André Laude 1936-1995
Né à Paris il renouera avec ses origines occitanes. Son œuvre en sera imprégnée. Il rêve de devenir journaliste mais vivra le plus souvent chichement de petits métiers et il contribuera à quelques journaux par des articles critiques ou par des chroniques.
Militant anarchiste, toute sa poésie sera traversée par sa révolte viscérale contre la société. Pour lui, la poésie " est le produit d’une activité générale qui met en cause l’esprit, les sens, le sexe, la peau, et aussi l’histoire de l’individu, l’histoire collective.", son objectif étant de renverser l'ordre établi. Son écriture directe s'adresse à tous mais la forme poétique lui donne une force qui interpelle :
" Si j’écris c’est pour que ma voix vous arrache
au grabat des solitaires, aux cauchemars des murs
aux durs travaux des mains nageant dans la lumière jaune du désespoir …"
et dépasse ainsi la portée immédiate de son propos. Mais sa poésie, c'est aussi ses racines occitanes, la ville, l'amitié … Il écrira en outre plusieurs recueils pour les enfants.
Cette poésie qui nous brûle, nous consume, nous traverse comme un souffle, nous fait ressentir en même temps son rythme, ses doutes et épouse profondément les couleurs de l'humanité.
Si j'écris
Si j’écris c’est pour que ma voix vous parvienne
voix de chaux et sang voix d’ailes et de fureurs
goutte de soleil ou d’ombre dans laquelle palpitent nos sentiments
si j’écris c’est pour que ma voix vous arrache
au grabat des solitaires, aux cauchemars des murs
aux durs travaux des mains nageant dans la lumière jaune du désespoir
si j’écris c’est pour que ma voix où roulent souvent des torrents de blessures s’enracine dans vos paumes vivantes, couvre les poitrines d’une fraîcheur de jardin balaie dans les villes les fantômes sans progéniture
si j’écris c’est pour que ma voix d’un bond d’amour
atteigne les visages détruits par la longue peine le sel de la fatigue
c’est pour mieux frapper l’ennemi qui a plusieurs noms.
In Vers le matin des cerises
En traversant le pays des morts
En traversant le pays des morts
en route vers Aden les terres d’Arthur Rimbaud.
Je suce mes doigts à cause de la soif
de la malaria, du cancer des os.
Je songe à la Bretagne,
aux femmes aux hautes coiffes.
Je songe aux piroguiers du fleuve Zaïre.
Je songe aux oiseaux bariolés d’Amazonie.
Je songe au sexe chaud de l’indienne
à la tombée de la nuit.
Je songe à une espèce de poème
déclamé par un fou de génie
qui ferait taire les perroquets verts.
** ** **
Avec ma gueule de métèque
je marche le long des grands boulevards
de l’Europe de l’Ouest sclérosée
à la peau du ventre fripée
Je suis juif de Lodz
j’ai quitté
il y a
à peu près un siècle
le Shettl natal
pour devenir
raccommodeur de vieux vêtements
rue des Ecouffes
fidèle client
de la synagogue
et du bistrot
de Goldenberg
Je m’appelle
Moshé Isaac Lewinshon
Je suis kabyle
du Ravin de la femme sauvage
je balaie les feuilles mortes d’octobre
en récitant du Prévert
L’été je vide les poubelles
c’est beau
Paris à cinq heures du matin
dans l’Ile-Saint-Louis
Là-bas m’attendent
femmes et enfants
je reviendrai un jour
au douar
riche et tuberculeux
Je m’appelle Mohamed Larbi
Fils de la Kahena
Enfant du grand désordre
Je suis nègre
du pays des grands fétiches
et des lacs profonds, brûlants
aux poissons lourds
chez Renault Billancourt
je travaille à la chaîne
À la pause de midi
je tape sur les vieux bidons
cabossés
et ça fait rire les copains français
qui entre eux à voix basse
prétendent
que j’ai bouffé mes grands-parents
Je suis nègre
syndiqué
il y a des femmes blanches
que je désire
en silence
Je m’appelle Abou Diouf
et il paraît
que j’ai vingt-trois ans
je ne bois jamais
car je suis bon musulman
et les autres se mettent en colère
parce que je refuse de me saoûler
en leur compagnie
quand tombe la nuit
sur Pantin Saint-Ouen
Bagneux Ivry
rue Saint-Denis
Avec ma gueule de métèque
je marche le long des grands boulevards
de la civilisation occidentale
j’ai toujours peur
des flics qui cognent
tâtent sournoisement
sous mon imperméable
j’ai toujours peur
des regards haineux
des sourires des mères
qui promènent
leur progéniture
j’ai toujours peur
des néons
de la foule
des bagnoles qui me frôlent
des feux rouges
des fins de journées
des patrons de cafés
et de leurs chiens-loups
J’ai toujours peur
dans le métro
au BHV
dans la rue
dans ma chambre
propre et triste
nue
J’a toujours peur
de mon visage
dans le regard de l’autre
J’ai toujours peur parce qu’obscurément je sais
que je suis coupable
coupable de tout
Pensez :
Je viens d’ailleurs
Ma voix est rauque
je suis différent
Mon sang
a coulé
d’un feuillage inconnu
ici
J’ai toujours peur
Et pourtant
j’aimerais avec chacun
parler
de la pluie
et du beau temps
leur montrer à tous
les vieilles photos jaunies
de là-bas
du pays
Mais je ne peux pas
faire le premier geste
car j’ai toujours peur
Mais je vous demande
Pardon
Le Fou parle n°12 – mars 1980
Un flamant qui n'était pas des Flandres
Un jour dina avec un flamand
De son état savant. Ils furent si contents
Qu'ils décidèrent d'écrire ensemble
Un roman pour les petits enfants
Animalphabet 1977