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La pauvre proie des flammes


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10 réponses à ce sujet

#1 le hamster

le hamster

    A poil laineux

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Posté 04 octobre 2015 - 06:01

Il est né nulle part. Il n’a pas de souvenirs, pas de souvenirs antérieurs à ce jour où, sur une petite plage, personne ne sait ce qui s’est passé, même lui.
 
Il n’est resté de ce jour que des émotions, vagues, comme celles qui déferlaient doucement dans la lumière aveuglante.
 
Il aurait dû y avoir un avant et un après : pour lui il n’y eut qu’un après, un après morne et plutôt gris.
 
Quand on regardait ses photos d’enfance on ne voyait qu’un enfant qui ne souriait pas, ou un enfant au sourire triste.
Les gens qui le connaissaient dirent des années après, avec le recul  et a posteriori, qu’il avait toujours été triste.
 
De son regard, souvent, ne semblait naître nulle émtion, car rarement il ne s’éclairait.
Il n’était pas plus enclin que les autres à garder ses émotions pour lui-même ; on le voyait comme un ordinateur, sans enthousiasme, sans âme.
 
Cherchait-il dans les livres, dès sa plus tendre enfance, les chemins d’une vie meilleure ?
 
Cherchait-il dans les yeux et les sourires des femmes, sur leur corps, la clef des émotions ou l’illusion d’un bonheur accessible ?
 
Il en poursuivit certaines de ses assuidités, tentant de leur arracher un aveu qui ne venait pas, qui ne viendrait jamais.
Il lui arriva même d'aller, certains soirs, dans des bars de nuit, pour se raconter des histoires ; payer pour une conversation, une présence, un verre ou deux, ou l’inverse des bars ; un moment forcément éphémère mais désespéré.
Il s’inventait un personnage. Un brillant scientifique, qui avait fait des découvertes phénoménales, mais peu reconnu (la science payait mal.)
Ou un type qui faisait des affaires, brassait beaucoup d’argent, mais ne voulait pas l’étaler, et conserver son apparence.
C’était maladroit et plutôt malvenu avec des femmes vénales, des femmes payées à laisser filer le temps en lui faisant cracher son fric, le fric qu’il n’avait pas.
Et puis il était peu crédible avec ses vestes élimées – même pour un type qui a envie de passer pour un bohème friqué, surtout dans ces bars minables, avec ces call-girls ratées.
 
Il en repartait toujours à sec – un peu plus à sec – rarement soulagé d’une envie physique, avec un plaisir trop bref, et souvent frustré, un peu plus triste, un peu plus amer, un peu plus aigri.
A peine avait-il eu le temps de toucher leur peau, jeune et douce.
Tout juste s’était-il rassuré sur sa virilité toujours intacte (trop intacte même.)
 
Il avait commencé à vieillir très tot, il aurait voulu que ça s’arrête.
 
Il ne voyait dans les nuits de fête que le visage grimaçant du roi du Carnaval, et le souvenir d’une femme à la voix troublante et au visage dissimulé qu’il perdait dans la foule comme si elle n’avait eu de cesse de fuir, après l’avoir tenté.
Attrape-moi si tu peux, tu ne m’attraperas jamais.
 
Il ne l’avait jamais attrapée bien entendu, ni elle ni aucune autre, comme si cette recherche était perdue d’avance. Comme si tout était écrit. Comme s’il était né avec cette malédicition (« tu ne seras pas heureux ».)
Les femmes étaient à l’image de la belle Véntienne de son rêve, elles le tentaient puis lui échappaient toutes.
 
Il n’avait pas honte de ses choix mais avançait masqué, lui aussi. 
Mais son masque était pitoyable tant il ne cachait rien.
Il était un chasseur toujours bredouille, parce qu’il avait toujours un temps de retard, et parce que le bruit de ses pas le trahissait : juste avant son arrrivée, les oiselles s’envolaient dans un bruissement d’ailes qui ressemblait à des rires.
« Et je mourais encore en entendant ton rire" pouvait-on lire sur son visage amer, certains jours, ce dernier vers d‘Apollinaire. Vers qu'il ne ne connaissait pas.
 
...
 
Enterrons, enterrons notre honte. Dans le plus grand secret, loin des yeux indiscrets, brûlons ce terrible manuscrit, cet écrit qui choque notre morale et qu’on ne comprend pas.
 
Elle croit accomplir un devoir sacré en réalisant ce pitoyable autodafé, tandis que lui alimente le feu.
 
Lavons nos mémoires, lavons cette image, ce fil souillé de la filiation. Lavons nos consciences, notre faute inconnue.


#2 hasia

hasia

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Posté 05 octobre 2015 - 03:54

Prenant et beau.

De belles trouvailles qui savent souligner -la détresse-,-la solitude-, l'immensité de la solitude ...

De ces déserts intérieurs,- sans retour.-.

 

"Il était un chasseur toujours bredouille, parce qu’il avait toujours un temps de retard, et parce que le bruit de ses pas le trahissait : juste avant son arrrivée, les oiselles s’envolaient dans un bruissement d’ailes qui ressemblait à des rires.

« Et je mourais encore en entendant ton rire" pouvait-on lire sur son visage amer, certains jours, ce dernier vers d‘Apollinaire. Vers qu'il ne ne connaissait pas."
hasia


#3 le hamster

le hamster

    A poil laineux

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Posté 06 octobre 2015 - 07:52

Merci Hasia.

 

Et il y un autre thème que la solitude même...



#4 hasia

hasia

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Posté 09 octobre 2015 - 12:31

Oui, bien sûr ... le hamster!

 

Solitude sans retour et ...

 

Cette course sans fin, après le paraître afin d'atteindre l'être ...

L'être profond, avec cette kyrielle d'émotions et ses ressentis-

.

Au final, une certaine misère affective dont il ne peut se défaire, et qui le prive des plus beaux moments de sa vie...

 

En fait, c'est comme s'il avait peu à peu, construit un mur autour de lui.

Ce qui, risquait bien, tôt ou tard, de se refermer sur lui-même.

hasia



#5 le hamster

le hamster

    A poil laineux

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Posté 07 février 2017 - 09:21

En fait, c'est comme s'il avait peu à peu, construit un mur autour de lui.

Ce qui, risquait bien, tôt ou tard, de se refermer sur lui-même.


C'est effectivement ce qui a fini par arriver.
(Ce pourquoi je ne veux pas finir comme lui...)


#6 bɔētiane

bɔētiane

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  • Une phrase ::"Les mots sont une peinture des choses"

    boetiane.com

Posté 19 février 2017 - 07:02

portrait foncé de l'être

     dans ces tonalités sombres et ternes (pour ne pas dire misérabilistes)

empruntées à la palette des    Mangeurs de pommes de terre (par exemple)

          entre vert dévonien et lent marron : p

 

j'ai lu avec intérêt _plusieurs fois

                   et sais-tu ce que je me suis dit ?

 

        qu'on avait envie d'ouvrir la fenêtre

               de saigner l'orange de l'orangeraie

                   de planter le bonhomme dans l'orangeraie

           pour qu'il s'enivre de printemps

 

    >>> lui expliquer qu'on peut se battre, un peu, contre toutes les fatalités

 

 

 me demandant si c'était peut-être le début d'une nouvelle ?

           ça devrait . . …

                    _le sujet en vaudrait largement la peine

 

   bien à toi : )



#7 AURE

AURE

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Posté 19 février 2017 - 08:18

il y aurait

fort à dire

 

mais tu me connais

;-)



#8 le hamster

le hamster

    A poil laineux

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Posté 19 février 2017 - 09:29

portrait foncé de l'être
     dans ces tonalités sombres et ternes (pour ne pas dire misérabilistes)
empruntées à la palette des    Mangeurs de pommes de terre (par exemple)
          entre vert dévonien et lent marron : p
 
j'ai lu avec intérêt _plusieurs fois
                   et sais-tu ce que je me suis dit ?
 
        qu'on avait envie d'ouvrir la fenêtre
               de saigner l'orange de l'orangeraie
                   de planter le bonhomme dans l'orangeraie
           pour qu'il s'enivre de printemps
 
    >>> lui expliquer qu'on peut se battre, un peu, contre toutes les fatalités
 
 
 me demandant si c'était peut-être le début d'une nouvelle ?
           ça devrait . . …
                    _le sujet en vaudrait largement la peine
 
   bien à toi : )


Misérabiliste, je ne sais pas. Réaliste, je pense. Enfin, c'était ce que j'en ai su, moi.

J'aime ton message d'espoir à la fin. Malheureusement, il n'a pas pu en profiter, il n'est plus. Ce pour quoi, je viens de prendre conscience de l'importance de réfléchir avec un thérapeute (nous avons partagé la même enfance, la même parentalité... :()

Le début d'une nouvelle, c'est une idée. Mais pas facile. Des questions morales se posent...
 

il y aurait
fort à dire
 
mais tu me connais
;-)


Tu peux dire... Et si tu veux, en privé (lâche-toi...)



#9 Vivien

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Posté 20 février 2017 - 03:08

Beau texte sur l'aliénation au désir, sur l'amertume. Une sorte de personnage houellebecquien ?



#10 le hamster

le hamster

    A poil laineux

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Posté 20 février 2017 - 09:32

Un personnage réel, hélas (mais selon mon angle de vision...)



#11 Vivien

Vivien

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Posté 21 février 2017 - 10:21

Je pense que les personnages de Houellebecq sont très 'réels' ;)

Je parle de personnage, car c'est romancé, je ne savais pas que c'était quelqu'un de ta connaissance.

En tous cas, texte fort, peut-être un peu trop 'résumé' malgré tout. Ce pourrait être le point de départ d'une  nouvelle ?