Traînant la patte à la boisson
Je m'étais sitôt mis en route
Pour ennoblir mon horizon
Aux lueurs de petites gouttes
De ce sirop amer, ambré
Dans ce flacon au corps cintré.
Ma fortune profuse
Se compte en coups de Suze.
Mais par malheur le tavernier
N'en avait plus une au panier
Car j'avais bu la veille
Sa dernière bouteille.
Il soupira « Mais quel idiot
Peut siroter ce tord-boyau ?
En quarante ans à torchonner
Nul n'en avait biberonné. »
Sous un lourd soleil, regagnant
La nationale neuf vers Sète
Aux alentours de Perpignan
J'eus l'appétit d'une doucette.
Je courus dans un cafeton
Pour qu'il m'apporte du canton
Leur mistelle notoire
Celle qui plaît à boire.
Le taulier – les sourcils froncés –
Me dit « Je ne sais ce que c'est
Mais est-elle assez digne
Pour pousser dans nos vignes ? »
La Catalogne doit subir
(L'âne ne lampant plus de Byrrh)
Un méchant rosé mal tiré
Pour pouvoir se désaltérer.
Je me crus alors étranger
Puisque nul tonneau ne sait boire
Et me réfugiai à Angers
Où mes parents gardent leur poire.
A peine un pied dans le beuglant
Je me sentis soudain tout blanc
Comme un enfant malingre
Vu que mon violon d'Ingres,
Mon passe-temps dans ce bistrot
Etait de siffler du Cointreau
Et que les vieux ne servent
Plus qu'un vin de réserve.
Si même mon père a trahi
Le pousse-café du pays,
Qui encor osera licher
Un tafia sans le recracher ?
Essoufflé par ces va-et-vients
Et ces rencontres désastreuses
Je revins comme il en convient
A mon commerce de Chartreuse
Mais les frocards dans leur moutier
Désherbèrent pleins de piété
Leurs cultures d'absinthe
Les jugeant trop peu saintes.
Après ce coup de Trafalgar
Je voulus vider sans retard
Une Avèze auvergnate
Et une eau d'aromates.
Lors après deux ou trois quartauts
Je prêchais ce divin crédo:
« Le spiritueux est le fruit
De celui qui a de l'esprit. »