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(Note de lecture) Paul de Brancion, "L’Ogre du Vaterland", par Pierre Drogi


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Posté 16 octobre 2017 - 09:48

 

6a00d8345238fe69e201bb09cd9e40970d-50wiLâOgre du Vaterland fait suite et pendant, chez le même éditeur, à Ma Mor est morte, publié en 2011. Portrait du père après celui de la mère. Et pourtant, LâOgre du Vaterland ne se lit pas comme un prolongement direct ou comme une dérivation de Ma Mor est morte. Le rapport entre ces deux livres est plus complexe et la façon dont ils se complètent ou se répondent, en présentant séparément les deux éléments dâun couple, nâempêche pas que nous ayons affaire à deux ouvrages dâune nature différente.
La temporalité de ces deux livres (la façon dont ils appellent la lecture, dâun trait ou en plusieurs étapes), leur organisation matérielle, leur dispositif, la façon dont est posée la voix, leur objet même pour ainsi dire, diffèrent.
Si le premier pouvait se lire paradoxalement comme un exercice de compassion, à travers même lâexpression réitérée de la haine (dâun amour-haine déchiré et hésitant), celui-ci constituerait plutôt un exercice de rébellion, lâexpression dâune lutte sans merci pour lâexistence, pour rester soi, non aliéné, face au bloc énigmatique et clos de haine, dâindifférence meurtrière ou de négation quâon identifie comme adversaire et quâon affronte. Le livre se conclut dâailleurs par lâexpression dâune sorte de victoire, la réaffirmation dâune résistance obstinée que lâadversaire nâest pas parvenu à vaincre.

Le livre est scandé en trois parties. Lâune enlevée, jubilatoire, excessive, assumant pleinement lâhyperbole ; la fiction y emporte le tout. Deux plus sèches et factuelles, dégagés au couteau (avec du sang sur la clef). Le livre en ressort plus heurté, plus tranchant que le précédent. Il apparaît surtout plus circonstanciel dans ses deux dernières parties, entrant davantage dans le biographique. Comme sâil y allait aussi avec cela de la peau de son auteur.
On nây fait plus dialoguer, ou sâopposer, ou fusionner plusieurs idiomes en un seul texte, redoublant ce dernier par son écho « traduit » et clarifié (apaisé, lissé ?) sur la page dâen face : trois langues (anglais, danois, français) aux prises sur la page de gauche, et leur « traduction » ou réduction musicale à une, le français, sur la page de droite. Câest quâil nâest plus question dâinterroger la mère à travers une langue maternelle impossible ou piégée. Ni de trouver proprement les chemins de sa propre langue (dâécrivain, entre autres). Dans LâOgre du Vaterland le recours, beaucoup plus discret, plus ponctuel, à des mots dâune seule langue étrangère, lâallemand, en regard du français, pointe et durcit le rapport en réduisant le jeu des langues à une opposition binaire. La langue allemande semble désigner à la fois la distance terrifiante où se situe le père (à travers notamment la figure du Roi des Aulnes, à travers aussi ce royaume que constitue le Vaterland) et, en face, le point dâappui unique du « je » qui se dit systématiquement « Ich ». Elle définit ainsi une guerre de positions à laquelle il sâagit de survivre, intact si lâon peut. Une guerre quâon livre en quelque sorte à lâétranger, sous le masque (ou les mots), ou le casque, dâune autre langue.

La langue en tant que condition de lâexpression était affaire de mère, câest entendu, lâaffaire de la mère. Il fallait inventer autre chose (un autre instrument) pour dire cette autre guerre : moins de langage à présent, lorsquâenvisagée sous lâangle du père, que de position et dâidentité. Un nouveau dispositif dâordre mental vient donc remplacer la confrontation et la confusion babélique des langues. On dira le père comme Ogre en se référant aux contes, mettant en écho, subtilement, mais presque mécaniquement ou sèchement aussi (en faisant entendre les frottements entre les deux plans), des citations de contes avec le texte « principal ».
Ces citations diffractent le sens premier ou bien en fournissent un contrepoint ; comme un commentaire moqueur. Et cela grince. La confrontation avec lâunivers cruel et revendiqué comme fictif des contes de Perrault fait office de révélateur. Lâironie trace à lâeau forte le portrait dâune solitude enfermée hostilement en elle-même, retranchée, restée jusquâau bout presque incompréhensible. Comme restent incompréhensibles la solitude des parents du Petit Poucet ou celle de la Barbe Bleueâ¦
Dans un impossible règlement de contes, pour ainsi direâ¦

Pierre Drogi


Paul de Brancion, LâOgre du Vaterland, éd. Bruno Doucey, 2017, 120 p., 14,50â¬.

 

 

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