Un rosier fleurissait bellement au jardin.
On ne voyait que lui : le délicat satin
De ses fleurs attirait toutes les convoitises
Et l'admiration des amours entreprises.
Tranquille, à son abord, un auguste escargot
Se tenait immobile et parlait aussitôt
Que l'endroit se vidait car sa voix était frêle :
« Attendez que mon tour arrive, demoiselles !
Je ferai beaucoup mieux que ce pays conquis :
Fleurir, donner, du lait, ronces ou fruits confits
Seront sans importance à côté de la gloire
Enroulée par les dieux sous ma coquille noire !
- Elle n'est pas si noire, ami, vous vous tenez
Dans l'ombre tellement qu'on ne peut distinguer
Votre belle maison... J'aimerais voir ces choses
Formidables, vraiment ! D'ailleurs, entre nous, j'ose
Ici vous demander quand viendra ce grand jour !
Répondit le rosier, tendre, comme toujours.
- Ne soyez pas pressé ! Profitez de l'attente
Afin de méditer. Le temps suit une pente
Ainsi que la spirale ornant mon logement. »
De fait, le temps passa. Quand revint l'an suivant,
Le rosier fleurissait en toute exubérance.
À son pied, l'escargot redoublait d'abstinence
Et le grand changement qu'il prétendait tenir
N'était toujours pas là... Le rosier, sans mentir,
S'appliquait chaque jour à donner les plus belles
Des fleurs qu'un rosier peut offrir pour un modèle.
Puis l'automne arriva, qui calma les ardeurs
Et l'hiver tout à fait chassa les visiteurs.
Le rosier se pencha. L'escargot, sous la terre
Alla se réfugier. Le temps ne cédait guère.
Il tira du sommeil le printemps puis l'été.
Le rosier fleurissant retrouva, bien posté,
Son ami l'escargot, ce jour-là, moins amène :
« Hélas, il faut le voir, le destin se promène
Et voici que bientôt votre fin va venir.
Vous voilà bien vieilli, la beauté va ternir
Et l'on ne saura plus pourquoi toutes les roses
Ont un jour existé. Mais oublions la cause.
Il est infiniment dramatique, mon cher
Fabriquant de boutons, que pour votre santé
Mentale vous n'ayez nullement travaillé !
- Vraiment ? Vous m'effrayez, dit le rosier. L'affaire
Est, selon votre mot, le poison de ma terre
Et je n'y accordais pas le moindre intérêt...
- Ça ne m'étonne pas : Rechercher le secret
De ce qui fait la vie, la nature profonde
Et la raison du beau qui passe dans le monde
Exige un grand effort qui ne va pas de soi !
- Vraiment je fleurissais sans trop savoir pourquoi,
C'est tout à fait exact. C'était ma simple vie,
Mon plaisir, aux beaux jours, de faire une copie
Quotidienne des fleurs, d'embellir le bouquet
De ce petit jardin. Tel fut mon seul projet.
Dites-moi, mon ami, pourquoi ce gros reproche ?
Ai-je causé du tort à quelqu'un de vos proches ?
- Non point mais vous avez, très noble et doux rosier
Vécu facilement. - Mais c'était mon métier !
Vous qui avez le don naturel du génie,
Méritez que sans fin, vers vous, ma tige plie,
Dans l'espoir, je l'avoue, de vivre assez pour voir
Les prodiges, enfin, dont votre grand savoir
Sauvera l'univers de sa vile existence.
- Oh ne me pressez pas ! Car tout ce que je pense
Éclaire ma raison et cela me convient.
Je n'ai que faire des aléas quotidiens !
- Cependant cher ami, ne faut-il faire offrande
À l'univers entier de sa valeur "marchande"
– Hélas le mot est fort mais il dit le présent.
Pour moi ce sont des fleurs, je n'ai d'autre ferment...
Que donnez-vous au monde, allez-vous me le dire ?
- Il m'indiffère trop. Je crache sur l'endroit
Tant il est ignorant et je rentre chez moi. »
Là-dessus l'escargot accomplit sa parole
Et referma sa porte. Triste vie horticole
Est la mienne, je crois, se disait le rosier.
Deux feuillets d'un missel, un amour, un herbier,
Cela n'est pas brillant. Mais, ne sachant que faire,
Il fleurissait encor et l'escargot sévère
En ermite passait ses jours à réfléchir.
Cela dura longtemps. Le temps fit aboutir
L'histoire avec sagesse – ou selon sa nature :
Et le rosier mourut ; l'escargot, très mature,
Eut une triste fin, n'ayant jamais été
Ni gai ni amoureux. Ainsi fut-il mangé...
Ce conte est une page au livre de la vie.
Toujours, dans les jardins, quelque beauté fleurie
Se penche pour parler, dans l'ombre, à l'escargot
Qui lui donne à rêver par de brillants propos.
Librement interprété du conte de Hans Christian Andersen - 1862
Verroteries - ©M.KISSINE – ISBN 9782919390311
(Un vieux texte que je retrouve en dépoussiérant)
3 avril 2016