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(Note de lecture), Guillaume Déloire, "Le Graillon", par Jean-Pascal Dubost


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Posté 09 août 2018 - 09:39

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<p class="MsoNormal blockquote" style="line-height: 125%; margin-left: 40px; margin-right: 40px; text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt; line-height: 125%; font-family: 'Garamond','serif'; letter-spacing: 1pt;"> <a class="asset-img-link" href="http://poezibao.type...15a41200c-popup" onclick="window.open( this.href, '_blank', 'width=640,height=480,scrollbars=no,resizable=no,toolbar=no,directories=no,location=no,menubar=no,status=no,left=0,top=0' ); return false" style="float: left;"><img alt="Guillaume Deloire le Graillon" class="asset asset-image at-xid-6a00d8345238fe69e2022ad3615a41200c img-responsive" src="http://poezibao.typepad.com/.a/6a00d8345238fe69e2022ad3615a41200c-75wi" style="width: 75px; margin: 3px 15px 5px 5px; border: 1px solid #969696; box-shadow: 8px 8px 12px #aaa;" title="Guillaume Deloire le Graillon" /></a>Le livre aurait pu être titré « La Zone », ou « Zone », mais lâun ou lâautre titre eût été trop fléché, même si le poète arpente une zone bien circonscrite, un quartier précis de Gennevilliers, en banlieue parisienne, délimité par une rue, une avenue et ses cafés, ceint de bâtiments désaffectés, et quâil désigne, dans ses poèmes, « la zone ». Un monde ancien dont il nâest nullement las.<br /> Entre journal-poèmes et récit, en vers ou en prose, selon lâhumeur du moment de captation de la réalité, consignant dans des carnets, Guillaume Déloire narre, sans fatigue de le faire, la vie dâun monde de désuétude encore actif, dâun quartier ouvrier. Le livre se présente comme celui dâune « poésie ouvrière ». Le mot du titre, généralement, disent les dictionnaires, est connoté péjorativement : lâodeur que dégage une cuisine à la graisse trop chauffée ou de viande brûlée nâest pas ce qui excite le plus délicatement les sens olfactifs, qui imprègne les vêtements ou la peau, souvent. Il est issu du mot « graille », qui de nos jours, dans la langue populaire, signifie « nourriture » ou « repas », et grailler, dans le même registre, câest manger ; « graillier », en ancien français, câétait « rôtir sur le gril ». On se souvient dâun discours de Jacques Chirac stigmatisant en 1991 la population immigrée par le cliché de la famille entassée dans un petit appartement avec père de famille et ses trois ou quatre épouses, et sa vingtaines de gosses et ses 50 000 francs de prestations sociales sans <em>naturellement</em> travailler, et en ajoutant à cela « le bruit et lâodeur » : on se prend à penser que, sans intention directe, le poète prend ici un contre-pied historique, et un autre contre-pied actuel, car son <em>Graillon</em> est une plaidoirie généreuse de cette population dont on oublie quâelle est une population ouvrière à lâorigine. Or, la nourriture et les repas imprègnent les pages du livre.<br /> <br /> Le poète nâest pas un piéton de Paris ; comme Jacques Réda, il va hors les murs, câest un arpenteur de banlieue, un marcheur ou un conducteur dâune antique Fiat 126, un employé de mairie qui sâest pris dâaffection pour un quartier emblématique de ses origines ouvrières (« <em>Mes centres dâintérêts se sont rencontrés, interpénétrés, les visages de mes grands-parents se superposent à ceux des ouvriersâ¦</em> »), et qui équipé dâun appareil photo et dâun carnet tente dâen saisir la fragilité, de mesurer les arpents du temps passé encore fichés dans le présent. La rue Arsène Houssaye, la rue des Caboeufs, lâavenue Louis Roche, et moult cafés, principalement le café Europa, le café Portugal, Le Carrefour et La Gondole, constituent le décor, la scène vivante de ses déambulations. En une poésie documentaire (qui peut rappeler parfois la série TV <em>Strip-Tease</em>), il capte, avec le moindre effet possible, la vie de ce quartier, et son histoire palpable dans ses cafés surtout, où le poète y graille souvent, car câest par le menu du jour, par le menu ouvrier, quâil ingère le quartier et sây intègre et sây fait accepter, en graillant quâil capte lâhistoire des lieux : « <em>Demain jâirai/manger ouvrier/et jâouvrirai/grand les yeux/et les oreilles/sur les menus indices/qui aident à sâimaginer/comment câétait hier/dans ces endroits/où les menus indiquent/que les vins viennent/de vignes algériennes/demain jâirai/tant que dâautres hommes sâen souviennent/manger lâhistoire/que je nâai pas connue</em>⦠» (poème « manger ouvrier »). Le poète absorbe le monde par la bouche, couscous royal, foies de génisse, salé aux lentilles, coquillettes, cassoulet, bière, vin de bistrot ou vin de pays, et vit au rythme des plats du jour, se considérant comme « <em>poète en résidence</em> » dans le monde ouvrier ; « <em>jâaccueillerai des mots/pétris par dâautres bouches</em> », écrit-il. <br /> <br /> Le rythme dâécriture est lent, monotone, sans effet, descriptif ou narratif, se réclamant du Richard Brautigan du <em>Roman japonais</em> (« <em>un summum de poésie simple, sans manières</em> »), qui quelques fois rappelle aussi lâhumble pauvreté de Jean Follain, observateur du monde rural, chez qui le temps débordait dans de simples événements de la vie ordinaire, un rythme fait dâune pauvreté mimétique de la population, mais dâune pauvreté digne ; rythme atone, dans un registre parlé mais sans exagération. Cette lenteur est non seulement celle du monde quâil observe, mais aussi celle qui prend le temps du bain révélateur pour en dégager la netteté, et la fixer ; car le poète, mélancoliquement, ouvre à figer un temps disparaissant, qui semble se distendre des années 1960 aux années 2014-2016, « <em>mille fois connaître lâhistoire de ces hommes/Avant quâelle ne disparaisse/Avant quâelle ne sâefface</em> ». Il se passe comme une fusion entre les gens et les lieux, si bien que rues, avenue et cafés nous apparaissent comme des êtres vivants.<br /> Câest un livre éminemment politique, qui sans lâenjoliver, sans la magnifier, sans discours militant, prend fait et cause pour cette France quâun certain ministre qualifia de « France dâen bas », ou que certain considère composée de « gens qui ne sont rien ». Car câest celle dâoù lâauteur vient, et cette attraction pour un monde et un temps dâautrefois, ceux des cafés ouvriers, est aussi une remontée dans son histoire familiale, explique-t-il, lui dont les arrière-grands-parents tinrent le bistrot La Chope formidable à Puteaux : « <em>Je connaissais évidemment cette page de notre histoire familiale, mais câest à cet instant comme une révélation, une évidence, mon obsession depuis bientôt 2 ans pour cette zone industrielle qui tombe en désuétude, avec ses quelques restos ouvriers et ses ouvriers de plus en plus rares, mais toujours présents, bon sang mais câest bien sûr, ça vient de là, et câest presque inconsciemment que jâai remonté jusquâà lâorigine, que jâai remonté lâavenue comme on remonte le temps, je nâai fait que clamer lâappartenance à une région, une région sans drapeau, rouge, ouvrière, ici quai National il ne reste plus trace du passé, de ce qui sâest passé, plus de Chope formidable, mais je sais quâil existe, on me les a déjà montrées, deux-trois précieuses photos de la Chope formidable, avec mes aïeuls qui posent devant, il me faut absolument remettre la main dessus.</em> » (Photo retrouvée, figurant sur la couverture du livre.) <br /> Dans un monde hyper-modernisé de la réussite entrepreneuriale et de la vitesse pour joindre cette réussite, le poète rappelle quâil y a des zones de vie, ouvrière, au ralenti, et porte un regard dâune humanité saisissante sur des gens, simplement des gens, qui sont Kabyles, Maghrébins, Portugais, Serbes, Rroms, et Françaisâ¦<br /> <br /> Deux sections composent le livre, « Fiat lux » pour commencer, et « Facta est lux » pour suivre, qui sont séparées, et reliées, par un cahier photos de lâauteur, et de quelques poèmes en portugais dâune des protagonistes quâil a fréquentés, Ana de Glória. La seconde partie est teinte dâune mélancolie accentuée, touchant à la tristesse sinon au chagrin, lâauteur constatant ces cafés qui ferment, ces gens qui quittent le quartier, « <em>jâai peur quâune page se tourne/alors je préfère terminer le livre avant/ne pas savoir/tout laisser en suspens </em>». Significative de cette page qui se tourne est la disparition de Madeleine, la grand-mère de lâauteur, ancienne ouvrière, quâil accompagne dâun bouleversant dernier poème, « larmes dorées ». Un long poème qui relate la rencontre et lâéchange du poète avec un moine bouddhiste dans le train qui le mène au chevet de sa grand-mère, lequel moine lui apprendra, le temps dâune conversation, à accepter la mort ; une révélation, « <em>la vie met un maître sur mon passage</em> », qui le conduira apaisé, « <em>heureux</em> » au chevet de sa grand-mère.<br /> <br /> « <em>Je suis arrivé à temps</em> » est la dernière phrase du livre.<br /> <br /> <strong>Jean-Pascal Dubost</strong><br /> <br /> Guillaume Déloire, <em>Le Graillon</em>, Editions des Vanneaux, 244 p., 17â¬<br /><br /><br /></span></p><img src="http://feeds.feedburner.com/~r/typepad/KEpI/~4/nvS__ux-X9A" height="1" width="1" alt=""/>

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