vocabulaire du billard, pour désigner une  suite de points réussis daffilée . Cette fois, lidée denchaînement prime. De même, dans les années 1920, la série est employée en boxe pour désigner une  suite rapide de coups , et en gymnastique pour l enchaînement de mouvements . Ce survol extrêmement superficiel du domaine sportif offre un nouvel aperçu de lambiguité de la série, entre classification et succession.
 
Le mot apparaît dans le vocabulaire commercial vers 18931 dans les expressions série de prix, prix de série. Cest à la même époque que nait lexpression  série noire  pour désigner une  suite dévénements pénibles ou de catastrophes . Le GRH estime que lexpression  vient de ce que ces événements isolés semblent obéir à une sorte de logique interne . Lexpression  en série , du type fabrication en série, est attestée en 1903, et désigne un  grand nombre dobjets identiques . Si, au XIXe siècle, sébauche lassimilation de série et du même, ce nest quà partir de ce moment que ce trait de signification se cristallise ; il nest pas improbable que cette locution soit à la base dune nouvelle signification de série, suite dobjets ou dévénements identiques. On notera quen électricité, le montage en série, qui soppose au montage en parallèles, date de 1881.
 
A lidée de succession, denchaînement, sest combinée celle déléments analogues, de même nature, puis déléments identiques. Au XXe siècle, sest confirmée la tendance par laquelle, de plus en plus, le sériel se trouvait identfié à la production du même, de lidentique. Il resterait à voir comment, de la notion de production en série (qui semble le plus ancien témoignage de lassimilation du terme série et de lidée de même) on est passé aux séries tékévisées2. Incontestablement, dans le vocabulaire courant, ces deux acceptions sont celles qui dominent actuellement. Passée du domaine éditorial au domaine audiovisuel, la série est devenue lune des formes privilégiées des médias actuels, au point que sur le modèle de film-culte, est née lexpression  série-culte  :  Derrière la série culte de TF1, AB production , lisait-on voici quelques années au chapeau dun article journalistique voué à la détestation du  sit-com  Hélène et les garçons.
 
Dans le domaine de la presse, une enquête plus rigoureuse que ce travail ne le permet serait à effectuer, mais il semble que la notion de série se soit, là encore, déplacée. La série désignait au XIXe siècle plutôt le tirage dun livre3, ou encore la collection4, éventuellement (ce quon trouve chez Léon Bloy) les parties dun ouvrages composé dune succession de courtes pièces. La série, aujourdhui, est une sorte de feuilleton. Série est ainsi le terme générique employé pour lédition française des comics américains5. Voici par exemple ce quécrivait un lecteur de la revue Titans, dans les années quatre-vingt, pour aider léditeur à résorber les retards pris dans la publication de lune des deux séries impliquant lAraignée :
 
Première solution, supprimer pendant le temps nécessaire (1 an et demi je crois) la série Peter Parker et la remplacer par les Envahisseurs ou une série interrompue ou même par une série ne contenant que 18 épisodes.6
 
La série est apparemment une réalité très forte, dans tout ce  courrier  de Titans. Ainsi, disent les éditeurs, nous recevons des avalanches de lettres qui nous disent : Cette série est mauvaise, ôtez-la . La série plait, est bien ou mal dessinée, est interrompue, etc. Resterait à voir, dans ce type de publications, où le courrier des lecteurs peut jouer un rôle considérable (puisquil dit au lecteur ce quil est, et dans un même mouvement, ce quil lit), la part de la répétition. On mettrait ainsi à lépreuve certaines des thèses dUmberto Eco. Même pour ces publications, dont la valeur est secondaire7, et même est dêtre secondaire, il serait plus exact de parler de renouvellement que de répétition. Car lépisode nest pas la répétition de lépisode précédent, mais seulement comporte un élément de répétition.
 
Pourtant la production en série, les séries télévisées et radiophoniques, lexpression hors-série dans le domaine des revues périodiques, vont dans un même sens, et tendent à faire de série un signifiant de la répétition et de lautomatisme. Le phénomène dailleurs est loin dêtre spécifiquement français. En témoigne la récente locution tueur en série, simple traduction de langlais serial killer. La série est un témoin idéologique.
 

1 La datation reprend celles du GLLF et du TLF. On se gardera de leur conférer une valeur autre quapproximative.

2 Il nest pas impossible que la chose vienne du domaine éditorial, qui depuis le XIXe siècle a fait un abondant usage de série, tant pour déisgner les tirages que les sections dun ouvrage.

3 Je prends au hasard une édition des Choses vues Victor Hugo, Jules Boiff et cie, 5 volumes, n284 à 288, tous estampillés  Nouvelle série .

4 Ce que certaines publications scientifiques, telles que le Bulletin de lAcadémie des sciences, pratiquent encore.

5 Je prends ci-après un exemple de Titans. Il y aurait là encore à opérer un relevé chronologique des apparitions du terme dans lhisroire de ka collection Lug.

6 Patrice Payssot, in Titans,  Le courrier des fans de Titans , n61, 1984, p. 73.

7 Secondaire ? Oui, si lon excepte quelques dessinateurs les plus singuliers, tels Jack Kirby, John Buscema, Franck Miller, Bill Sienkiewicks... Umberto Eco pose la série, production de masse, contre lart  moderniste . La valeur dune oeuvre nest pas fonction de la catégorie doù elle ressort. Les oeuvres de Sienkiewiks et de Miller sont de parfaits exemples de ce quest lindividuation. La déliquescence des formes dans le dessin de Bill Sienkiewicks est dautant plus forte quelle va à lencontre des impératifs industriels et commerciaux. Ainsi, lorsquil reprend, dans les années quatre-vingt, une série jusque là dun intérêt nul -- nul et non avenu -- la série au bout de quelques épisodes est censurée... en France, par léditeur français, Lug, par crainte de perdre le statut de  publication pour la jeunesse .



#38 AURE

AURE

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Posté 22 novembre 2014 - 04:11

Pour savoir qui est Dimitri/Kenny, voilà le genre de messages qu'il envoie :

 

 

touches pas à la fille, mme! Je te connais.
KennyEstVoila

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Envoyé 20 novembre 2014 - 03:54

ne touches pas à la fille, madame. Je te connais.
KennyEstVoila

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Envoyé aujourd'hui, 02:00

Amen, Amen, je te le dis, "madame" etc.


#39 serioscal

serioscal

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Posté 22 novembre 2014 - 05:52

Cest, semble-t-il, après la zoologie, le domaine sportif, qui a fait de la série des emplois spécialisés, liés là encore à la classification :  petit groupe formant une subdivision dun classement  (1859). Ainsi, dans le football, ce quon appelle aujourdhui division sappelait autrefois série. A la même époque, le terme apparaît dans le vocabulaire du billard, pour désigner une  suite de points réussis daffilée . Cette fois, lidée denchaînement prime. De même, dans les années 1920, la série est employée en boxe pour désigner une  suite rapide de coups , et en gymnastique pour l enchaînement de mouvements . Ce survol extrêmement superficiel du domaine sportif offre un nouvel aperçu de lambiguité de la série, entre classification et succession.
 
Le mot apparaît dans le vocabulaire commercial vers 18931 dans les expressions série de prix, prix de série. Cest à la même époque que nait lexpression  série noire  pour désigner une  suite dévénements pénibles ou de catastrophes . Le GRH estime que lexpression  vient de ce que ces événements isolés semblent obéir à une sorte de logique interne . Lexpression  en série , du type fabrication en série, est attestée en 1903, et désigne un  grand nombre dobjets identiques . Si, au XIXe siècle, sébauche lassimilation de série et du même, ce nest quà partir de ce moment que ce trait de signification se cristallise ; il nest pas improbable que cette locution soit à la base dune nouvelle signification de série, suite dobjets ou dévénements identiques. On notera quen électricité, le montage en série, qui soppose au montage en parallèles, date de 1881.
 
A lidée de succession, denchaînement, sest combinée celle déléments analogues, de même nature, puis déléments identiques. Au XXe siècle, sest confirmée la tendance par laquelle, de plus en plus, le sériel se trouvait identfié à la production du même, de lidentique. Il resterait à voir comment, de la notion de production en série (qui semble le plus ancien témoignage de lassimilation du terme série et de lidée de même) on est passé aux séries tékévisées2. Incontestablement, dans le vocabulaire courant, ces deux acceptions sont celles qui dominent actuellement. Passée du domaine éditorial au domaine audiovisuel, la série est devenue lune des formes privilégiées des médias actuels, au point que sur le modèle de film-culte, est née lexpression  série-culte  :  Derrière la série culte de TF1, AB production , lisait-on voici quelques années au chapeau dun article journalistique voué à la détestation du  sit-com  Hélène et les garçons.
 
Dans le domaine de la presse, une enquête plus rigoureuse que ce travail ne le permet serait à effectuer, mais il semble que la notion de série se soit, là encore, déplacée. La série désignait au XIXe siècle plutôt le tirage dun livre3, ou encore la collection4, éventuellement (ce quon trouve chez Léon Bloy) les parties dun ouvrages composé dune succession de courtes pièces. La série, aujourdhui, est une sorte de feuilleton. Série est ainsi le terme générique employé pour lédition française des comics américains5. Voici par exemple ce quécrivait un lecteur de la revue Titans, dans les années quatre-vingt, pour aider léditeur à résorber les retards pris dans la publication de lune des deux séries impliquant lAraignée :
 
Première solution, supprimer pendant le temps nécessaire (1 an et demi je crois) la série Peter Parker et la remplacer par les Envahisseurs ou une série interrompue ou même par une série ne contenant que 18 épisodes.6
 
La série est apparemment une réalité très forte, dans tout ce  courrier  de Titans. Ainsi, disent les éditeurs, nous recevons des avalanches de lettres qui nous disent : Cette série est mauvaise, ôtez-la . La série plait, est bien ou mal dessinée, est interrompue, etc. Resterait à voir, dans ce type de publications, où le courrier des lecteurs peut jouer un rôle considérable (puisquil dit au lecteur ce quil est, et dans un même mouvement, ce quil lit), la part de la répétition. On mettrait ainsi à lépreuve certaines des thèses dUmberto Eco. Même pour ces publications, dont la valeur est secondaire7, et même est dêtre secondaire, il serait plus exact de parler de renouvellement que de répétition. Car lépisode nest pas la répétition de lépisode précédent, mais seulement comporte un élément de répétition.
 
Pourtant la production en série, les séries télévisées et radiophoniques, lexpression hors-série dans le domaine des revues périodiques, vont dans un même sens, et tendent à faire de série un signifiant de la répétition et de lautomatisme. Le phénomène dailleurs est loin dêtre spécifiquement français. En témoigne la récente locution tueur en série, simple traduction de langlais serial killer. La série est un témoin idéologique.
 

1 La datation reprend celles du GLLF et du TLF. On se gardera de leur conférer une valeur autre quapproximative.

2 Il nest pas impossible que la chose vienne du domaine éditorial, qui depuis le XIXe siècle a fait un abondant usage de série, tant pour déisgner les tirages que les sections dun ouvrage.

3 Je prends au hasard une édition des Choses vues Victor Hugo, Jules Boiff et cie, 5 volumes, n284 à 288, tous estampillés  Nouvelle série .

4 Ce que certaines publications scientifiques, telles que le Bulletin de lAcadémie des sciences, pratiquent encore.

5 Je prends ci-après un exemple de Titans. Il y aurait là encore à opérer un relevé chronologique des apparitions du terme dans lhisroire de ka collection Lug.

6 Patrice Payssot, in Titans,  Le courrier des fans de Titans , n61, 1984, p. 73.

7 Secondaire ? Oui, si lon excepte quelques dessinateurs les plus singuliers, tels Jack Kirby, John Buscema, Franck Miller, Bill Sienkiewicks... Umberto Eco pose la série, production de masse, contre lart  moderniste . La valeur dune oeuvre nest pas fonction de la catégorie doù elle ressort. Les oeuvres de Sienkiewiks et de Miller sont de parfaits exemples de ce quest lindividuation. La déliquescence des formes dans le dessin de Bill Sienkiewicks est dautant plus forte quelle va à lencontre des impératifs industriels et commerciaux. Ainsi, lorsquil reprend, dans les années quatre-vingt, une série jusque là dun intérêt nul -- nul et non avenu -- la série au bout de quelques épisodes est censurée... en France, par léditeur français, Lug, par crainte de perdre le statut de  publication pour la jeunesse .



#40 serioscal

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Posté 23 novembre 2014 - 11:38

Il y a bien sur des liens. Je suis un lecteur assidu, autant que je le peux, de Marx. Rien de plus poignant que son oeuvre sur les travailleurs anglais, qui, si on la prolonge dans notre actualité, rappelle les travailleurs chinois. Allez je poste ce magnifique texte qui est d'une actualité totale :
 
Ouvriers,
C'est un fait très remarquable que la misère des masses travailleuses n'a pas diminué de 1848 à 1864, et pourtant cette période défie toute comparaison pour le développement de l'industrie et l'extension du commerce. En 1850, un organe modéré de la bourgeoisie anglaise, très bien informé d'ordinaire, prédisait que si l'exportation et l'importation de l'Angleterre s'élevaient de 50 %, le paupérisme tomberait à zéro. Hélas ! le 7 avril 1864, le chancelier de l'Echiquier charmait son auditoire parlementaire en lui annonçant que le commerce anglais d'importation et d'exportation était monté en 1863 «à 443 955 000 livres sterling, somme étonnante qui surpasse presque des deux tiers le commerce de l'époque, relativement récente, de 1843». Mais en même temps, il parlait éloquemment de la «misère». «Songez, s'écria-t-il, à ceux qui vivent sur le bord de cet horrible état», aux «salaires qui n'augmentent point», à la «vie humaine qui, dans neuf cas sur dix, n'est qu'une lutte pour l'existence.» Encore ne disait-il rien des Irlandais que remplacent graduellement les machines dans le Nord, les troupeaux de moutons dans le Sud, quoique les moutons eux-mêmes diminuent dans ce malheureux pays, moins rapidement, il est vrai, que les hommes. Il ne répétait pas ce que venaient de dévoiler, dans un accès soudain de terreur, les représentants les plus élevés des dix mille supérieurs. Lorsque la panique des garrotteurs [1] atteignit un certain degré, la Chambre des Lords fit faire une enquête et un rapport sur la transportation et la servitude pénales. La vérité fut ainsi révélée dans le volumineux Livre bleu de 1863, et il fut démontré, par des faits et chiffres officiels, que les pires des criminels condamnés, les forçats de l'Angleterre et de l'Ecosse, travaillaient beaucoup moins et étaient beaucoup mieux nourris que les travailleurs agricoles des mêmes pays. Mais ce n'est pas tout. Quand la guerre civile d'Amérique eut jeté sur le pavé les ouvriers des comtés de Lancaster et de Chester, la même Chambre des Lords envoya un médecin dans les provinces manufacturières, en le chargeant de rechercher le minimum de carbone et d'azote, administrable sous la forme la plus simple et la moins chère, qui pût suffire en moyenne «à prévenir les maladies causées par la famine». Le docteur Smith, le médecin délégué, trouva que 28 000 grains de carbone et 1 330 grains d'azote par semaine étaient nécessaires, en moyenne, à un adulte... uniquement pour le préserver des maladies causées par la famine ; de plus, il trouva que cette quantité n'était pas fort éloignée de la maigre nourriture à laquelle l'extrême détresse venait de réduire les ouvriers cotonniers [2]. Mais, écoutez encore. Le même savant médecin fut, un peu plus tard, délégué de nouveau par le département médical du Conseil privé, afin d'examiner la nourriture des classes travailleuses les plus pauvres. Le Sixième rapport sur l'état dis la santé publique, publié par ordre du Parlement, dans le courant de cette année, contient le résultat de ses recherches. Qu'a découvert le docteur ? Que les tisseurs en soie, les couturières, les gantiers, les tisserands de bas, etc., ne recevaient pas toujours, en moyenne, la misérable pitance des ouvriers cotonniers, pas même la quantité de carbone et d'azote «suffisant uniquement à prévenir les maladies causées par la famine».
«En outre, nous citons textuellement le rapport, l'examen de l'état des familles agricoles a démontré que plus du cinquième d'entre elles est réduit à une quantité moins que suffisante d'aliments carboniques, et plus du tiers à une quantité moins que suffisante d'aliments azotés ; que dans trois comtés, Berkshire, Oxfordshire et Somersetshire, l'insuffisance des aliments azotés est, en moyenne, le régime local.» «Il ne faut pas oublier, ajoute le rapport officiel, que la privation de nourriture n'est supportée qu'avec répugnance, et qu'en règle générale, le manque de nourriture suffisante n'arrive jamais que précédé de bien d'autres privations... La propreté même est regardée comme une chose très chère et difficile, et, quand le respect de soi-même s'efforce de l'entretenir, chaque effort de la sorte est nécessairement payé par un surcroît des tortures de la faim.» «Ce sont des réflexions d'autant plus douloureuses, qu'il ne s'agit pas ici de la misère méritée par la paresse, mais, dans tous les cas, de la détresse d'une population travailleuse. En fait, le travail qui n'assure qu'une si maigre pitance est, pour la plupart, extrêmement long.» Le rapport dévoile ce fait étrange et même inattendu que «de toutes les parties du Royaume-Uni» (c'est-à-dire l'Angleterre, le Pays de Galles, l'Ecosse et l'Irlande) «c'est la population agricole de l'Angleterre», précisément de la partie la plus opulente, «qui est incontestablement la plus mal nourrie», mais que même les plus pauvres laboureurs des comtés de Berks, d'Oxford et de Somerset sont beaucoup mieux nourris que la plupart des ouvriers de l'Etat de Londres, travaillant à domicile.
Telles sont les données officielles publiées par ordre du Parlement, en 1864, dans le millénaire du libre-échange, au moment même où le chancelier de l'Echiquier racontait à la Chambre des Communes que «la condition des ouvriers anglais s'est améliorée, en moyenne, d'une manière si extraordinaire que nous n'en connaissons point d'exemple dans l'histoire d'aucun pays, ni d'aucun âge». De quel son discordant ces exaltations officielles sont percées par une brève remarque du non moins officiel Rapport sur l'état de la santé publique : «La santé publique d'un pays signifie la santé de ses masses, et il est presque impossible que les masses soient bien portantes, si elles ne jouissent pas, jusqu'au plus bas de l'échelle sociale, au moins du plus modeste bien-être.»
Ebloui par le «Progrès de la Nation», le chancelier de l'Echiquier voit danser devant ses yeux les chiffres de ses statistiques. C'est avec un accent de véritable extase qu'il s'écrie : «De 1842 à 1852, le revenu imposable du pays s'est accru de 6 % ; dans les huit années de 1853 à 1861, il s'est accru de 20 %, si l'on prend pour base 1853 ; c'est un fait si étonnant qu'il est presque incroyable !... Cette vertigineuse montée de richesses et de puissance, ajoute W. Gladstone, se limite entièrement aux classes possédantes.»
Si vous voulez savoir à quelles conditions de santé perdue, de morale flétrie et de ruine intellectuelle, cette «vertigineuse montée de richesses et de puissance, limitée entièrement aux classes possédantes», a été et est produite par les classes laborieuses, voyez la description qui est faite des ateliers de couture pour hommes et pour dames, et d'imprimeries, dans le dernier «Rapport sur l'état de la santé publique». Comparez le «Rapport de la commission pour examiner le travail des enfants», où il est constaté, par exemple, que la classe des potiers, hommes et femmes, présente une population très dégénérée, tant sous le rapport physique que sous le rapport intellectuel ; que «les enfants infirmes deviennent ensuite des parents infirmes» ; que «la dégénération de la race en est une conséquence absolue»; que «la dégénération de la population du comté de Staffer serait beaucoup plus avancée, n'était le recrutement continuel des pays adjacents et les mariages mixtes avec des races plus robustes». Jetez un coup d'oeil sur le Livre bleu de M. Tremenheere : Griefs et plaintes des journaliers boulangers. Et qui n'a pas frissonné en lisant ce paradoxe des inspecteurs des fabriques, certifié par le Registrar General, d'après lequel la santé des ouvriers du comté de Lancaster s'est améliorée considérablement, quoiqu'ils soient réduits à la plus misérable nourriture, parce que le manque de coton les a chassés des fabriques cotonnières, que la mortalité infantile a diminué, parce que, enfin, il est permis aux mères de donner le sein aux nouveau-nés, au lieu du cordial de Godfrey.
Mais retournez encore une fois la médaille ! Le Tableau de l'impôt des revenus et des propriétés, présenté à la Chambre des Communes le 20 juillet 1864, nous apprend que du 5 avril 1862 au 5 avril 1863, treize personnes ont grossi les rangs de ceux dont les revenus annuels sont évalués par le collecteur des impôts à 50 000 livres sterling et au-delà, c'est-à-dire que leur nombre est monté, en une seule année, de 67 à 80. Le même Tableau dévoile le fait curieux que 3 000 personnes à peu près partagent entre elles un revenu annuel d'environ 25 000 000 de livres sterling, plus que la somme totale distribuée annuellement entre tous les laboureurs de l'Angleterre et du Pays de Galles. Ouvrez le registre du cens de 1861, et vous trouverez que le nombre des propriétaires terriens en Angleterre et dans le Pays de Galles s'est réduit de 16 934 en 1851 à 15 066 en 1861 ; qu'ainsi la concentration de la propriété du sol s'est accrue en dix années de 11 %. Si la concentration de la propriété foncière dans les mains d'un petit nombre suit toujours le même progrès, la question agraire deviendra singulièrement simplifiée, comme elle l'était dans l'Empire romain quand Néron eut un fin sourire à la nouvelle que la moitié de la province d'Afrique était possédée par six chevaliers.
Nous nous sommes appesantis sur ces «faits si étonnants qu'ils sont presque incroyables», parce que l'Angleterre est à la tête de l'Europe commerciale et industrielle. Rappelez-vous qu'il y a quelques mois à peine, un des fils réfugiés de Louis-Philippe félicitait publiquement le travailleur agricole anglais de la supériorité de son lot par rapport à celui, moins prospère, de ses camarades de l'autre côté de la Manche. En vérité, si nous tenons compte de la différence des circonstances locales, nous voyons les faits anglais se reproduire sur une plus petite échelle, dans tous les pays industriels et progressifs du continent. Depuis 1848, un développement inouï de l'industrie et une expansion inimaginable des exportations et des importations ont eu lieu dans ces pays. Partout «la montée de richesses et de puissance entièrement limitée aux classes possédantes» a été réellement «vertigineuse». Partout, comme en Angleterre, une petite minorité de la classe ouvrière a obtenu une légère augmentation du salaire réel ; mais, dans la plupart des cas, la hausse du salaire nominal ne dénotait pas plus l'accroissement du bien-être des salariés que l'élévation du coût de l'entretien des pensionnaires, par exemple, à l'hôpital des pauvres ou dans l'asile des orphelins de la métropole, de 7 livres 7 shillings 4 pence en 1852, à 9 livres 15 sh. 8 p. en 1861, ne leur bénéficie ni n'augmente leur bien-être. Partout les grandes masses de la classe laborieuse descendaient toujours plus bas, dans la même proportion au moins que les classes placées au-dessus d'elle montaient plus haut sur l'échelle sociale. Dans tous les pays de l'Europe -- c'est devenu actuellement une vérité incontestable pour tout esprit impartial, et déniée par ceux-là seuls dont l'intérêt consiste à promettre aux autres monts et merveilles -- , ni le perfectionnement des machines, ni l'application de la science à la production, ni la découverte de nouvelles communications, ni les nouvelles colonies, ni l'émigration, ni la création de nouveaux débouchés, ni le libre-échange, ni toutes ces choses ensemble ne supprimeront la misère des classes laborieuses ; au contraire, tant qu'existera la base défectueuse d'à-présent, chaque nouveau progrès des forces productives du travail aggravera de toute nécessité les contrastes sociaux et fera davantage ressortir l'antagonisme social. Durant cette «vertigineuse» époque de progression économique, la mort d'inanition s'est élevée à la hauteur d'une institution sociale dans la métropole britannique. Cette époque est marquée, dans les annales du monde, par les retours accélérés, par l'étendue de plus en plus vaste et par les effets de plus en plus meurtriers de la peste sociale appelée la crise commerciale et industrielle.
Après la défaite des révolutions de 1848, toutes les associations et tous les journaux politiques des classes ouvrières furent écrasés sur le continent par la main brutale de la force ; les plus avancés parmi les fils du travail s'enfuirent désespérés outre Atlantique, aux Etats-Unis, et les rêves éphémères d'affranchissement s'évanouirent devant une époque de fièvre industrielle, de marasme moral et de réaction politique. Dû en partie à la diplomatie anglaise qui agissait, alors comme maintenant dans un esprit de fraternelle solidarité avec le cabinet de Saint-Pétersbourg, l'échec de la classe ouvrière continentale répandit bientôt ses effets contagieux de ce côté de la Manche. La défaite de leurs frères du continent, en faisant perdre tout courage aux ouvriers anglais, toute foi dans leur propre cause, rendait en même temps aux seigneurs terriens et aux puissances d'argent leur confiance quelque peu ébranlée. Ils retirèrent insolemment les concessions déjà annoncées. La découverte de nouveaux terrains aurifères amena une immense émigration et creusa un vide irréparable dans les rangs du prolétariat de la Grande-Bretagne. D'autres, parmi ses membres les plus actifs jusque-là, furent séduits par l'appât temporaire d'un travail plus abondant et de salaires plus élevés et devinrent ainsi des «briseurs de grève politiques». En vain essaya-t-on d'entretenir ou de réformer le mouvement chartiste, tous les efforts échouèrent complètement. Dans la presse, les organes de la classe ouvrière moururent l'un après l'autre de l'apathie des masses et, en fait, jamais l'ouvrier anglais n'avait paru accepter si entièrement sa nullité politique. Si autrefois il n'y avait pas eu solidarité d'action entre la classe ouvrière de la Grande-Bretagne et celle du continent, maintenant il y a, en tout cas, entre elles, solidarité de défaite.
Cependant cette période écoulée depuis les révolutions de 1848 a eu aussi ses compensations. Nous n'indiquerons ici que deux faits très importants.
Après une lutte de trente années, soutenue avec la plus admirable persévérance, la classe ouvrière anglaise, profitant d'une brouille momentanée entre les maîtres de la terre et les maîtres de l'argent, réussit à enlever le bill de dix heures. Les immenses bienfaits physiques, moraux et intellectuels qui en résultèrent pour les ouvriers des manufactures ont été enregistrés dans les rapports bisannuels des inspecteurs des fabriques et, de tous côtés, on se plaît maintenant à les reconnaître. La plupart des gouvernements continentaux furent obligés d'accepter la loi anglaise dans les manufactures, sous une forme plus ou moins modifiée, et le Parlement anglais est lui-même chaque année forcé d'étendre et d'élargir le cercle de son action. Mais à côté de son utilité pratique, il y a dans la loi certains autres caractères bien faits pour en rehausser le merveilleux succès. Par la bouche de ses savants les plus connus, tels que le docteur Ure, le professeur Senior et autres philosophes de cette trempe, la classe moyenne avait prédit et allait répétant que toute intervention de la loi pour limiter les heures de travail devait sonner le glas de l'industrie anglaise qui, semblable au vampire, ne pouvait vivre que de sang, et du sang des enfants, par-dessus le marché. Jadis, le meurtre d'un enfant était un rite mystérieux de la religion de Moloch, mais on ne le pratiquait qu'en des occasions très solennelles, une fois par an peut-être, et encore Moloch n'avait-il pas de penchant exclusif pour les enfants du pauvre. Ce qui dans cette question de la limitation légale des heures de travail, donnait au conflit un véritable caractère d'acharnement et de fureur, c'est que, sans parler de l'avarice en émoi, il s'agissait là de la grande querelle entre le jeu aveugle de l'offre et de la demande, qui est toute l'économie politique de la classe bourgeoise, et la production sociale contrôlée et régie par la prévoyance sociale, qui constitue l'économie politique de la classe ouvrière. Le bill des dix heures ne fut donc pas seulement un important succès pratique ; ce fut aussi le triomphe d'un principe; pour la première fois, au grand jour, l'économie politique de la bourgeoisie avait été battue par l'économie politique de la classe ouvrière.
Mais il était réservé à l'économie politique du travail de remporter bientôt un triomphe plus complet encore sur l'économie politique de la propriété. Nous voulons parler du mouvement coopératif et surtout des manufactures coopératives créées par l'initiative isolée de quelques «bras» [3] entreprenants. La valeur de ces grandes expériences sociales ne saurait être surfaite. Elles ont montré par des faits, non plus par de simples arguments, que la production sur une grande échelle et au niveau des exigences de la science moderne pouvait se passer d'une classe de patrons employant une classe de salariés; elles ont montré qu'il n'était pas nécessaire pour le succès de la production que l'instrument de travail fût monopolisé et servît d'instrument de domination et d'extorsion contre le travailleur lui-même; elles ont montré que comme le travail esclave, comme le travail serf, le travail salarié n'était qu'une forme transitoire et inférieure, destinée à disparaître devant le travail associé exécuté avec entrain, dans la joie et le bon vouloir. En Angleterre, c'est Robert Owen qui jeta les germes du système coopératif ; les entreprises des ouvriers, tentées sur le continent, ne furent en fait que la réalisation pratique des théories non découvertes, mais hautement proclamées en 1848.
En même temps, l'expérience de cette période (1848-1864) a prouvé jusqu'à l'évidence que, si excellent qu'il fût en principe, si utile qu'il se montrât dans l'application, le travail coopératif, limité étroitement aux efforts accidentels et particuliers des ouvriers, ne pourra jamais arrêter le développement, en proportion géométrique, du monopole, ni affranchir les masses, ni même alléger un tant soit peu le fardeau de leurs misères. C'est peut-être précisément le motif qui a décidé de grands seigneurs bien intentionnés, des hâbleurs-philanthropes bourgeois et même des économistes pointus à accabler tout à coup d'éloges affadissants ce système coopératif qu'ils avaient en vain essayé d'écraser, lorsqu'il venait à peine d'éclore, ce système coopératif qu'ils représentaient alors d'un ton railleur comme une utopie de rêveur, ou qu'ils anathématisaient comme un sacrilège de socialiste. Pour affranchir les masses travailleuses, la coopération doit atteindre un développement national et, par conséquent, être soutenue et propagée par des moyens nationaux. Mais les seigneurs de la terre et les seigneurs du capital se serviront toujours de leurs privilèges politiques pour défendre et perpétuer leurs privilèges économiques. Bien loin de pousser à l'émancipation du travail, ils continueront à y opposer le plus d'obstacles possible. Qu'on se rappelle avec quel dédain lord Palmerston rembarra les défenseurs du bill sur les droits des tenanciers irlandais présenté pendant la dernière session. «La Chambre des Communes, s'écria-t-il, est une chambre de propriétaires fonciers !»
La conquête du pouvoir politique est donc devenue le premier devoir de la classe ouvrière. Elle semble l'avoir compris, car en Angleterre, en Allemagne, en Italie, en France, on a vu renaître en même temps ces aspirations communes, et en même temps aussi des efforts ont été faits pour réorganiser politiquement le parti des travailleurs.
Il est un élément de succès que ce parti possède: il a le nombre; mais le nombre ne pèse dans la balance que s'il est uni par l'association et guidé par le savoir. L'expérience du passé nous a appris comment l'oubli de ces liens fraternels qui doivent exister entre les travailleurs des différents pays et les exciter à se soutenir les uns les autres dans toutes leurs luttes pour l'affranchissement, sera puni par la défaite commune de leurs entreprises divisées. C'est poussés par cette pensée que les travailleurs de différents pays, réunis en un meeting public à Saint-Martin's Hall le 28 septembre 1864, ont résolu de fonder l'Association Internationale
Une autre conviction encore a inspiré ce meeting.
Si l'émancipation des classes travailleuses requiert leur union et leur concours fraternels, comment pourraient-elles accomplir cette grande mission si une politique étrangère, qui poursuit des desseins criminels, met en jeu les préjugés nationaux et fait couler dans des guerres de piraterie le sang et dilapide le bien du peuple? Ce n'est pas la prudence des classes gouvernantes de l'Angleterre, mais bien la résistance héroïque de la classe ouvrière à leur criminelle folie qui a épargné à l'Europe occidentale l'infamie d'une croisade pour le maintien et le développement de l'esclavage outre Atlantique. L'approbation sans pudeur, la sympathie dérisoire ou l'indifférence stupide avec lesquelles les classes supérieures d'Europe ont vu la Russie saisir comme une proie les montagnes-forteresses du Caucase et assassiner l'héroïque Pologne, les empiétements immenses et sans entrave de cette puissance barbare dont la tête est à Saint-Pétersbourg et dont on retrouve la main dans tous les cabinets d'Europe, ont appris aux travailleurs qu'il leur fallait se mettre au courant des mystères de la politique internationale, surveiller la conduite diplomatique de leurs gouvernements respectifs, la combattre au besoin par tous les moyens en leur pouvoir, et enfin lorsqu'ils seraient impuissants à rien empêcher, s'entendre pour une protestation commune et revendiquer les simples lois de la morale et de la justice qui devraient gouverner les rapports entre individus, comme lois suprêmes dans le commerce des nations.
Combattre pour une politique étrangère de cette nature, c'est prendre part à la lutte générale pour l'affranchissement des travailleurs.
Prolétaires de tous les pays, unissez-vous !



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Posté 23 novembre 2014 - 12:34

n n n n n Le sang n
n coule rien le sang
n n n n n coule n n
n rien n n n n au sol
n n rien n non n n n
il n n n n n n n coule
au n n n n n sang il
n n n coule au n n n
n n sol n n n n n n n
n et n n n non n n n n
n n n n coule et n n n
coule n n n au sol n au
sang n n n n n n
au sang n n n n n n n
au n n n n n n

n sang
au
sang le
sang n


i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i le citron

tout
le citron

Tout le sang du citron dans l'assiette,
non.

Eau. Ciel
incliné. L'eau
tombe. Elle
coule
au sol. Au ciel
incliné. Au sol
incliné. Au
sang. C'est l'automne.
Arbres. Et elles
reviennent. C'est l'automne.
Le ciel est incliné.
La pluie frappe aux carreaux de la fenêtre.

On ne peut manquer, quand on voit les personnages haineux des télénovelas, à penser à la trop célèbre notion de "pervers narcissique", désormais tellement galvaudée qu'elle en est devenue inutilisable. On se fache avec quelqu'un et hop ! C'est un pervers narcissique. On jusge quelqu'un égoïste ! Un autre pervers narcissique ! Un homme violent ? Etc.
 
Le livre d'Hirigoyen est bien plus précis que cela et il me semble que Freud avait de la structure narcissique une analyse voisine. Mais je crois que la terminologie d'Hirigoyen doit être quelque peu amendée. Je proposerai pour ma part la notion de "pervers sadique". Parce que les personnages que nous évoquons - et qui ne sont hélas pas spécifiques à la télénivela - se caractérisent avant tout par leur structure sadique.
 
Et vraiment, on aimerait que nos contemporains soient plus prudents avec cette notion. Un des bénéfices - non le moins étonnant - de la télénovela - est de montrer avec beaucoup de nuances le fonctionnement du bourreau - et le voisinage de sa psychologie avec d'autres fonctionnements relationnels où l'on peut déceler de la méchanceté, de la vanité, de la filouterie, voire de la manipulation, mais non ce cas extrême que nous continuerons d'analyser avec des exemples très concrets.

Je dirais pourtant que, s'il y a cri, c'est contre la catégorisation qui voudrait que "sous le ciel rougeoyant, les arbres devenaient des ombres" seraient une extase poétique tandis que "de l'eau coule du robinet" serait une simple affaire de plomberie.

Le robinet devenait un poème dans sa nudité fonctionnelle, même.

Les "chutes en automne" est une méditation sérielle. Il n'y a ici ni objectivisme" ni "parti pris des choses" mais une parole qui se délivre d'elle-même. Ou qui tente de le faire en tout cas.


Cest, semble-t-il, après la zoologie, le domaine sportif, qui a fait de la série des emplois spécialisés, liés là encore à la classification :  petit groupe formant une subdivision dun classement  (1859). Ainsi, dans le football, ce quon appelle aujourdhui division sappelait autrefois série. A la même époque, le terme apparaît dans le vocabulaire du billard, pour désigner une  suite de points réussis daffilée . Cette fois, lidée denchaînement prime. De même, dans les années 1920, la série est employée en boxe pour désigner une  suite rapide de coups , et en gymnastique pour l enchaînement de mouvements . Ce survol extrêmement superficiel du domaine sportif offre un nouvel aperçu de lambiguité de la série, entre classification et succession.
 
Le mot apparaît dans le vocabulaire commercial vers 18931 dans les expressions série de prix, prix de série. Cest à la même époque que nait lexpression  série noire  pour désigner une  suite dévénements pénibles ou de catastrophes . Le GRH estime que lexpression  vient de ce que ces événements isolés semblent obéir à une sorte de logique interne . Lexpression  en série , du type fabrication en série, est attestée en 1903, et désigne un  grand nombre dobjets identiques . Si, au XIXe siècle, sébauche lassimilation de série et du même, ce nest quà partir de ce moment que ce trait de signification se cristallise ; il nest pas improbable que cette locution soit à la base dune nouvelle signification de série, suite dobjets ou dévénements identiques. On notera quen électricité, le montage en série, qui soppose au montage en parallèles, date de 1881.
 
A lidée de succession, denchaînement, sest combinée celle déléments analogues, de même nature, puis déléments identiques. Au XXe siècle, sest confirmée la tendance par laquelle, de plus en plus, le sériel se trouvait identfié à la production du même, de lidentique. Il resterait à voir comment, de la notion de production en série (qui semble le plus ancien témoignage de lassimilation du terme série et de lidée de même) on est passé aux séries tékévisées2. Incontestablement, dans le vocabulaire courant, ces deux acceptions sont celles qui dominent actuellement. Passée du domaine éditorial au domaine audiovisuel, la série est devenue lune des formes privilégiées des médias actuels, au point que sur le modèle de film-culte, est née lexpression  série-culte  :  Derrière la série culte de TF1, AB production , lisait-on voici quelques années au chapeau dun article journalistique voué à la détestation du  sit-com  Hélène et les garçons.
 
Dans le domaine de la presse, une enquête plus rigoureuse que ce travail ne le permet serait à effectuer, mais il semble que la notion de série se soit, là encore, déplacée. La série désignait au XIXe siècle plutôt le tirage dun livre3, ou encore la collection4, éventuellement (ce quon trouve chez Léon Bloy) les parties dun ouvrages composé dune succession de courtes pièces. La série, aujourdhui, est une sorte de feuilleton. Série est ainsi le terme générique employé pour lédition française des comics américains5. Voici par exemple ce quécrivait un lecteur de la revue Titans, dans les années quatre-vingt, pour aider léditeur à résorber les retards pris dans la publication de lune des deux séries impliquant lAraignée :
 
Première solution, supprimer pendant le temps nécessaire (1 an et demi je crois) la série Peter Parker et la remplacer par les Envahisseurs ou une série interrompue ou même par une série ne contenant que 18 épisodes.6
 
La série est apparemment une réalité très forte, dans tout ce  courrier  de Titans. Ainsi, disent les éditeurs, nous recevons des avalanches de lettres qui nous disent : Cette série est mauvaise, ôtez-la . La série plait, est bien ou mal dessinée, est interrompue, etc. Resterait à voir, dans ce type de publications, où le courrier des lecteurs peut jouer un rôle considérable (puisquil dit au lecteur ce quil est, et dans un même mouvement, ce quil lit), la part de la répétition. On mettrait ainsi à lépreuve certaines des thèses dUmberto Eco. Même pour ces publications, dont la valeur est secondaire7, et même est dêtre secondaire, il serait plus exact de parler de renouvellement que de répétition. Car lépisode nest pas la répétition de lépisode précédent, mais seulement comporte un élément de répétition.
 
Pourtant la production en série, les séries télévisées et radiophoniques, lexpression hors-série dans le domaine des revues périodiques, vont dans un même sens, et tendent à faire de série un signifiant de la répétition et de lautomatisme. Le phénomène dailleurs est loin dêtre spécifiquement français. En témoigne la récente locution tueur en série, simple traduction de langlais serial killer. La série est un témoin idéologique.
 

1 La datation reprend celles du GLLF et du TLF. On se gardera de leur conférer une valeur autre quapproximative.

2 Il nest pas impossible que la chose vienne du domaine éditorial, qui depuis le XIXe siècle a fait un abondant usage de série, tant pour déisgner les tirages que les sections dun ouvrage.

3 Je prends au hasard une édition des Choses vues Victor Hugo, Jules Boiff et cie, 5 volumes, n284 à 288, tous estampillés  Nouvelle série .

4 Ce que certaines publications scientifiques, telles que le Bulletin de lAcadémie des sciences, pratiquent encore.

5 Je prends ci-après un exemple de Titans. Il y aurait là encore à opérer un relevé chronologique des apparitions du terme dans lhisroire de ka collection Lug.

6 Patrice Payssot, in Titans,  Le courrier des fans de Titans , n61, 1984, p. 73.

7 Secondaire ? Oui, si lon excepte quelques dessinateurs les plus singuliers, tels Jack Kirby, John Buscema, Franck Miller, Bill Sienkiewicks... Umberto Eco pose la série, production de masse, contre lart  moderniste . La valeur dune oeuvre nest pas fonction de la catégorie doù elle ressort. Les oeuvres de Sienkiewiks et de Miller sont de parfaits exemples de ce quest lindividuation. La déliquescence des formes dans le dessin de Bill Sienkiewicks est dautant plus forte quelle va à lencontre des impératifs industriels et commerciaux. Ainsi, lorsquil reprend, dans les années quatre-vingt, une série jusque là dun intérêt nul -- nul et non avenu -- la série au bout de quelques épisodes est censurée... en France, par léditeur français, Lug, par crainte de perdre le statut de  publication pour la jeunesse .



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Posté 23 novembre 2014 - 02:40

n n n n n n n n n n n n
n n n n n n n n n n n n
n n n n n rien n n n n n
n non n n n n n n n n
r r r n n n n n n n n et
n n n n n n n n n n n n
n rien n n n n n n n n n
 
i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i
dans la prairie
 
n n rien n n n n n n n n
n n n n n n n non n n n
n n n n n n n n n n ou
n n n n n n n n n n n n
n n n n n n n n et r r r r
ou n n n n n n n n n et
rien rien rien rien rien r
 
à travers la plaine
i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i comment ? i i i i i i i i i i
non
 
puis : n n n n n n n (ad lib)
 
n e n n n n n n n n n n
n n i i i i i i i i i n n n n n
rien n n n n n n n n n
n n n n n n n n n non n n
n n n n n n r r r n n n n n
n n n et n n n n n n n n
n n n n le sang ? n n n n
 
pas encore, non : rien
n'a coulé
 
il pleut -------------------------------------------------------------------------------
 
Le vivarium du poème.
Biotope.
 
Biotope de l'automne
qui rétrécit le jour
et le ponctue d'orages
qui amplifient la nuit
 
Plutôt qu'une autopsie. L'automne
voit naître tant de faits divers.
Une page de journal se détache
et va se loger sous la table de nuit.
 
[oeil abat-jour]

Formes, figures d'arc
reliées à des
chutes en automne. Une
photographie explose
à cause de l'oeil. Voyons
ce qu'il y avait
dans ces figures avant qu'elles n'explosent.
Si c'était un paysage.
Si l'on voyait des gens dans un espace donné.
Si quelque chose survenait alors que d'autres éléments restent stables
quand quelqu'un passe dans la
densité il corrompt sa temporalité.

 
Cr-
aque r-
a-
masse
a-
vec
pl-
aque. Puis tra-
ce
ça
av-
ec. S-
ang &
sa-
n-
g
.
Il y a une ligne en-dessous.
U-
ne l-
i-
gne
qui ne se répète jamais.
Claque.



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Posté 23 novembre 2014 - 03:36

Mémoire brisée, oeil de brume :
l'arc explose sans un son.

Tu aurais mieux fait de te revêtir d'une pelisse.

Note que le calme du chaos est parfois rassurant : dès lors,
il n'y a rien à regretter.

Pages arrachées, supplice.
As-tu entendu ce qui crie, ce qui
prétend
brader tel organe. (pour dix francs ou deux euros)
ou abandonner son diaphragme traitre
comme on se débarrasse d'un repas empoisonné, je veux dire :
en l'offrant hypocritement à son voisin
en expliquant à ceux qui restent que cela,
c'est ce que tu aurais voulu
comme si c'était ton corps qu'on allait emporter ?

Presque. Ta vie était trouée en forme d'arc.
Mais tu voudrais encore opacifier le gros livre d'abjections inexplicables
que tu n'as jamais rouvert ?

C'était un ventre ? On y voyait
tes intestins ?

Mais cette chose se résout : marche, marche.
Il n'y a pas de pas arrière.


n n n n n n n n n n n n
n n n n n n n n n n n n
n n n n n rien n n n n n
n non n n n n n n n n
r r r n n n n n n n n et
n n n n n n n n n n n n
n rien n n n n n n n n n
 
i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i
dans la prairie
 
n n rien n n n n n n n n
n n n n n n n non n n n
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à travers la plaine
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non
 
puis : n n n n n n n (ad lib)
 
n e n n n n n n n n n n
n n i i i i i i i i i n n n n n
rien n n n n n n n n n
n n n n n n n n n non n n
n n n n n n r r r n n n n n
n n n et n n n n n n n n
n n n n le sang ? n n n n
 
pas encore, non : rien
n'a coulé
 
il pleut -------------------------------------------------------------------------------
 
Le vivarium du poème.
Biotope.
 
Biotope de l'automne
qui rétrécit le jour
et le ponctue d'orages
qui amplifient la nuit
 
Plutôt qu'une autopsie. L'automne
voit naître tant de faits divers.
Une page de journal se détache
et va se loger sous la table de nuit.
 
[oeil abat-jour]

Formes, figures d'arc
reliées à des
chutes en automne. Une
photographie
explose
à cause de l'oeil. Voyons
ce qu'il y avait
dans ces figures avant qu'elles n'explosent.
Si c'était un paysage.
Si l'on
voyait des gens dans un espace donné.
Si quelque chose survenait alors que d'autres éléments restent stables
quand quelqu'un passe dans la
densité il corrompt sa temporalité.

 
Cr-
aque r-
a-
masse
a-
vec
pl-
aque. Puis tra-
ce
ça
av-
ec. S-
ang &
sa-
n-
g
.
Il y a une ligne en-dessous.
U-
ne l-
i-
gne
qui ne se répète jamais.
Claque.

La porte res
Tera fermée
Rien (le vent) rien
N'y changera
(le vent) (la por-
te) dans (le si-
lence de) cet
Après-midi


Ils penchent la tête. Hélas !
Des têtes roulent, vraies belettes.
Ils sont nombreux, des ombres.
Leur nostalgie est sans flèche.

Leurs bras se tordent. Pliez !
Et ils chantent des chansons.
Mais ils n'ont pas de mots, de voix.
Ils tirent. Enfin la paix.

Ils tirent. Mais brutalement il pleut.
Un des archers sourit. Mort,
tu n'as pas de regard pour eux.
Mais ils dorment. Ils savent dormir.

Ils savent votre sommeil.
Vous vous réveillez, bouche sèche
comme si la parole vous fuyait
quand dix-sept flèches vous transpercent.

Et vous comprenez mieux, alors.







A première vue, cela semble charmant.

À la réalité, ce n'est qu'un cauchemar.

A priori, on voudrait voir de la liberté jolie tomber du ciel.

Et puis les pluies drainent de la suie. La suie est l'ennemie des amours que recensent nos registres civils.

Mais peu importe ! Il faut charmer les invités. Une minute de poésie enchantera.

Je vends un container de peste bubonique. Nos invités ne sont pas ce qu'on croit.

Et tout ce temps,
tout
ce temps, dis-je,
les limaces veillent.






Il a avoué. Oui. Il lui a
dit qu'ils avaient fait l'amour.
Et il s'est défendu en disant
qu'il avait bu.
Précautionneusement, Margarita
a contourné le cadavre de son frère
tué par le boucher de San Ponelo
et a demandé à Severo :
"Quelle heure est-il ?"
Car il devait commencer à se faire tard.
Le cadavre ruisselait. Severo
avouait tout ce qu'on lui demandait d'avouer : la liaison
adultère de son père avec la
femme du boucher (un homme opaque,
sans doute un homme de réseau). L'attentat
perpétré par un groupuscule marxiste-léniniste dans la banlieue de
Cancun. Le meurtre
de Gerardo Ramon, dans la buanderie.
Il commençait à se faire tard.
Margarita a ouvert la porte qui
donne sur le dehors
et elle a
refermé la
porte qui donne
sur le dehors. Elle s'est rendue compte
quand le téléphone a sonné
que son frère était mort (et qu'il ne
pourrait pas répondre). Margarita
a regardé l'autre homme
qui avouait, nonobstant
l'heure
et la raison. Et elle s'est dit :
"Voilà le résidu de mon mariage ! Seule
la mutation des limaces du pays en une espèce anthropophage
peut m'extraire de cette si-
tuation." Il s'est mis à pleuvoir
et Margarita a tiré plusieurs fois
sur l'homme
qui avait tout fait pour se marier à elle.

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Posté 23 novembre 2014 - 04:19

Il a avoué. Oui. Il lui a
dit qu'ils avaient fait l'amour.
Et il s'est défendu en disant
qu'il avait bu.
Précautionneusement, Margarita
a contourné le cadavre de son frère
tué par le boucher de San Ponelo
et a demandé à Severo :
"Quelle heure est-il ?"
Car il devait commencer à se faire tard.
Le cadavre ruisselait. Severo
avouait tout ce qu'on lui demandait d'avouer : la liaison
adultère de son père avec la
femme du boucher (un homme opaque,
sans doute un homme de réseau). L'attentat
perpétré par un groupuscule marxiste-léniniste dans la banlieue de
Cancun. Le meurtre
de Gerardo Ramon, dans la buanderie.
Il commençait à se faire tard.
Margarita a ouvert la porte qui
donne sur le dehors
et elle a
refermé la
porte qui donne
sur le dehors. Elle s'est rendue compte
quand le téléphone a sonné
que son frère était mort (et qu'il ne
pourrait pas répondre). Margarita
a regardé l'autre homme
qui avouait, nonobstant
l'heure
et la raison. Et elle s'est dit :
"Voilà le résidu de mon mariage ! Seule
la mutation des limaces du pays en une espèce anthropophage
peut m'extraire de cette si-
tuation." Il s'est mis à pleuvoir
et Margarita a tiré plusieurs fois
sur l'homme
qui avait tout fait pour se marier à elle.

Elle dormait. Le chaos
ne s'inquiétait pas. J'étais
dans la chambre à cette heure.
Les volets inexistants
tremblaient imperceptiblement. L'oeil
qui s'était égaré sur mon
visage rond - cherchait peut-être
à remplacer mes lèvres absentées.
Elle dormait. Mes vêtements étaient
des nudités abandonnées
pour l'aube. J'ai soufflé. L'aube
une structure -iridescente - demandait
si l'heure est nécessaire au lendemain.
Au lendemain - le chaos s'endornait.
Le bruit des travaux de la nuit
recevait la structure de mes déclinaisons
comme un volet ouvert, fermé
et ouvert à nouveau, refermé
comme le cahot
d'une respiration.

Ouais!



Cest, semble-t-il, après la zoologie, le domaine sportif, qui a fait de la série des emplois spécialisés, liés là encore à la classification :  petit groupe formant une subdivision dun classement  (1859). Ainsi, dans le football, ce quon appelle aujourdhui division sappelait autrefois série. A la même époque, le terme apparaît dans le vocabulaire du billard, pour désigner une  suite de points réussis daffilée . Cette fois, lidée denchaînement prime. De même, dans les années 1920, la série est employée en boxe pour désigner une  suite rapide de coups , et en gymnastique pour l enchaînement de mouvements . Ce survol extrêmement superficiel du domaine sportif offre un nouvel aperçu de lambiguité de la série, entre classification et succession.
 
Le mot apparaît dans le vocabulaire commercial vers 18931 dans les expressions série de prix, prix de série. Cest à la même époque que nait lexpression  série noire  pour désigner une  suite dévénements pénibles ou de catastrophes . Le GRH estime que lexpression  vient de ce que ces événements isolés semblent obéir à une sorte de logique interne . Lexpression  en série , du type fabrication en série, est attestée en 1903, et désigne un  grand nombre dobjets identiques . Si, au XIXe siècle, sébauche lassimilation de série et du même, ce nest quà partir de ce moment que ce trait de signification se cristallise ; il nest pas improbable que cette locution soit à la base dune nouvelle signification de série, suite dobjets ou dévénements identiques. On notera quen électricité, le montage en série, qui soppose au montage en parallèles, date de 1881.
 
A lidée de succession, denchaînement, sest combinée celle déléments analogues, de même nature, puis déléments identiques. Au XXe siècle, sest confirmée la tendance par laquelle, de plus en plus, le sériel se trouvait identfié à la production du même, de lidentique. Il resterait à voir comment, de la notion de production en série (qui semble le plus ancien témoignage de lassimilation du terme série et de lidée de même) on est passé aux séries tékévisées2. Incontestablement, dans le vocabulaire courant, ces deux acceptions sont celles qui dominent actuellement. Passée du domaine éditorial au domaine audiovisuel, la série est devenue lune des formes privilégiées des médias actuels, au point que sur le modèle de film-culte, est née lexpression  série-culte  :  Derrière la série culte de TF1, AB production , lisait-on voici quelques années au chapeau dun article journalistique voué à la détestation du  sit-com  Hélène et les garçons.
 
Dans le domaine de la presse, une enquête plus rigoureuse que ce travail ne le permet serait à effectuer, mais il semble que la notion de série se soit, là encore, déplacée. La série désignait au XIXe siècle plutôt le tirage dun livre3, ou encore la collection4, éventuellement (ce quon trouve chez Léon Bloy) les parties dun ouvrages composé dune succession de courtes pièces. La série, aujourdhui, est une sorte de feuilleton. Série est ainsi le terme générique employé pour lédition française des comics américains5. Voici par exemple ce quécrivait un lecteur de la revue Titans, dans les années quatre-vingt, pour aider léditeur à résorber les retards pris dans la publication de lune des deux séries impliquant lAraignée :
 
Première solution, supprimer pendant le temps nécessaire (1 an et demi je crois) la série Peter Parker et la remplacer par les Envahisseurs ou une série interrompue ou même par une série ne contenant que 18 épisodes.6
 
La série est apparemment une réalité très forte, dans tout ce  courrier  de Titans. Ainsi, disent les éditeurs, nous recevons des avalanches de lettres qui nous disent : Cette série est mauvaise, ôtez-la . La série plait, est bien ou mal dessinée, est interrompue, etc. Resterait à voir, dans ce type de publications, où le courrier des lecteurs peut jouer un rôle considérable (puisquil dit au lecteur ce quil est, et dans un même mouvement, ce quil lit), la part de la répétition. On mettrait ainsi à lépreuve certaines des thèses dUmberto Eco. Même pour ces publications, dont la valeur est secondaire7, et même est dêtre secondaire, il serait plus exact de parler de renouvellement que de répétition. Car lépisode nest pas la répétition de lépisode précédent, mais seulement comporte un élément de répétition.
 
Pourtant la production en série, les séries télévisées et radiophoniques, lexpression hors-série dans le domaine des revues périodiques, vont dans un même sens, et tendent à faire de série un signifiant de la répétition et de lautomatisme. Le phénomène dailleurs est loin dêtre spécifiquement français. En témoigne la récente locution tueur en série, simple traduction de langlais serial killer. La série est un témoin idéologique.
 

1 La datation reprend celles du GLLF et du TLF. On se gardera de leur conférer une valeur autre quapproximative.

2 Il nest pas impossible que la chose vienne du domaine éditorial, qui depuis le XIXe siècle a fait un abondant usage de série, tant pour déisgner les tirages que les sections dun ouvrage.

3 Je prends au hasard une édition des Choses vues Victor Hugo, Jules Boiff et cie, 5 volumes, n284 à 288, tous estampillés  Nouvelle série .

4 Ce que certaines publications scientifiques, telles que le Bulletin de lAcadémie des sciences, pratiquent encore.

5 Je prends ci-après un exemple de Titans. Il y aurait là encore à opérer un relevé chronologique des apparitions du terme dans lhisroire de ka collection Lug.

6 Patrice Payssot, in Titans,  Le courrier des fans de Titans , n61, 1984, p. 73.

7 Secondaire ? Oui, si lon excepte quelques dessinateurs les plus singuliers, tels Jack Kirby, John Buscema, Franck Miller, Bill Sienkiewicks... Umberto Eco pose la série, production de masse, contre lart  moderniste . La valeur dune oeuvre nest pas fonction de la catégorie doù elle ressort. Les oeuvres de Sienkiewiks et de Miller sont de parfaits exemples de ce quest lindividuation. La déliquescence des formes dans le dessin de Bill Sienkiewicks est dautant plus forte quelle va à lencontre des impératifs industriels et commerciaux. Ainsi, lorsquil reprend, dans les années quatre-vingt, une série jusque là dun intérêt nul -- nul et non avenu -- la série au bout de quelques épisodes est censurée... en France, par léditeur français, Lug, par crainte de perdre le statut de  publication pour la jeunesse .