Il a avoué. Oui. Il lui a
dit qu'ils avaient fait l'amour.
Et il s'est défendu en disant
qu'il avait bu.
Précautionneusement, Margarita
a contourné le cadavre de son frère
tué par le boucher de San Ponelo
et a demandé à Severo :
"Quelle heure est-il ?"
Car il devait commencer à se faire tard.
Le cadavre ruisselait. Severo
avouait tout ce qu'on lui demandait d'avouer : la liaison
adultère de son père avec la
femme du boucher (un homme opaque,
sans doute un homme de réseau). L'attentat
perpétré par un groupuscule marxiste-léniniste dans la banlieue de
Cancun. Le meurtre
de Gerardo Ramon, dans la buanderie.
Il commençait à se faire tard.
Margarita a ouvert la porte qui
donne sur le dehors
et elle a
refermé la
porte qui donne
sur le dehors. Elle s'est rendue compte
quand le téléphone a sonné
que son frère était mort (et qu'il ne
pourrait pas répondre). Margarita
a regardé l'autre homme
qui avouait, nonobstant
l'heure
et la raison. Et elle s'est dit :
"Voilà le résidu de mon mariage ! Seule
la mutation des limaces du pays en une espèce anthropophage
peut m'extraire de cette si-
tuation." Il s'est mis à pleuvoir
et Margarita a tiré plusieurs fois
sur l'homme
qui avait tout fait pour se marier à elle.
Elle dormait. Le chaos
ne s'inquiétait pas. J'étais
dans la chambre à cette heure.
Les volets inexistants
tremblaient imperceptiblement. L'oeil
qui s'était égaré sur mon
visage rond - cherchait peut-être
à remplacer mes lèvres absentées.
Elle dormait. Mes vêtements étaient
des nudités abandonnées
pour l'aube. J'ai soufflé. L'aube
une structure -iridescente - demandait
si l'heure est nécessaire au lendemain.
Au lendemain - le chaos s'endornait.
Le bruit des travaux de la nuit
recevait la structure de mes déclinaisons
comme un volet ouvert, fermé
et ouvert à nouveau, refermé
comme le cahot
d'une respiration.
Ouais!
Cest, semble-t-il, après la zoologie, le domaine sportif, qui a fait de la série des emplois spécialisés, liés là encore à la classification
: petit groupe formant une subdivision dun classement (1859). Ainsi, dans le football, ce quon appelle aujourdhui
division sappelait autrefois
série. A la même époque, le terme apparaît dans le vocabulaire du billard, pour désigner une
suite de points réussis daffilée . Cette fois, lidée denchaînement prime. De même, dans les années 1920, la série est employée en boxe pour désigner une
suite rapide de coups , et en gymnastique pour l
enchaînement de mouvements . Ce survol extrêmement superficiel du domaine sportif offre un nouvel aperçu de lambiguité de la
série, entre
classification et
succession.
Le mot apparaît dans le vocabulaire commercial vers 1893
1 dans les expressions
série de prix, prix de série. Cest à la même époque que nait lexpression série noire pour désigner une
suite dévénements pénibles ou de catastrophes . Le GRH estime que lexpression
vient de ce que ces événements isolés semblent obéir à une sorte de logique interne . Lexpression
en série , du type
fabrication en série, est attestée en 1903, et désigne un
grand nombre dobjets identiques . Si, au XIXe siècle, sébauche lassimilation de
série et du
même, ce nest quà partir de ce moment que ce trait de signification se cristallise ; il nest pas improbable que cette locution soit à la base dune nouvelle signification de
série, suite dobjets ou dévénements identiques. On notera quen électricité, le
montage en série, qui soppose au montage
en parallèles, date de 1881.
A lidée de succession, denchaînement, sest combinée celle déléments analogues, de même nature, puis déléments identiques. Au XXe siècle, sest confirmée la tendance par laquelle, de plus en plus, le sériel se trouvait identfié à la production du même, de lidentique. Il resterait à voir comment, de la notion de production
en série (qui semble le plus ancien témoignage de lassimilation du terme
série et de lidée de
même) on est passé aux
séries tékévisées2. Incontestablement, dans le vocabulaire courant, ces deux acceptions sont celles qui dominent actuellement. Passée du domaine éditorial au domaine audiovisuel, la
série est devenue lune des formes privilégiées des médias actuels, au point que sur le modèle de
film-culte, est née lexpression
série-culte : Derrière la série culte de TF1, AB production , lisait-on voici quelques années au chapeau dun article journalistique voué à la détestation du sit-com
Hélène et les garçons.
Dans le domaine de la presse, une enquête plus rigoureuse que ce travail ne le permet serait à effectuer, mais il semble que la notion de
série se soit, là encore, déplacée. La série désignait au XIXe siècle plutôt le tirage dun livre
3, ou encore la collection
4, éventuellement (ce quon trouve chez Léon Bloy) les parties dun ouvrages composé dune succession de courtes pièces. La série, aujourdhui, est une sorte de feuilleton.
Série est ainsi le terme générique employé pour lédition française des
comics américains
5. Voici par exemple ce quécrivait un lecteur de la revue
Titans, dans les années quatre-vingt, pour aider léditeur à résorber les retards pris dans la publication de lune des deux séries impliquant
lAraignée :
Première solution, supprimer pendant le temps nécessaire (1 an et demi je crois) la série Peter Parker et la remplacer par les Envahisseurs ou une série interrompue ou même par une série ne contenant que 18 épisodes.
6
La série est apparemment une réalité très forte, dans tout ce courrier de
Titans. Ainsi, disent les éditeurs
, nous recevons des avalanches de lettres qui nous disent : Cette série est mauvaise, ôtez-la . La série
plait, est bien ou mal dessinée, est
interrompue, etc. Resterait à voir, dans ce type de publications, où le
courrier des lecteurs peut jouer un rôle considérable (puisquil dit au lecteur ce quil est, et dans un même mouvement, ce quil lit), la
part de la répétition. On mettrait ainsi à lépreuve certaines des thèses dUmberto Eco. Même pour ces publications, dont la valeur est secondaire
7, et même est
dêtre secondaire, il serait plus exact de parler de
renouvellement que de
répétition. Car lépisode nest pas la répétition de lépisode précédent, mais seulement comporte un élément de répétition.
Pourtant la
production en série, les
séries télévisées et radiophoniques, lexpression
hors-série dans le domaine des revues périodiques, vont dans un même sens, et tendent à faire de
série un signifiant de la répétition et de lautomatisme. Le phénomène dailleurs est loin dêtre spécifiquement français. En témoigne la récente locution
tueur en série, simple
traduction de langlais
serial killer. La série est un témoin idéologique.
1 La datation reprend celles du
GLLF et du
TLF. On se gardera de leur conférer une valeur autre quapproximative.
2 Il nest pas impossible que la chose vienne du domaine éditorial, qui depuis le XIXe siècle a fait un abondant usage de
série, tant pour déisgner les tirages que les sections dun ouvrage.
3 Je prends au hasard une édition des
Choses vues Victor Hugo, Jules Boiff et cie,
5 volumes, n284 à 288, tous estampillés Nouvelle série .
4 Ce que certaines publications scientifiques, telles que le
Bulletin de lAcadémie des sciences, pratiquent encore.
5 Je prends ci-après un exemple de
Titans. Il y aurait là encore à opérer un relevé chronologique des apparitions du terme dans lhisroire de ka collection
Lug.
6 Patrice Payssot, in Titans, Le courrier des fans de Titans , n61, 1984, p. 73.
7 Secondaire ? Oui, si lon excepte quelques dessinateurs les plus singuliers, tels Jack Kirby, John Buscema, Franck Miller, Bill Sienkiewicks... Umberto Eco pose la série,
production de masse, contre lart moderniste . La valeur dune oeuvre nest pas fonction de la catégorie doù elle ressort. Les oeuvres de Sienkiewiks et de Miller sont de parfaits exemples de ce quest lindividuation. La déliquescence des formes dans le dessin de Bill Sienkiewicks est dautant plus forte quelle va à lencontre des impératifs industriels et commerciaux. Ainsi, lorsquil reprend, dans les années quatre-vingt, une série jusque là dun intérêt
nul -- nul et non avenu -- la série au bout de quelques épisodes est censurée... en France, par léditeur français,
Lug, par crainte de perdre le statut de publication pour la jeunesse .