Aller au contenu

Photo

(Entretien) avec Bruno Fern, par Henri Droguet


  • Veuillez vous connecter pour répondre
Aucune réponse à ce sujet

#1 tim

tim

    Administrateur

  • Administrateur principal
  • PipPipPipPip
  • 5 689 messages

Posté 14 août 2018 - 09:50

<p> </p>
<p class="MsoNormal blockquote" style="line-height: 125%; margin-left: 40px; margin-right: 40px; text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt; line-height: 125%; font-family: 'Garamond','serif'; letter-spacing: 1pt;"> <a class="asset-img-link" href="http://poezibao.type...86b6c200b-popup" onclick="window.open( this.href, '_blank', 'width=640,height=480,scrollbars=no,resizable=no,toolbar=no,directories=no,location=no,menubar=no,status=no,left=0,top=0' ); return false" style="float: left;"><img alt="Bruno Fern suites" class="asset asset-image at-xid-6a00d8345238fe69e2022ad3a86b6c200b img-responsive" src="http://poezibao.typepad.com/.a/6a00d8345238fe69e2022ad3a86b6c200b-75wi" style="width: 75px; margin: 3px 15px 5px 5px; border: 1px solid #969696; box-shadow: 8px 8px 12px #aaa;" title="Bruno Fern suites" /></a><a class="asset-img-link" href="http://poezibao.typepad.com/.a/6a00d8345238fe69e2022ad36291c5200c-popup" onclick="window.open( this.href, '_blank', 'width=640,height=480,scrollbars=no,resizable=no,toolbar=no,directories=no,location=no,menubar=no,status=no,left=0,top=0' ); return false" style="float: left;"></a>Échanges entre Henri Droguet et Bruno Fern <br />à propos de <br /><em>suites</em><em>, <br /></em>éditions Louise Bottu, mai 2018, 162 pages, 14 â¬<br /> <br /> <br /> <br /> <br /><br /><br /> Henri Droguet : Commençons par le titre : <em>Suites</em> de quoi ? De quelle entreprise ? Pourquoi le pluriel ?<br /> <br /> Bruno Fern : À lâorigine du livre il y a le fait que lâun de mes arrière-grands-pères, qui exerçait au Pays basque le métier de cordonnier tout en chantant, est revenu « fou » de la guerre 14-18 et a fini par se suicider. Une de ses filles fut ma grand-mère dont jâétais proche, ce qui fait que jâai longtemps été hanté par ce drame. Lâun des sens du titre est donc celui des <em>séquelles </em>dâun traumatisme sur les générations suivantes<em>.</em> Au-delà de cette dimension familiale, il y a bien sûr les multiples <em>conséquences</em> collectives de ce conflit qui discrédite cette formule au verso de la médaille de mon aïeul : « La Grande Guerre pour la Civilisation ». Ensuite, puisque tu parles dâentreprise, le livre lui-même tente de <em>donner suite</em> à cette vie anonyme brisée parmi tant dâautres par les dominants â cette phrase dâAnatole France est partiellement citée p. 72 : « On croit mourir pour la patrie ; on meurt pour des industriels. » (1) Un troisième sens est lié à la forme de lâouvrage, cette <em>succession</em> de fragments très variés, motivée par au moins trois raisons : 1) je nâai que des bribes de ce quâa vécu mon bisaïeul, dâoù la nécessité de reconstituer son histoire mais sans en masquer les lacunes ; 2) sa vie a explosé sous le choc de lâHistoire â et les éclats se sont dispersés au-delà dâelle ; 3) je partage ces propos dâArno Schmidt : « Pour lâamour de la &quot;vérité&quot; â câest-à-dire pour approcher dâune reproduction fidèle de notre monde par des mots â je remplaçai la fiction injustifiée du &quot;fleuve narratif&quot; par la formule plus appropriée de &quot;cascade narrative&quot;, laquelle mousse de degré en degré [...] » (2) Une dernière facette du titre se rapporte à la musique où le terme désigne un <em>ensemble ordonné</em> de pièces brèves, de rythme et de caractère différent, définition qui coïncide avec cette narration effectuée à travers des éléments hétérogènes â et renvoie également à lâimportance de la musique dans le livre où figurent de nombreuses chansons, parfois détournées.<br /> <br /> <br /> H. D. : Quant au sous-titre, on peut penser que <em>roman-fleuve</em> est une allusion ironique au genre conçu et développé entre les deux guerres mondiales par des romanciers français académiques (Jules Romains, Georges Duhamel, et autres), non ?<br /> <br /> B.F. : Non, il ne sâagit pas de ça et dâailleurs il nây a pas de tiret entre les deux mots. En fait, ce sous-titre a une double signification : premièrement, il évoque la noyade que mon arrière-grand-père a choisie pour en finir, choix qui a eu des ramifications traumatiques à long terme ; deuxièmement, il renvoie, comme je lâai déjà mentionné avec cette citation dâArno Schmidt, à la structure même du livre, faite de multiples affluents qui alimentent le cours du récit ou plutôt des deux récits. Celui de la partie I a trait à mon bisaïeul et celui de la partie II suit dans lâordre chronologique (sauf la sous-partie intitulée <em>Dans les formes</em>) lâexistence dâun personnage qui tient autant de Walter Benjamin et de Don Quichotte que dâun « moi » constitué non seulement de souvenirs mais aussi de fictions, rêves, fantasmes, influences diversement conscientes, etc.<br /> <br /> <br /> H. D. : Comment faut-il aussi entendre « roman » ?<br /> <br /> B. F. : Comme un texte où le souci dâun fil narratif est quasi permanent mais, comme en ce monde rien ne saurait couler de source, certains choix viennent en souligner les limites : 1) la trame fragmentée qui oblige parfois le lecteur à retrouver les liens  entre les différents éléments â ou, au contraire, les écarts, les non-dits ; 2) la multiplicité des genres, de la lettre à la consigne scolaire ou au journal intime ; 3) le travail dâécriture à des degrés variables : ainsi on va dâune prose quasiment classique, dans le paragraphe sur lâavant-guerre, à des passages stylistiquement « agités » â par exemple, quand il est question des tranchées, les effets sonores et les distorsions syntaxiques veulent faire écho à la «vie »  sur le front et à la détérioration progressive de lâétat mental du soldat.<br /> <br /> <br /> H. D. : Quant à la première partie qui porte sur ce que vécut l'aïeul, on voit bien que tu as choisi une <em>écriture par gros temps </em>comme disait Walter Benjamin. C'est « l'inédit de l'histoire » que tu privilégies, tu campes sur le terrain du présent en posant des capteurs sur le corps du passé. Par conséquent le brouillage spatio-temporel, une sorte de vacillement permanent, le mixage culturel, le rebut, les technologies obsolètes et contemporaines. Peux-tu en dire davantage sur ce point ? Ou pour le dire autrement, une fois le programme posé, quel cahier des charges t'es-tu fixé ?<br /> <br /> B. F. : Pour ce qui est de cette partie, il y avait une contrainte inévitable : le peu que je savais de lâhistoire de mon arrière-grand-père, notamment en raison dâun banal secret de famille. Jâai donc dû recourir à des documents divers : archives militaires (dont les citations collectives des régiments dâinfanterie, bijoux de propagande nationaliste), lettres de poilus, carnet de guerre de lâun dâeux, fiches techniques (sur les armes utilisées), articles de presse de lâépoque, etc. Ensuite, comme je lâai déjà dit, jâai voulu que le texte <em>soit </em>simultanément un reflet de la violence extrême du conflit et de ses effets dévastateurs sur le psychisme de mon aïeul. Enfin, jâai tenu, comme tu le soulignes, à ce que le côté non seulement lacunaire mais aussi artificiel de cette reconstitution soit manifeste (pour éviter un discours pseudo-réaliste qui risquerait de sonner faux â cf. supra la « vérité » selon Arno Schmidt), dâoù le recours à des formes et à des références contemporaines (le QCM ; les termes médicaux utilisés aujourdâhui : lâéchelle de la douleur de 0 à 10, la notion de stress post-traumatique, la mise en place dâune cellule psychologique, etc.).<br /> <br /> <br /> H.D. : Est-ce que cette fragmentation générale est calculée pour incommoder, malmener, intranquilliser le lecteur ?<br /> <br /> B.F. : Elle vise avant tout à mettre le texte en mouvement et, même si je me demande si cela fera « au bout du compte une histoire au sens où le lecteur sây retrouverait autrement quâentre deux chaises ? » (p.125), je parie sur sa capacité à lire autre chose que du prémâché. Cela dit, certaines thématiques peuvent en elles-mêmes créer un malaise â salutaire, jâespère ! â et il y a des passages où la déstabilisation tient probablement au caractère tragi-comique de la situation.<br /> <br /> <br /> H.D. : Lâaccumulation de matériaux hétérogènes a-t-elle quelque chose à voir avec le grotesque ?<br /> <br /> B. F. : Oui, bien sûr, et ce dâautant plus que je souscris à cette phrase de Thomas Bernhard : « Ce qui a rapport avec les hommes est toujours grotesque et câest la guerre avec ses circonstances qui est toujours la plus grotesque. » (3) Câétait là aussi une façon de dédramatiser quelques scènes, même si je nâai pas voulu masquer lâhorreur de la guerre, et de se moquer de certains discours (militaires, politiques et même littéraires) à ce sujet.<br /> <br /> H.D. : Parmi les figures qui hantent ton texte, on trouve dès lâépigraphe Walter Benjamin et Don Quichotte. Pourrais-tu nous préciser quel est le statut du personnage de Cervantès dans ton livre ?<br /> B.F. : En fait, le déclencheur de lâécriture, il y a déjà plus de cinq ans, fut la lecture, sur les conseils du regretté Ronald Klapka, dâun ouvrage de la psychanalyste Françoise Davoine, <em>Don Quichotte pour combattre la mélancolie</em> (4). Selon elle, Cervantès a écrit <em>Don Quichotte</em> pour surmonter les traumatismes quâil avait vécus en tant que soldat puis prisonnier de guerre. Une telle interprétation ne pouvait que me rappeler lâhistoire de mon aïeul qui, lui, nâavait pas réussi à survivre. En plus de cet aspect thérapeutique, le personnage de Don Quichotte mâintéressait évidemment par sa dimension tragi-comique â pour la même raison, jâai oscillé entre le Walter Benjamin penseur de lâHistoire et ce <em>Monsieur Maladroit</em> que sa mère évoquait souvent dans son enfance (5).<br /> <br /> <br /> H. D. : Puis-je poser une question à propos des travaux appliqués de pornographie de la <em>Série C </em>? <br /> Quelle est la fonction de ce catalogue de séances ou de postures stéréotypées qui mettent en scène un personnel interchangeable (de la chair à boxon) et qui ne provoquent aucune émotion particulière, sinon ce que Barthes nommait lâécÅurement de la répétition ?<br /> <br /> B. F. : Pour ce qui est du mot <em>pornographie</em>, je rappellerai dâabord la formule dâAndré Breton : « La pornographie, câest lâérotisme des autres » Cela dit, lâactivité militaire a longtemps été « réservée » au sexe dit fort et, selon certains, contribuait même à <em>faire un homme</em>. Or, dans le cas de mon aïeul, elle lâa <em>défait</em>. Ce prétendu déficit de virilité incite son descendant livresque à chercher des formes de compensation, notamment à travers une sexualité où la femme est considérée comme le fameux « repos du guerrier » â cf., par exemple, cette phrase de Gadda à propos des fascistes : « Je nâinterdis pas à la Patrie de demander aux femmes dâaccomplir leur devoir envers la Patrie, lequel est, principalement, de se faire foutre. » (6) Au fil du livre se dessine une alternative à de tels excès mais elle ne saurait retirer au désir sexuel sa « part dâombre », comme cela est mentionné aux pages 118-119, avec la visite de lâintéressé chez un psy dans un hôpital⦠militaire.<br /> <br /> <br /> H. D. : Le dessin de Philippe Boutibonnes en couverture, l'as-tu trouvé par hasard ou le lui as-tu commandé ? Ce diabolus à tête de mort, que lâon n'a pas envie de croiser la nuit, au coin d'un bois, de quoi est-il la figure ?<br /> <br /> B. F. : Jâai sollicité Philippe mais en lui laissant, bien entendu, carte blanche. Après avoir lu le livre, il mâa proposé une dizaine de dessins dont celui de ce personnage qui mâa plu par ses multiples ambiguïtés : mi-ange, mi-diable ; pourvu dâailes mais sans doute incapable de voler mieux quâune poule ; en tenue de déporté, en uniforme de soldat (avec le bleu horizonâ¦) ou en pyjama ; en train de sâenfuir ou de danser ; portant ou non un masque, en effet plutôt effrayant (ou effrayé ?) qui peut rappeler ceux des « gueules cassées ». De plus, les points qui lâentourent sont-ils des projectiles quâil essaie dâéviter ou dâéventuels points de repère, voire dâappui, dans le vide où il sâélance ? Quant à la figure de lâange, elle court tout au long du livre, de la chanson traditionnelle basque qui lâouvre à celle qui le ferme, en passant par le fameux <em>Angelus Novus</em>, ce tableau de Klee commenté par W. Benjamin : « Il [l'ange de l'histoire] a le visage tourné vers le passé. Où paraît devant nous une suite d'événements, il ne voit qu'une seule et unique catastrophe, qui ne cesse d'amonceler ruines sur ruines et les jette à ses pieds. Il voudrait bien s'attarder, réveiller les morts et rassembler les vaincus. Mais du paradis souffle une tempête qui s'est prise dans ses ailes, si forte que l'ange ne peut plus les refermer. »<br /> <br /> <br /><span style="font-size: 10pt;"> 1. in <em>LâHumanité</em>, 18 juillet 1922</span><br /><span style="font-size: 10pt;"> 2. Arno Schmidt, <em>Calculs II</em></span><br /><span style="font-size: 10pt;"> 3. <em>LâOrigine</em></span><br /><span style="font-size: 10pt;"> 4. Stock, 2008</span><br /><span style="font-size: 10pt;"> 5. « <em>Avec les compliments de Monsieur Maladroit,</em> me disait-elle toujours lorsque jâavais cassé ou laissé tomber quelque chose. », Walter Benjamin, <em>Enfance berlinoise vers 1900</em></span><br /><span style="font-size: 10pt;"> 6. Traduction Christian Prigent in <em>TXT</em> n°15.</span><br /><br /><br /><br /> </span></p><img src="http://feeds.feedburner.com/~r/typepad/KEpI/~4/9USrx-BCMRs" height="1" width="1" alt=""/>

Voir l'article complet