Aller au contenu

Photo

(anthologie permanente) Jean-Michel Maulpoix


  • Veuillez vous connecter pour répondre
Aucune réponse à ce sujet

#1 tim

tim

    Administrateur

  • Administrateur principal
  • PipPipPipPip
  • 5 689 messages

Posté 20 janvier 2016 - 10:03

 

Jean-Michel Maulpoix publie Le voyageur à son retour, aux éditions Le Passeur.


Poétique du carnet de route

Voilà : dans un wagon, on discute de tout
et tout ce quâon dit a un goût de vague théorie
Italo Svevo

Jâai découvert lâAmérique le 3 avril 1994, en prenant des notes dans un carnet à spirales de la marque Hotline Stationery dans un fast-food de Los Angeles où je mangeais des patates au lard et des Åufs brouillés. Il était 8 heures du matin. Jâétais en ma 42ème année et venais de quitter pour la première fois « LâEurope aux anciens parapets. »
Ce petit carnet à spirales de dix centimètres sur quinze, dont cinquante-sept pages sont remplies, contient ma découverte. Cela seul fait son prix. Jamais il ne sera publié. Je nâen livrerai ici que le souvenir.

Carnet : « petit cahier de poche, destiné à recevoir des notes », dit le dictionnaire. Il en est de toutes sortes, formats et qualités. Ce ne sont souvent que des outils dérisoires, cornés, griffonnés. Faits pour les rudiments, les ébauches, les amorces, les esquisses⦠Destinés à se faire la main ou à garder la main, dâun usage un peu maniaque, de lâordre du secret.
Pourtant, le simple fait quâun tel parallélépipède de papier trouve sa place dans une poche, quâil en sorte puis y rentre, au gré des humeurs et des intempéries, et accompagne de près les mouvements du corps du marcheur, aussi bien que ses perceptions, ses sensations et ses pensées, mérite que lâon sây attardeâ¦

Un psychanalyste dirait que sa nature est de type transitionnel, puisquâil instaure un espace qui se situe à mi-chemin du subjectif et de lâobjectif : une aire intermédiaire dâexpérience entre le dehors et le dedans, affective et intellectuelle à la fois, à même de constituer une défense contre lâangoisse de lâinconnu. Sâil nâappartient pas au « corps propre », il le prolonge illusoirement. Lâune de ses fonctions est de favoriser, voire de véhiculer et de représenter la transition entre lâintime et lâétrange.

Dans une chambre dâhôtel, à la terrasse dâun café, ou dans le no manâs time de quelque salle dâattente, le carnet est manière de poursuivre ou de rétablir une conversation avec soi-même. Il arrive même que le temps consacré à lâécriture du carnet offre seul lâoccasion de réarticuler silencieusement sa propre langue quand lâidiome local en éloigne⦠Je me souviens du curieux sentiment dâinsularité éprouvé à Beyrouth ou à Pékin, lorsque dans un lieu public je prenais des notes, immergé dans un brouhaha de conversations en arabe ou en chinois auxquelles je ne comprenais rien. Tenir un carnet, câest ainsi sâassurer dâune espèce de continuité dans la discontinuité du voyage. Câest demeurer lié par un précieux cordon de signes à cette langue maternelle que lâon a momentanément cessé de parler et qui nous redevient dâautant plus chère quâelle sâefforce dâappréhender des réalités étrangères, de dire un autre monde.

Jean-Michel Maulpoix, Le Voyageur à son retour, Éditions Le Passeur, 2016, 160 p., 15â¬, pp. 109 et 110.

Jean-Michel Maulpoix dans Poezibao :
bio-bibliographie, aux 20 ans du Nouveau Recueil, extrait 1, extrait 2, extrait 3, extrait 4, rencontre au cercle Aliénor (avec Alain Duault), extrait 5, « Jean-Michel Maulpoix, un nouveau lyrisme », par Chantal Colomb Guillaume, note création, ext.6, "Jean-Michel Maulpoix et Paul Celan : le lyrisme après Auschwitz", [notes sur la création]

 

YbPHaOxMVks

Voir l'article complet