Or c’est justement cette répugnance ou cette impossibilité de l’homme à se servir de son entendement, ce « consensus omnium » dans la passivité ou dans l’emballement inconsidéré, qui permet non seulement les guerres et les phénomènes totalitaires mais aussi toutes les formes de conditionnement que nous connaissons bien, politiques, commerciales, humanitaires et socioculturelles, qui sont notre lot quotidien, en raison de l’omniprésence des relais médiatiques. Pourtant, malgré la répétition de ces mécanismes collectifs téléguidés, le « peuple » demeure un mythe pour les démocrates et les humanistes de toutes tendances, une réalité quantitative transcendée qui justifie à elle seule tout l’édifice philosophique progressiste, tandis que pour les anarchistes de droite ce peuple, comme ses leaders, comme ses prophètes, comme ses messies et ses prêtres, est l’objet des plus sévères critiques, non pas parce que le combat anarcho-droitiste est livré au nom d’une idéologie spécifiquement antidémocratique, mais parce qu’il se caractérise par un souci constant de la vérité et que la démocratie républicaine repose, selon les anarcho-droitistes, sur des critères mensongers : pourquoi ne pas dire clairement, par exemple, que toutes les actions d’envergure qui ont tissé, en bien ou en mal, la trame de l’Histoire, ont été inspirées, mises sur pied et réalisées par des minorités ou des individualités agissantes avec la complicité, active ou passive, des peuples, même les révoltes authentiquement populaires comme l’insurrection vendéenne et la Commune ; que toutes les sociétés sont régies par des structures hiérarchiques – même les démocraties – verrouillées par des critères élitistes, aux mains de nomenklaturas qui exercent le pouvoir et jouissent de nombreux privilèges, sans que ces titres et cette puissance soient, pour des anarchistes de droite, moralement justifiables [...] ; et surtout qu’il ne saurait y avoir de progrès moral sans un constat préalable des inégalités foncières qui caractérisent l’humanité, et sans la nécessité reconnue de la promotion des élites morales et intellectuelles, de ceux qui font preuve de courage et de talent dans leur corps-à-corps avec la réalité, par leurs actes ou par leurs pensées […].
FRANÇOIS RICHARD, Que sais-je ? N° 2589 « Les anarchistes de droite », p. 98-99