Larmes en deuil
Je me souviens de toi, fillette au regard sombre
Si triste, si profond, si lourd de tes douleurs
Trop jeune pour mourir,
Trop vieille pour courir
Brisée comme le sont tous les souffre-douleurs
Résignée à périr lorsque le voilier sombre
Je t’ai bercée longtemps au creux de ma mémoire
Pataugeant, ignorant tes cris silencieux
Trop faible pour ramer
Trop forte pour aimer
Tentant de protéger un bien très précieux
Le peu de dignité gisant dans l’écumoire
Jusqu’à presque oublier le but de ma naissance
Te prolonger en moi parmi les survivants
Trop fière pour pleurer
Trop simple pour leurrer
Des êtres s’entretuent pour demeurer vivants
Pour un peu de respect et de reconnaissance
À force de lutter pour contrer ta détresse
Par souci d’affirmer à ton corps défendant
Trop tendre pour crier
Trop blessé pour prier
Son droit d’identité, d’esprit indépendant
J’ai perdu l’émotion, l’amour et la tendresse
Je veux t’apprivoiser, te remettre mes armes
J’avance en reculant, toujours à contrecœur
Trop loin pour me détendre
Trop près pour me défendre
Mais je me ferai sang pour battre dans ton cœur
En entrouvrant mes yeux pour qu’y coulent tes larmes
Manon