Si pour présider votre fête,
Vous avez élu cette fois,
Un ami des monts et des bois,
Qu'on vous a dit être poète;
2e
Sois bien
C'est que vous aurez tout pensé
Que vers la glèbe maternelle,
Sa chanson ouvrirait son aile
Et vous parlerait du passé ;
3e
C'est que mes chers compatriotes,
Quelqu'un à tort, vous aura dit
Que je chantais, moi, si petit,
Vos belles montagnes si hautes;
4e
Qu'un poète en tout est pareil,
A l'enchanteur dont les Sésames
Font ouvrir les curs et les ames
Ainsi que les fleurs au soleil.
5e
Qu'il sait de vagues harmonies
Endormant soucis et regrets,
Comme le souffle des forêts
Ou la voix des cloches bénies ;
6e
Qu'il peut à tous quelques instants
Rendre la ferme ou le village,
Et les bons vieux vaincus par l'âge
Et l'amoureuse et les vingt ans...
7e
Non, je ne connais pas ce don suprême,
Je n'ai pas le divin miroir
Où nettement on peut revoir
Les lieux et les êtres qu'on aime.
8e
Mais comme tous nous adorons
Le même coin de notre France
Et gardons en nous l'espérance
Qu'un jour nous le retrouverons
9e
Comme pour que vos âmes chantent
Ainsi qu'au bois les rameaux verts,
Il suffira que dans mes vers
Passent les noms qui vous enchantent,
10e
A votre appel je suis venu,
Ne vous apportant que le thème
Où chacun brodera lui même
L'air que son cur a retenu
11e
Je vous dirai levant mon verre !
"A l'Auvergne au Rouergue, unis
"Comme les quartz et les granits
"Sous leurs sommets au front sévère !"
12e
Et, Fils des Monts ou des plateaux,
Sur vos pâturages superbes
Vous verrez Le bufs dans les herbes
Et vos pâtres dans leurs manteaux.
13e
"A vos bois ! dirai-je, à nos plaines !"
Et vous songerez aux foins murs,
Aux froments hauts comme des murs
Aux pentes couvertes de chênes.
14e
"A nos fleuves !" dirai-je encore.
Et de l'Allier à la Truyère,
Dans la basalte ou la bruyère,
Tout pleins de truites aux yeux d'or,
15e
Fleuves, ruisseaux, torrents, fontaines,
Coulant vers Nantes ou Bordeaux,
Et couvrant de ceps vos côteaux,
Diront leurs berceuses lointaines !
16e
"A nos hameaux ! A nos cités !
"Amis ! aux antiques coutumes !
"Au vieux langage ! aux vieux costumes !"
Et l'écho répond... écoutez !
17e
Entendez vous le son des cloches
Doucement s'égrener dans l'air,
Et les filles au rire clair,
Fraîches comme les fleurs des roches !
18e
Et nos cabrettaïres, si beaux
Quand, sous les arbres, aux vesprées,
Il marque le pas des bourrées,
De leur flûte et de leurs sabots !
19e
Mais n'oublions pas nos ancêtres,
Tous ceux qui glorieux ou non,
Nous ont laissé leur bon renon
Et le sol où croissent nos hêtres
20e
Arvernes, Ruthènes anciens
Vercingetorix et Luctère
Défenseurs de la vieille terre
Où chacun de nous a les siens
21e
Et vous tous qu'à travers les âges
Nos montagnes ont essaimés,
Noms glorieux et noms aimés,
Penseurs, soldats, artistes, sages,
22e
Laissez vos âmes accourir
Vers ceux qui sont de votre race,
Et donnez à mes vers la grâce,
Et l'accent qui sait attendrir,
23e
Afin que tous: rimeurs, convives,
Esprits errants des bons aïeux,
Air de notre sol, de nos cieux,
Bruits des forêts et des eaux vives
24e
Comme un orchestre aux mille voix,
Nous chantions la chanson rêvée
Qu'aucun poète n'a trouvée,
Mais qu'un peuple trouve parfois.
Fin
"A MOI AUVERGNE"
Jean Cancelier le 10 Juillet 1890