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L'escargot et le rosier

conte temps roses spirales M.KISSINE

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3 réponses à ce sujet

#1 M.KISSINE

M.KISSINE

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  • Une phrase ::De chaque chose il faut tirer le maximum de bonté. Proverbe gascon.

    http://www.lulu.com/spotlight/MKISSINE

Posté 03 avril 2016 - 08:46

Un rosier fleurissait bellement au jardin.

On ne voyait que lui : le délicat satin

De ses fleurs attirait toutes les convoitises

Et l'admiration des amours entreprises.

Tranquille, à son abord, un auguste escargot

Se tenait immobile et parlait aussitôt

Que l'endroit se vidait car sa voix était frêle :

« Attendez que mon tour arrive, demoiselles !

Je ferai beaucoup mieux que ce pays conquis :

Fleurir, donner, du lait, ronces ou fruits confits

Seront sans importance à côté de la gloire

Enroulée par les dieux sous ma coquille noire !

- Elle n'est pas si noire, ami, vous vous tenez

Dans l'ombre tellement qu'on ne peut distinguer

Votre belle maison... J'aimerais voir ces choses

Formidables, vraiment ! D'ailleurs, entre nous, j'ose

Ici vous demander quand viendra ce grand jour ! 

Répondit le rosier, tendre, comme toujours.

- Ne soyez pas pressé ! Profitez de l'attente

Afin de méditer. Le temps suit une pente

Ainsi que la spirale ornant mon logement. »

De fait, le temps passa. Quand revint l'an suivant,

Le rosier fleurissait en toute exubérance.

À son pied, l'escargot redoublait d'abstinence

Et le grand changement qu'il prétendait tenir

N'était toujours pas là... Le rosier, sans mentir,

S'appliquait chaque jour à donner les plus belles

Des fleurs qu'un rosier peut offrir pour un modèle.

Puis l'automne arriva, qui calma les ardeurs

Et l'hiver tout à fait chassa les visiteurs.

Le rosier se pencha. L'escargot, sous la terre

Alla se réfugier. Le temps ne cédait guère.

Il tira du sommeil le printemps puis l'été.

Le rosier fleurissant retrouva, bien posté,

Son ami l'escargot, ce jour-là, moins amène :

« Hélas, il faut le voir, le destin se promène

Et voici que bientôt votre fin va venir.

Vous voilà bien vieilli, la beauté va ternir

Et l'on ne saura plus pourquoi toutes les roses

Ont un jour existé. Mais oublions la cause.

Il est infiniment dramatique, mon cher

Fabriquant de boutons, que pour votre santé

Mentale vous n'ayez nullement travaillé !

- Vraiment ? Vous m'effrayez, dit le rosier. L'affaire

Est, selon votre mot, le poison de ma terre

Et je n'y accordais pas le moindre intérêt...

- Ça ne m'étonne pas : Rechercher le secret

De ce qui fait la vie, la nature profonde

Et la raison du beau qui passe dans le monde

Exige un grand effort qui ne va pas de soi !

- Vraiment je fleurissais sans trop savoir pourquoi,

C'est tout à fait exact. C'était ma simple vie,

Mon plaisir, aux beaux jours, de faire une copie

Quotidienne des fleurs, d'embellir le bouquet

De ce petit jardin. Tel fut mon seul projet.

Dites-moi, mon ami, pourquoi ce gros reproche ?

Ai-je causé du tort à quelqu'un de vos proches ?

- Non point mais vous avez, très noble et doux rosier

Vécu facilement. - Mais c'était mon métier !

Vous qui avez le don naturel du génie,

Méritez que sans fin, vers vous, ma tige plie,

Dans l'espoir, je l'avoue, de vivre assez pour voir

Les prodiges, enfin, dont votre grand savoir

Sauvera l'univers de sa vile existence.

- Oh ne me pressez pas ! Car tout ce que je pense

Éclaire ma raison et cela me convient.

Je n'ai que faire des aléas quotidiens !

- Cependant cher ami, ne faut-il faire offrande

À l'univers entier de sa valeur "marchande"

– Hélas le mot est fort mais il dit le présent.

Pour moi ce sont des fleurs, je n'ai d'autre ferment...

Que donnez-vous au monde, allez-vous me le dire ?

- Il m'indiffère trop. Je crache sur l'endroit

Tant il est ignorant et je rentre chez moi. »

Là-dessus l'escargot accomplit sa parole

Et referma sa porte. Triste vie horticole

Est la mienne, je crois, se disait le rosier.

Deux feuillets d'un missel, un amour, un herbier,

Cela n'est pas brillant. Mais, ne sachant que faire,

Il fleurissait encor et l'escargot sévère

En ermite passait ses jours à réfléchir.

Cela dura longtemps. Le temps fit aboutir

L'histoire avec sagesse – ou selon sa nature :

Et le rosier mourut ; l'escargot, très mature,

Eut une triste fin, n'ayant jamais été

Ni gai ni amoureux. Ainsi fut-il mangé...

Ce conte est une page au livre de la vie.

Toujours, dans les jardins, quelque beauté fleurie

Se penche pour parler, dans l'ombre, à l'escargot

Qui lui donne à rêver par de brillants propos.

 

Librement interprété du conte de Hans Christian Andersen - 1862

Verroteries - ©M.KISSINE – ISBN 9782919390311

 

(Un vieux texte que je retrouve en dépoussiérant)

 

3 avril 2016



#2 M. de Saint-Michel

M. de Saint-Michel

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  • Une phrase ::Je suis quelqu'un pour qui poésie et respiration ne font qu'un.

Posté 03 avril 2016 - 01:35

Une fable philosophique écrite avec maestria! (Vous avez bien fait de "dépoussiérer"!!)

#3 Invité_Marcel Faure_*

Invité_Marcel Faure_*
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Posté 04 avril 2016 - 06:41

Une belle fable.



#4 Jped

Jped

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  • Une phrase ::Le voyage immobile après une vie de voyage

Posté 06 avril 2016 - 06:20

Cet énigmatique escargot, captivant une rose saison après saison sans prononcer un seul mot qui ait du sens,( en apparence du moins) est-il un pisse-froid ou un maître à penser tibétain aux propos rares et profonds, stratège habile qui n'a rien à offrir à la belle mais parvient à la subjuguer et à la tenir sous son emprise tout au long de sa vie?

Le Dalaï Lama lui-même ne se prosterne-t'il pas, à l'occasion, devant un ver de terre. Alors, chapeau l'escargot!





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