Le train s’immobilise en gare.
La porte s’ouvre dans un bruit effrayant, laissant apparaître la vision de ce qui n’aurait jamais dû être !
Tout le monde, ou presque, descend du wagon.
Presque ? Il ne descendra définitivement plus, d’ailleurs, une balle dans la tête tirée à bout portant, a clos cette interrogation !
Sur le quai, les coups pleuvent !
Dans un désordre ordonné de numéros bien rangés, ces outils charnels au matricule encré jusqu’en leur chair, ces anonymes à l’étoile jaune seront parqués !
La cohue générale qui règne ici est volontaire et ne leur laisse de répit, il n’y a aucun mépris là-dessus !
Le corps de l’enfant jeté là à même la terre, le tas de valises sans propriétaires, la poupée clouée sur le poteau, les souliers qui jonchent le sol, rien n’est dû au hasard.
Quelques minutes se passent, puis la peur enveloppe les lieux, tel un oiseau de proie qui impose le silence.
Des hommes, des femmes, des enfants ;
un cri qui perce le silence. Quelle arrogance ! Une détonation l’efface d’un revers de décibel, d'un son bref qui empli le vide et qui crache ici toute son horreur…
Le corps s’effondre, sans briot, sans vie.
Pas un mot, pas un geste ni même un regard, juste la peur qui les efface… Un court instant, à l'interstice d’une émotion, une sensation étrange vient s’étrangler, dans ces gorges nouées.
Le kapo rengaine son arme, fait claquer ses bottes et se retire.
Silence !
Personne ne bouge. Tout semble suspendu : les secondes, les minutes, les sanglots, les râles, les heures, les jours, les nuits, le sang, l’urine, et tout s’écoule pendant que défile, moribond, le temps qui ne laisse ni échappatoire, ni illusion quant à cette issue ! Des regards vides se croisent, dans l’effroi et dans l’absence ; ces yeux, qui ne voient plus rien d’autre que l’horreur SS, fixent le reflet du néant dans ce miroir sans tain où dansent toutes leurs peurs…
Abomination, déchirement, épidémie, décharnement, viol, dépression, traumatisme, oppression, soumission, sélection, perfusion, exécution, pendaison, extermination. Et dieu que l’attente est longue…
Ne rien dire, ne rien faire, ne pas bouger ; ne pas tomber où osciller, ni même montrer le moindre signe de faiblesse, pas même un sursaut, ou une larme, car ici, la faiblesse est une fin en soi.
Il fait froid.
Les pieds nus sur le sol glacé, par 30 au-dessous de zéro, ils attendent ; ils attendent indéfiniment...
Ils attendent un ordre, une humiliation, un choc, une persécution, un tortionnaire, un coup de revolver, une crémation, ils attendent que se résume ce qui n’aurait jamais dû être !