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(Note de lecture) Henri Droguet, "Désordre du jour", par Michaël Bishop


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Posté 18 avril 2017 - 09:29

 

6a00d8345238fe69e201b8d27914ed970c-75wiComment parler dâune Åuvre qui déparle, déborde et inonde, construit et débâtit, vire et dévire, cueille et dépulpe, innerve et dénerve, à jamais virant, pirouettant, tournicotant ? Réponse : on en parle avec joie, avec enthousiasme, étonné, émerveillé, plein de reconnaissance. Et ceci, simultanément enivré et dessoûlé. Car nous voici, dans Désordre du jour, au sein même du mortel et de son refus, son dépassement. Sans aucune transcendance pourtant, mais flottant, planant, se réjouissant dâune mortalité offerte, intensément vécue, de son don indicible, ses options, ses déjà infinies et, dirait Verlaine, « inexpectées » splendeurs improbablement puisées dans un quotidien aujourdâhui si souvent et si violemment sous-estimé, raillé là où pourrait suffire une touche dâironie, un sourire désirant caresser son rugueux, écailleux, grumeleux et (jamais vraiment) répétitif réel. Et ce plaisir, infaillible, constamment renouvelé, que dis-je, à chaque vers multiplié, cascadant, torrentiel, ce nâest pas un plaisir strictement tellurique, terreux, ruisselant de matière, de boue, de gadoue. Surgit implacablement, jumeau, alter ego, ombre et lumière sans distinction, ce que Deguy appelle le poème du poème, le récit vivant de la langue elle-même, océan illimité, si facilement oublié, « litté/litto / ralement / turbulent toupinant quelconque et menu / un souffle expirant / froiss[ant] et déliss[ant] / lâéternité mobile la faste hideuse / fureur les abîmes lâopaque / liquide canopée de la mer omnivore / que le ciel interrompu verdâtre / noirement laiteux / en un mot mat étame ». Un océan qui, tout en étant certes ce quâil est, au large de Saint-Malo et partout ailleurs, reste indissociablement, comme pour Hugo, celui des mots qui lâhonorent, lâinterrogent, le réinventent, en réfléchissent lâimprobable infinitude.

Voici donc le poème qui, inlassablement, « fermente / [â¦] bourgeonne / [â¦] mute / dérange ». Le poème dâun « chaordre [qui] règne », sans royauté, sans prétention, texte et musique chantante de « gyrovague », de « [pseudo]roi barbu vagabond / podagre et las / sâavan[çant] / simple     terrible presque / et médiocre impossible dis- / locuteur qui sans vélocité / déchiffre ». Et déchiffre-rechiffre, fatalement, comme il peut; câest-à-dire avec une vaste et inépuisable originalité, une vigueur élégiaque et implacablement souriante, une voix qui sait étreindre, câliner, sarabander, « andante con moto », face à, au cÅur même de, lâinfinie et foisonnante abondance indéterminable du réel avec ses interminables « petits riens », incertains, envahissants, astringents, dérisoires, auxquels répond â authentique répons hymnique psalmodié â lâinvraisemblable, lâinfatigable et si généreux, quoique tout autant hésitant poème dâHenri Droguet, acte et lieu dâ« ordre et beauté, luxe, calme et volupté », tous splendidement relatifs, car énorme, doucement vagabondante, infaillible fable, offerte sur lâautel de lâinnommable.

Et, comme la mer, voici une fable ayant « le dos large », capable de tout porter, transporter dans un geste de « transvasement », dirait Reverdy, celui qui anime et revigore tout acte qui mérite le nom de poésie. Désordre du jour relève le défi, poème dâune grande, dâune riche et réénergisante rareté.

Michaël Bishop


Henri Droguet, Désordre du jour, Gallimard, 2016, 164 p.,17.50 â¬.

 

 

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