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(Note de lecture), Julien Blaine, "Dé buts de Ro man *&", par Joëlle Gardes


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Posté 16 août 2017 - 08:45

 

6a00d8345238fe69e201bb09b96c27970d-50wiLe dernier livre, recueil (on ne sait exactement quel terme utiliser) de Julien Blaine est fait de 85 exercices (le mot figure en 27 et lâon pense à dâautres exercices relevant de la littérature à contraintes, les Exercices de style de Queneau). Il se situe dans lâentre-deux : entre poèmes en prose et incipit de romans, entre rire et larmes, entre dérision et compassion, entre clôture et ouverture. Comme le dit le titre, il sâagit de proposer des débuts de romans. Le 32 est explicite : « il ne put sâempêcher de lire cette ligne et de penser aussitôt que câétait la première ligne dâun roman fleuve. »
Ces débuts relatent des anecdotes :

7 En retournant de chez ses parents : lui, le père nonagénaire dégoulinant sur son fauteuil roulant et elle, la mère, dont lâego était si éblouissant quâil brûlait toutes celles et tous ceux qui lâapprochaient, il envoya ce texto à ces enfants : « si un jour je me suicide, je nâaurais pas besoin de laisser un mot ! »

des descriptions, comme celle de la mer à la Seyne, des souvenirs :

29 [â¦] Il se souvint alors de cette matinée de novembre où, au milieu des vignes dâAllauch, il traversait les rangées de ceps, une à une, en culotte courte, les genoux gercés, un cartable insupportable à la main droite

Certains textes, comme précisément le 7, se suffisent, et la fermeture que marque la ponctuation accompagne celle de lâhistoire relatée. Certes, tout peut toujours être continué, mais la différence est nette entre certains poèmes-débuts achevés et dâautres où la disparition progressive de la ponctuation, deux points, point-virgule, virgule puis rien comme dans le 29, est une invitation à poursuivre. Au fur et à mesure de lâavancée du recueil, les mots eux-mêmes se défont :

80 Taha se tourna vers son frère :

« Ne penses-tu pas plutôt q

Et cela pourrait nâêtre quâun amusement, un jeu avec règle quâon sâest donnée dâaller vers toujours plus dâeffacement. Il arrive même quâune note commente avec humour lâexercice : « je ne peux pas broder » et elle se met alors à expliciter ce qui nâest pas dans lâ « exercice ».
En réalité, on est devant un ensemble grave derrière sa légèreté de surface, à mes yeux, lâun des écrits les plus personnels de Julien Blaine. La vie sâamuït comme les dé buts, et ce nâest pas un hasard si lâincipit 2 renvoie à lââge :

Câest à partir de ses 66 ans
& 10 mois quâil dut se contenter pour seule
fréquentation et commerce érotique dâun massage
par sa shampouineuse à qui il quémandait
un traitement du cuir chevelu.

Du grand âge, de la vieillesse, il est souvent question, comme en 22 : « En fait, de cet état, de cet âge, il nâen savait rien. » Et il faut bien découvrir que, loin dâapporter la sérénité et la sagesse, il apporte avec lui lâoubli, le sentiment dâêtre devenu étranger à soi (67). Ainsi sâagit-il avant tout de proposer une sorte de bilan, sur les comportements humains, souvent particuliers, pour ne pas dire étranges, comme celui du restaurateur de la Madrague-Montredon, qui jeûne quatre jours tous les quarante jours, celui qui vomit « quand les restaurants sont trop chers », celui qui rêve que ce sont les chiens qui attendant que leur maître « ait fini de chier ». Ce sont aussi des comportements mesquins comme celui du conducteur de bus qui se déporte sciemment pour empêcher un scooter de passer. Mais heureusement, face à la petitesse humaine, la poésie résiste et on se prend à rêver devant lâétonnante mais si juste définition qui en est donnée en 14 :

â câest quoi être poète ?
â Câest aller au fond de lâeau caresser les poulpes tandis que les autres les cueillent et les mangent.

Et heureusement quâelle existe et prouve que lâhomme ne se réduit pas à ses fonctions excrémentielles. Nombreux sont les textes qui évoquent la merde, le pet, la morve, qui sont aussi ce qui nous définit et devraient nous inciter à lâhumilité. Julien Blaine ferait-il partie de ces moralistes tristes comme Pascal ou La Rochefoucauld ? Mais les clowns aussi sont tristes.
Dâune certaine façon ce livre parle avant tout de lâavancée vers la mort, qui est, elle, la fin du roman de notre vie. Du reste, câest sur la mort du père, que, sans transition, sâachève le livre, sur le long et admirable 85, sorte de journal de lâagonie et de la disparition, du samedi 5 septembre à

courant octobre, continuant novembre, poursuivant décembre, janvier et février 2016
La nuit quand je somnole, dans mes éclats dâéveil, je me surprends à imiter lâagonie de mon pèreâ¦

La confidence est sans pathos, sans cri, et lâon a peine à croire que câest celui qui se flatte de vociférer qui se taise, que celui qui sâest toujours révolté, contre les dogmes et les conformismes, accepte de dire « ma mère » et « ma sÅur » aux religieuses de lâhôpital où est son père, parce quâil est des heures de grand sens où seule lâacceptation est possible : « Et cela ne mâa pas posé de problème. » 
La conclusion est un texte non numéroté : « Fin / des /débuts de / Ro / man »
Cette fin-là nâa pas besoin dâêtre écrite, car elle est toujours la même et la même pour tous.


Joëlle Gardes

Julien Blaine, Dé buts de Ro man *&,  2017, Éditions des Vanneaux, non paginé, 19 euros.

 

 

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