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(Note de lecture) Ben Lerner, "La Haine de la poésie", par Olivier Devallant


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Posté 21 novembre 2017 - 09:30

 

6a00d8345238fe69e201bb09d9250d970d-75wiLa haine de la poésie et non de l'indifférence. C'est tout l'enjeu de ce court essai, tout en ironie, de Ben Lerner, poète et romancier, qui sâétait notamment fait remarquer par son premier roman Au départ dâAtocha.

« Moi aussi je la déteste », le premier vers de Poésie de Marianne Moore, revient comme un leitmotiv dans ce texte, comme il revient sans cesse dans lâesprit de Lerner, depuis quâil a appris ce poème au lycée. Oui, lui aussi la déteste, la poésie, cet art attaqué de toutes parts, « détesté du dehors comme du dedans ».  Il essaie de comprendre les causes de cette aversion quasi universelle, qui existe depuis des millénaires, qui a fait de la poésie, un art oscillant entre défense et dénonciation, et dont la mort est régulièrement proclamée.
Lâessence de cette haine viendrait de lâécart entre le but de la poésie - chanter lâinfini â et son rendu dans un poème, bassement réel, qui « nâest jamais quâun aveu dâéchec ». La traduction de lâinfini, fût-ce pour des poètes virtuoses, est impossible et  la Poésie est ainsi structurellement condamnée. Ce que disait déjà Socrate : « le lieu qui est au-dessus du ciel, aucun de nos poètes de lâa encore célébré ; aucun ne le célébrera jamais dignement ». Il rejetait les poètes de sa République, car ils nâétaient que des rhétoriciens, sâéloignant de la vérité, capables seulement de fausses représentations et incarnant de ce fait un danger politique.

Dâautres ont par la suite insisté sur lâinutilité de la poésie. Mais étonnamment, les défenseurs de la poésie se réfèrent toujours à son Idée en ne mentionnant que rarement des exemples de poèmes. Ainsi Shelley loue  « les conceptions originelles du poète » tout en insistant sur leur « ombre affaiblie ». Ce que résume Lerner par : « le problème fatal de la poésie : les poèmes ». De même, les mouvements « avant-gardistes » du XXème (Futurisme, Surréalisme) haïssent les poèmes existants pour les remplacer par une expérimentation formelle qui deviendra davantage fameuse dans leurs Manifestes que dans leurs recueils.
Heureusement Lerner sâamuse à citer des poèmes en montrant comment les négatifs du Poème idéal peuvent apparaitre ; il dévoile notamment le Désastre du Pont Tay, dâun certain McGonagall, poète écossais du XIXème,  « considéré comme lâun des poèmes les plus résolument catastrophiques de tous les temps ». A son analyse, hilarante, succèdent celles plus classiques de poèmes de Keats et Dickinson qui lui font relever que « la nullité et le génie se rapprochent davantage que le médiocre, le passable ou même le pas mal ». Si les grands poètes combattent les limites du poème réel, lâampleur de lâéchec des poètes pathétiques offre « malgré eux une lueur de la possibilité » du Poème Authentique. Mais dans les deux cas, lâidéal utopique de la Poésie persiste.

Lerner est moins convaincant dans sa critique de la relation entre la poésie américaine et la politique, marquée à jamais par la nostalgie du maître en la matière Walt Whitman. En conclusion, il précise sa démarche : défense de la poésie et défense de sa dénonciation, qui en font la dialectique du poète. Mais câest dans lâimage dâun phénomène météorologique baptisé virga que sa thèse est la plus limpide : ce sont des « cristaux de glace qui sâéchappent dâun nuage et sâévaporent avant de toucher le sol. Une pluie qui ne comble jamais complètement lâécart entre le paradis et la terre. » 

Olivier Devallant

Ben Lerner, La Haine de la poésie, Ed. Allia, 2017, 93 pages, 7 â¬.

 

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