J'ai marché, sous la coupe de l'abandon,
Durant des heures, dans cette ville
Qui ne peut être ma ville
(Etant trop grande, trop anonyme)
(Et où je n'ai pas passé mon enfance)
Mais qui fut une école, buissonnière,
Un dortoir, une fête, la matrice d'un cauchemar
Et sa tombe (qu'elle reste à jamais scellée),
Une page vierge sur laquelle je fis gicler l'encre
Furieuse de ma jeunesse, tétant
De nombreux alcools, vu déformé à travers
Le verre d'une bouteille par les anges,
Qui me jugèrent - probablement - indignes d'eux.
Je suis descendu le long de ses quais,
Quand le soleil désertait, en me trouvant
Interdit de penser à une seule idée glorieuse -
Sur un banc, en plein boulevard, je m'arrêtais
Conscient que là aussi je n'étais qu'un sédiment
Humain charrié bon gré mal gré par le
Grand Fleuve - et je replongeais dans l'ivresse
Qui m'excusais de ne pas être, déjà, devenu
Quelqu'un ; et je repartais, pour une heure,
Sans savoir si je tomberai enfin d'accord
Au coin d'une rue avec le nom d'un objet,
Projeté mollement jusqu'à un mur sale,
Lardé d'affiches délavées, lacérées par les griffes
De quelque animal rendu fou par son désir.
J'humais l'odeur de la lutte avant de m'en
Débarrasser, en même temps que de toute maturité,
En fonçant tête baissée dans le vent salutaire
Du soir, qui souffle parfois sur les villes
A cause des avenues, ces déchirures de l'ordre,
Et l'ivresse devenait merveilleuse, bien plus vaste,
On aurait dit que la ville entière soufflait
Autour de nous : marcheurs, clochards, automobilistes,
D'une haleine renouvelée, d'une pollution inédite -
Ha, ce n'était pas alors ma ville, mais La ville,
La ville unique où l'homme ne peut plus faire
Autrement que de bouillonner, mélangé à tant
D'êtres et d'êtres vieux, fatigués, jamais sortis
De leur cocon, milliers de larves infusant
Dans ce qui serait le creuset d'un alchimiste invisible,
Qui, ayant trouvé l'union de sa moitié parfaite,
Décanterai là d'un amour pur, à jamais inconnu
De nous...