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(Note de lecture), Jean-Michel Espitallier, "La Première Année", par Jean-Pascal Dubost


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1 réponse à ce sujet

#1 tim

tim

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Posté 13 août 2018 - 09:15

<p> </p>
<p class="MsoNormal blockquote" style="line-height: 125%; margin-left: 40px; margin-right: 40px; text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt; line-height: 125%; font-family: 'Garamond','serif'; letter-spacing: 1pt;"> <a class="asset-img-link" href="http://poezibao.type...81c60200b-popup" onclick="window.open( this.href, '_blank', 'width=640,height=480,scrollbars=no,resizable=no,toolbar=no,directories=no,location=no,menubar=no,status=no,left=0,top=0' ); return false" style="float: left;"><img alt="Jean-Michel Espitallier la première année" class="asset asset-image at-xid-6a00d8345238fe69e2022ad3a81c60200b img-responsive" src="http://poezibao.typepad.com/.a/6a00d8345238fe69e2022ad3a81c60200b-75wi" style="width: 75px; margin: 3px 15px 5px 5px; border: 1px solid #969696; box-shadow: 8px 8px 12px #aaa;" title="Jean-Michel Espitallier la première année" /></a><a class="asset-img-link" href="http://poezibao.typepad.com/.a/6a00d8345238fe69e2022ad3a81c5b200b-popup" onclick="window.open( this.href, '_blank', 'width=640,height=480,scrollbars=no,resizable=no,toolbar=no,directories=no,location=no,menubar=no,status=no,left=0,top=0' ); return false" style="float: left;"></a>« <em>Ce livre est le récit de la mort de Marina, ma compagne, survenue le 3 février 2015, puis le journal de ma première année de deuil </em>», avise Jean-Michel Espitallier en ouverture. Un récit dont lâécriture débute le jour où eurent lieu les attentats meurtriers contre la rédaction de Charlie Hebdo, le 7 janvier 2015, et cette rencontre, provoquée (et non coïncidée), des Histoires, est une façon délicate de faire entrer la mort de sa compagne dans lâHistoire, car la mort de lâêtre aimé, néanmoins, entre dans lâHistoire de chacun. Il sâensuit alors « <em>une gigantesque information avec des petits mots de rien du tout et quelques articulations syntaxiques banales : tu vas mourir</em> », quâécrit celui qui sait, lucide dans sa douleur, sait quâil fait la narration de « <em>lâanodin et</em> [du] <em>fondamental</em> », mais qui relève et mesure à lâaune du vide lâimmense vie dans les détails et les moindres gestes du quotidien, « <em>Rester accroché à la vie en sâaccrochant (en sâarrimant) à lâinsignifiance de ces petits événements</em> ».<br /> Récit-journal en lambeaux de proses de lâaccompagnement vers la mort, de la mort et de la séparation dans le deuil, le livre est autant une confession avouée (« <em>une fringale de confession, en toute indécence</em>⦠») quâune consolation contre la mort (« â¦ <em>Rien ne me procure davantage de consolation, et quasiment de plaisir, que dâévoquer ta mort </em>») ; aussi un tombeau, « <em>le monument câest ce livre</em> ». Ainsi érigé en monument, ce livre nous rappelle Mallarmé, qui dans<em> Pour un tombeau dâAnatole</em>, notait :<em><br /> </em><br /> « Je ne peux pas croire<br /> à tout ce qui sâest <br /> passé â<br /> ââ Le <br />      recommencer en<br /> esprit au-delà â<br />          lâensevelissement<br />                                 etc â »<br /> <br /> La gageure majeure de lâécrivain : écrire lâinacceptable parce quâindicible, informulable, inénarrable : inécrivable. Tenter néanmoins de lâécrire en état brut dâémotion. <br /> Un journal en huis-clos, intimiste, où rien ne filtre dâautre de la vie de lâauteur que ce qui se rapporte à la mort et au deuil. Le lecteur de Jean-Michel Espitallier, sauf à de rares moments, ne retrouvera pas le formaliste fantasque, le technicien ludique, lâexplorateur verbal ou lâinfatigable énumérateur (sauf en toute fin, on y reviendra), ni celui qui observe les événements du monde dâun regard distancié et critique, parfois ironique tantôt malicieux, ni lâauteur dadasophique dâun <em>tractatus</em> sur la vie et la mort auquel <em>La Première Année</em> semble cependant et étrangement répondre (« <em>146. La vie sera alors considérée comme étant le passé de la mort, et, en quelque sorte, la salle dâarchive de la mort </em>»<sup> 1 </sup>: <em>La Première Année</em> est-elle une archive de la mort ?...), et quâon peut relire (ou lire si ce nâest déjà fait) en regard ; non, le lecteur lira un auteur dépouillé de ses intentions littéraires habituelles, son cÅur mis à nu. Si son livre est un témoignage à vif, Jean-Michel Espitallier, qui dans lâécriture sâadresse toujours directement à sa compagne, même après sa mort, répondant à lâirrépressible nécessité de parler de lâabsentée, « <em>besoin de parler de toi, de ta maladie, de ta mort, à nâimporte qui (un chauffeur de taxi, un commerçant, etc.</em> »), Jean-Michel Espitallier y met aussi comme une intention, dans ce livre, de travailler son mépris profane de la vie : <br /> <br /> « <em>La vie ennuyeuse. Vide. Lamentable. Face à ta mort tout me paraît petit, mesquin, sans intérêt. Le mépris que jâai toujours éprouvé pour les glorioles, les stratégies de peu pour peu, les admirations idiotes, les compromissions minables, les cuistreries, les conformismes bêtes, les anticonformismes surjoués, les ambitions étroites, les pouvoirs de caniches, les vanités de pacotille, les engagements frelatés, les soumissions, le culte imbécile de lâautorité, toute cette comédie humaine qui tâavait fait lui préférer les rêveries, les chimères et lâauthenticité de tes passions, trouve en ta mort, une alliée. Ta mort est grande (grande comme le mort), elle me protège, elle me grandit, elle me console des bassesses du monde. Elle mâarme. En un sens, elle me donne des raisons dâespérer. En un sens, elle mâaide à vivre. En un sens, elle mâaide à supporter ta mort. <br /> <br /> Ce poids de mort pour prendre la vie à la légère.</em> »<br /> <br /> Quand tout est considéré comme vanité⦠La mort nous asservit, assurément, mais on est bien tenté de relier la pensée en morceaux mais en construction de lâauteur à un illustrissime essai de Montaigne, « Que philosopher, câest apprendre à mourir » : « <em>la premeditation de la mort est premeditation de la liberté. Qui a appris à mourir, il a desapris à servir. Le sçavoir mourir nous afranchit de toute subjection et contrainte </em>»<sup>2</sup>, car, ce faisant, écrivant et publiant ce journal, lâauteur se libère (de la peur) de la mort en y pensant constamment, en la rendant publique et non en la refoulant, vivant en sa compagnie quotidienne, allégeant lâidée pesante de la sienne. Ce nâest pas pour se débarrasser de la mort, si Jean-Michel Espitallier a fait livre de son journal, mais pour ancrer la mort dans sa vie, noir sur blanc ; sa liberté est là, mais une « <em>étrange sensation de liberté. Une liberté totale, absolue. Qui mâemprisonne.</em> »<br /> De nombreuses phrases sont des pistes de pensées de la mort, toujours incertaines, car la mort déstabilisant tous les repères, le contraire de ce qui est énoncé est aussi supposé par le poète.<br /> Sâil nâa de cesse dâapprendre dans la stupéfaction, il offre au lecteur une méditation généreuse dâenseignement, transmet un <em>livre contre la mort</em> ; câest banal à dire, mais comme tout semble immodérément banal, dans ce qui environne la mort. Car en tant quâêtre humain, il vit ce quâil appelle « <em>lâuniversalité dâune normalité</em> », une « <em>normalité monstrueuse</em> », quâil assume pleinement en prenant le risque de faire livre de cette normalité, qui ne lâest plus tout à fait désormais, quand lâécrivain, malgré le geste littéraire retenu, soutient lâêtre humain, décrivant morceau après morceau une expérience vécue par presque tous, celle de la mort dâun proche, avec sa part dâordinaire, mais avec une perception beaucoup plus aiguë que tout un chacun, une capacité à la précision dans la douleur que tout un chacun ne possède pas, une émotion sans mesure mais contrôlée dans lâécriture, mais qui rend plus claire lâexpérience de chacun, sinon plus lumineuse, et, paradoxalement, plus consolante pour le lecteur que pour lâauteur lui-même ; puis quand lâinfatigable énumérateur revient au galop pour égrener les secondes, une à une, 2 435 secondes, pendant 14 pages, les secondes qui, pile un an après, vont vers lâheure fatidique du premier anniversaire de la mort de sa compagne, jour pour jour, à la seconde près, des secondes qui, à lâapproche de cette heure, sâeffacent, avec tout les sens quâon percevra dans cette effacement de lâencre sur la page.<br /> <br /> Au final, le livre scelle lâunion dans la séparation.<br /> <br /> « <em>Quand lâhistoire est finie, il faut lâécrire</em> » : câest aussi lâhistoire dâun magnifique amour.<br /> <br /> </span><span style="font-size: 12pt; line-height: 125%; font-family: 'Garamond','serif'; letter-spacing: 1pt;"><strong>Jean-Pascal Dubost</strong></span><span style="font-size: 12pt; line-height: 125%; font-family: 'Garamond','serif'; letter-spacing: 1pt;"> <br /> </span></p>
<p class="MsoNormal blockquote" style="line-height: 125%; margin-left: 40px; margin-right: 40px; text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt; line-height: 125%; font-family: 'Garamond','serif'; letter-spacing: 1pt;"><span style="font-size: 10pt;"><sup>1</sup> <em>Cent quarante-huit propositions sur la vie &amp; la mort et autres petits traités</em>, Al Dante, 2011</span><br /><span style="font-size: 10pt;"> <sup>2</sup> « Que philosopher, câest apprendre à mourir », <em>Essais</em>, I, 20</span><br /> <br /> <br />Jean-Michel Espitallier, <em>La Première Année</em>, Inculte, 192 p., 17,90â¬<br /> <br /> On peut lire aussi des notes sur le livre et des citations <a href="http://poezibao.type...des-ombres.html">ici</a>. <br /><br /><br /> </span></p><img src="http://feeds.feedburner.com/~r/typepad/KEpI/~4/WF_ps9n05Uk" height="1" width="1" alt=""/>

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#2 Anoukys

Anoukys

    Tlpsien

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  • Une phrase ::Je ne me sens libre qu'en poésie...

Posté 24 septembre 2018 - 04:17

En train de lire l'ouvrage de Jean-Michel Espitallier, page lente, lecture lente car pesant chaque mot arrachée à la gangue du réel avec un courage et une poésie qui me bouleversent... et me guideront, sans dans doute, dans un patient travail en cours. Merci.