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(Anthologie permanente) Pierre Vinclair, "Le Cours des choses"


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Posté 23 avril 2018 - 08:52

 

6a00d8345238fe69e20224df2cf554200b-75wiPierre Vinclair publie Le Cours des choses aux éditions Flammarion. Laurent Albarracin a écrit cette recension à propos de ce livre et a proposé à Poezibao ces extraits :





47.
Au pied de lâautoroute aérienne il y a
un parc où les enfants dans la lumière rase
de lâhiver jouent et crient ; lâune grimpe un rocher
lâautre vole sa balle à un bébé dodu

et sâenfuit en courant face aux vieillards pliés
dans leur fauteuil roulant ; nous marchons sous les arbres
contournant les danseurs piliers dominicaux
poussés par la techno au milieu des statues

â cela fait quelques jours que je te trouve absent
tu as lâair dans ta bulle⦠est-ce la perspective
de passer à Shanghai une année de plus sans

ami, dans cette bulle où lâair est vicié ?
as-tu quelque regret ? que se passe-t-il donc
dans ta tête ? â jâécris, dans ma tête jâécris :

jâécris que les enfants traversent lâherbe bleue
sous les stridulations éraillées du sifflet
dâun gardien face aux vieux divertis du soleil
par un arbre, en passant jâécris que leur peau est

une feuille froissée et constellée de taches
juste posée sur le bois poussiéreux du crâne
comme un masque dâart brut dans un musée désert
attend dans lâombre un visiteur resté chez lui â

pâles entortillés, assis sous les branchages
décharnés, leurs yeux gris ouvrent mal leurs paupières
purulentes ; leur bouche exhale un râle amer

crachoté dans lâeffort par leurs lèvres tombant
comme un ruban de scotch où se sont pris épars
de longs poils morts ; ils parlent de Mao Zedong

(mais que Shanghai ou non soit polluée, les gardiens
du parc fument leur clope en face de lâentrée
et plus loin, dâautres vieux font du tai-chi, des mains
se frictionnent ; Shanghai persévère en Shanghai ;

quand la pollution tombe, on va se promener
dans les odeurs de pneu de ciment brûlé dâhuile
de voiture et je cherche un rythme pour mes frères
mes vers â tournez, quatrains, purificateurs dâair !

les rues sont vides je traverse le matin
dâhiver où tout peut avoir lieu dans la lumière,
certes ocre â la pollution adoucit tout,

engourdit tout â avant lâexplosion dâun autre
printemps ; tout de cette vie semble ouvert⦠so what ?
les moteurs en ronflant redoublent le silenceâ¦)

jâécris⦠câest le printemps dans la bibliothèque
mais de lâautre côté de la longue fenêtre
déjà la ville a pris la forme dâune ville
sous les fragments tombés dâun nuage fragile

quâon épouille : une pluie de pollen â en silence â
à part le tapement sans rythme des claviers
â mais toi, que fais-tu là ? â jâécris, je fais un livre.
â des gesticulations ! que tu es plein de toi !

je sors â dehors, on nâentend pas non plus le cri
des oiseaux paradant, excités â les voitures
troussent leur fumée maigre et grise â et les humains ?

le front haut du richard à être riche, ils bougent
en pensant, le pouilleux à sa purée, la belle
au temps qui va passer : ils tremblent au néant.

Une vieille, à la fin, me regarde depuis
un visage immobile, affaissé, lave sèche
et ses yeux évidés, aux marins disparus
depuis longtemps, comme des coques qui dérivent â

puis la fille au visage identique vingt-cinq
ans plus tôt â comme sur le cercueil on dépose
un portrait de lâartiste en jeune homme â elles passent
bras dessus bras dessous telle une allégorie,
 
et moi, je me promène au contraire, amusé,
inconséquent, absurde au milieu de Shanghai
comme à prévoir lâalbum de photos touristiques

quâest ma vie, au futur antérieur, vers ailleurs
déjà, passant léger, aussi libre que lâombre
dâun cerf-volant â que le fantôme â ou que la mort.

Pierre Vinclair, Le Cours des choses, Flammarion, 2018, 218 p., 18 â¬, pages 163 à 165.

Pierre Vinclair dans Poezibao :
bio-bibliographie, extraits 1, Barbares (par J. Segura), Barbares (par F. Trocmé), un entretien (par Florence Trocmé), autour dâun fragment du Kojiki, entretien] avec Pierre Vinclair (par Matthieu Gosztola), 5/5 avec PDF de lâintégralité de lâentretien, ext. 1, ext. 2, "Une nouvelle célébration. Portrait(s) de Chongqing", par Guillaume Condello, feuilleton Terre inculte (sur the waste Land de TS Eliot) : 0 & 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25,  26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37


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