Amoindri des cinq maladies
Que n'auront pu laver les escales
Je ne regrette rien le voyage
est aussi beau qu on le dit
les flots azurés remplis de squales
m'auront guerri de mon dépit
J'ai quitté ma ville natale de Brest
Ma pauvre mère
Quand je rentrerai
On aura enterré tes restes
A l'arsenal, au petit cimetierre
Ainsi que tu le souhaitait
Du fond de ses prières
Je l'entends me maudire comme une peste
de l'avoir abandonnée
Mais j'ai trouvé
sur l'ile Bourbon
Tout ce que je ne pouvais esperer
De mon pays moribond
J'ai troqué les miasmes
Et les odeurs de pisse
Pour les fragrances enivrantes
Du vetiver et des épices
qui m'ont délesté de mon asthme
J'ai quitté le sempiternel manteau de gris
Et l'austérité des abers bretons
Pour la saveur des plats qu'on aigri
Et les senteurs des plantes à savon
Ce siècle est fabuleux
De cette décision je me félicite
Elle m'arracha aux cotes de granit
pour le spectacle des roches en fusion
Ou la pierre comme le papier s'effrite
pour former de titanesques pitons
J'ai pretté serment
A mon roi, a mon pays
Mais je sais que je vais rester ici
Et que chez moi maintenant
n'est plus ce pays que j'ai fui
J'ai déserté l'équipage, abandonné mon capitaine
toute cette foutue hierarchie
Pour une créole large et sereine
Qui me donne des bécquées de letchis
En carressant ma bedaine
Lorsque nous sombrons assoupis
Peu m'importe que l'on me fouette que l'on me pende
Que l'on me mutile, que l'on me chatre
De ma vie passé je veux faire amende
Je veux jouir et ne veux plus me battre
Je m'ennivre de sa peau d'ébène
quand elle caresse ma peau d'albatre
Nous regardons s'épanouir notre chef d'oeuvre mulatre
Et lui ne grandira pas dans les chaines
Et lui ne sera jamais a vendre.
Le soir quand le soleil se noie paisiblement
mettant en perce un tonneau d'or englouti
qui se déverse dans l'océan
PAreil à une plaque de métal poli
un nuage prend la forme d'un hyppocampe géant
qui semble regarder par dela l'horizon
Tout ce que je ne peux voir
Il se métamorphose sans crier gare
en un impétueux dragon
Il crachotte les derniers sirius avant de se laisser choir
Le voici qui rejoint les tréfonds
Se liquéfiant dans le grand déversoir
des peines et des lamentations
la mer honorant ce deuil
se vet de son habit de noir
Sous l'oeil inquisiteur
De l'étoile du soir
Bientot suivie de ses timides apprenties
Elle semble convier ses soeurs
A cette étrange cérémonie
Nous saisissons dans notre contemplative torpeur
Le ballet destructeur
Ou chaque élément tout a son oubli
dévoile dans son abandon
Les grands principes régisseurs
Comme une lucarne sur l'infini
C'est ainsi que tous les soirs quand le soleil descend
Mirant les étoiles, comme la lune, allongés sur le dos
Nous mangeons le dodo
Avant de nous laver dans l'océan
Au petit jour, je peche voguant sur mon radeau
je fais germer mon avenir en le semant
Et la vie est un cadeau
en perpétuel recommencement
Simple comme un cour d'eau
Et plus profond que le firmament...
Je reve au bastinguage
moitié infirme comme maman
A qui j'envoie mes gages
Pour payer ses médicaments
Je garde en moi toutes ces images
De contrées lointaines et de cieux plus cléments
Chérissant les pieux mirages
De mes reves d'adolescent
Dieu laisse les fous comme les sages
Aller à leur faiblesses d'enfant
Que l'existence petit a petit saccage
Mais je suis a Brest encore et toujours
Accoudé au bastinguage
Me faisant siffler par les putes
Engoncées dans leurs piètres atours
Faisant pitance des marins et de leur rut
Je souris a contre jour
Pour cacher les stigmates de mon scorbut
Qui me vaut d'etre édenté et la cible de calembours
Leur théatrale parade d'amour
En grimace de dégout se mute
J'irais donc me souler seul sur les quais alentours
Gagnant cette nuit de haute lutte
Le monde est une tour
D'ou commence avec un cri
L'interminable chute
Qu'est le malaise de la vie
Si longue qu'on a le temps de batir des cahutes
De s'inventer des paradis
Est-il si inconcevable de preferer des illusoires reveries
A la réalité cinglante, aux moulinets des brutes
Dans cette dégringolade abrupte
Il m'appartient de faire des vrilles....