C'était un homme vigoureux,
Aux grosses mains de laboureur
Son regard vif et malicieux
Plaisait aux filles mais son cœur,
Hélas, était à la bataille.
Irénée, du Jura parti,
Par le hasard des courtes pailles
Se trouvait à Gallipoli.
Sur son cheval il transportait,
Peureux, le ravitaillement.
Ses camarades combattaient
Leur frayeur tout semblablement.
Traversant les plaines fatales,
Mornes tombeaux de jeunes gens,
Rossinante la magistrale
Obéit-elle aveuglément ?
On raconte que dans le ciel
Une étoile – c'est un œil d'ange,
Envoyait des baisers pluriels
Au pauvre Irénée dans la fange,
Occupé par le goût de vivre.
Entendre les balles siffler
Tordait le ventre ; il fallait suivre
Le fil d'un parcours déchiré.
La mort ne se déguisait plus ;
Elle arrosait le sol débile
Avec du sang. Des cris perdus
L'instantané d'un projectile
Achevait l'œuvre de la guerre.
Irénée vit soudainement
Les rênes tomber vers la terre,
Émiettées par un fil d'argent.
Il survécut à l'abattage
Où ses compagnons sont restés.
Les héros morts, qu'il reste un sage
Au moins pour dire la pitié
Des étoiles des Dardanelles.
Pour moi, je ne peux oublier
Les rênes coupées fraternelles
D'un pauvre cheval cantinier.
Ce coup de ciseaux d'une main
Symbolique venue du ciel
Ouvrit à un autre destin
Deux survivants exceptionnels.
Irénée revint au pays
Travailler sa terre apaisée,
Plus doux que jamais, assouvi
Par la trajectoire passée.
2012 ©M.KISSINE – ISBN 9782919390106