"Caminante, no hay camino …" *
en vrai enfant de la rivière, il savait,
par expérience,
qu'on ne peut vaincre le courant,
pour traverser,
qu'en se soumettant à lui,
en se livrant à son bon vouloir,
pour reprendre pied très en aval,
sur l'autre rive
et pourtant, il avait le sentiment ,
enivrant, de dompter le torrent
alors qu'il n'en était que l'esclave
habile, de duper cette force brute,
hypocritement, pour parvenir à ses fins
autour de la piste,
les tambours se sont tus, et là-haut
la femme ailée, les yeux bandés,
lâche son trapèze, en un vol mortel,
corps aveugle à la dérive,
dans un temps suspendu
et suant l'effroi ..... mais
elle fend l'air, dans une trajectoire
parfaite, comme la flêche de l'archer,
pour se suspendre, au bout de sa course
aux mains tendues de son partenaire
le chef d'orchestre incontesté**
au sommet de son art,
souverain, suspend son geste,
porte son regard jusqu'à l'horizon,
tel le cavalier qui rend les rênes
à sa monture,
et la horde de ses chevaux sauvages,
pleine de fougue et indomptée,
poursuit seule sa course, le galop assuré,
ivre de liberté, inventant son chemin
dans la prairie, jusqu'au corral
où elle s'abat, tout à coup apaisée,
saoulée par les grands espaces,
épuisée, étonnée de son aventure
et les flancs encore frémissants
alors, le chef d'orchestre,
seul vrai maître du jeu, même absent,
d'un geste bref, abrupt, met un point final
à la chevauchée sublime
..............
l'enfant de la rivière, la femme trapéziste,
le chef d'orchestre semblent nous suggérer,
peut-être, chacun à sa manière, qu’on peut,
"atteindre son but sans savoir comment ***,
après avoir acquis l'habileté d'un maître
par une pratique têtue, de paysan à la terre,
d'artisan, outil à la main, de marin sur le pont,
inébranlable au coeur des plus fortes tempêtes,
comme dans le vol du papillon dont on suit,
avec crainte et étonnement, les arabesques
inattendues, mais qui ne l'empêchent jamais,
au terme de sa course,
de plonger enfin dans la corolle odorante,
et de s'enivrer de son puissant nectar
tout comme le poème le plus ordinaire qui,
après des tâtonnements, des repentirs,
prend sa forme définitive, indiscutable,
intangible,
enfant sortant difficilement, après neuf mois
du ventre de sa mère, et qu'on accueille
comme s'il était annoncé,
prévu de toute éternité
* « Caminante, no hay camino, se hace el camino al andar » Antonio Machado
( Marcheur, il n’y a pas de chemin, on fait le chemin en marchant )
** Témoignage du grand chef d’orchestre Georges Prêtre, mort récemment
*** Tchouang-tseu dans «Le rêve du papillon »
« Atteindre son but sans savoir comment est appelé avoir la Voie. »
Mais , il y a un travail préalable à faire sur soi : se défaire d’idées reçues, de réflexes acquis, de principes d’action, … , car,
« La vie est comme la suie qui se dépose sur le cul d'une casserole. » . Et qu’il faut décaper d’abord.