le bonheur te prend sans crier gare,
comme une pluie d'été,
à temps où à contretemps,
sans vrai raison, au détour d'un chemin,
dans le bruit de la rue, dans la solitude,
ou comme hier, dans l'eau d'un bassin,
parmi des amis ou des étrangers,
quelquefois même au fond d'un cachot
ou au plus profond du désarroi
mais tu le reconnais à l'instant,
même si tu le découvres, subjugué,
surpris, incrédule, pour la première fois
ou après une longue absence, même si
tu ne lui donnes pas aussitôt son nom,
si inattendu, éloigné de l'état ordinaire,
presque un non-sens ; bouleversant,
comme pour le marin la vue d'une côte
inconnue, ou pour l'alpiniste l'approche
d'un haut sommet jusqu'alors invaincu
est-ce une sensation, une impression,
un sentiment nouveau, triomphant ?
simplement la certitude, tranquille,
que tu as enfin atteint un état de grâce,
un point de non-retour, indépassable,
un peu à l'image du disque parfait
que décrit l'hélice dans l'air, indéfiniment,
du mouvement ininterrompu du pendule
ou de la meule du vieux moulin à eau,
du jaillissement de la source qui jamais
ne se tarit, de l'eau du torrent,
indomptable,
qui descend de la montagne
mais les douze coups banals de minuit
emportent le carrosse de Cendrillon
et ton bonheur en même temps,
alors s'impose plus que l'heure du deuil
ou des regrets, le souvenir intense
- qui s'inscrit en toi, qui t'habite -,
de ces moments singuliers, étranges,
la trace, la marque au fer d'un bonheur
enfui, mais préservé, intact à jamais,
objet d 'un désir qui ne te quittera plus,
ni à travers les temps les plus sombres,
ni dans le malheur,
dans un acte de foi insensé
qui te tiendra jusqu'à la mort même