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(Note de lecture), Jean-Michel Espitallier, La première année, et Philippe Lançon, Le lambeau, par Isabelle Baladine Howald


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Posté 31 décembre 2018 - 11:06

 

Le temps hospitalier



6a00d8345238fe69e2022ad384c591200c-100wiOn a lu récemment des extraits du livre aussi déchirant que retenu, La première année de Jean-Michel Espitallier (Inculte) sur Poezibao. Il sâagit du journal tenu durant un an après la mort de Marina, sa compagne de toujours, en 2015, à la même époque quâeurent lieu les attentats.
Jean-Michel Espitallier évoque dâailleurs ces attentats, la mort des amis de Charlie, éprouvée comme derrière une vitre, tant lui-même est anesthésié par la douleur.
Et le lien littéraire est là.

Philippe Lançon, blessé de guerre de ces attentats, a publié en 2018 Le Lambeau (Gallimard), ce livre si remarquable, si juste, si pudique sans rien cacher de ce quâil vit.
La première année est le versant poétique du Lambeau, non que ce livre soit ce quâon appelle de la poésie, même si lâon y retrouve à la fin, une « forme » quâon peut reconnaître comme un écho de la poésie de Jean-Michel Espitallier, pas plus que le Lambeau ne serait prosaïque.
Simplement lâun est journaliste et lâautre poète, et leur tempo nâest pas le même, moins par lâinfluence dâune « profession » dâailleurs que par lâessence de ce quâils ont vécu.


6a00d8345238fe69e2022ad3ca7553200b-100wiEn effet le temps Lançon est un temps dâune lenteur imposée par la gravité des blessures, le temps du « relèvement » physique et psychique, très lent, très long, soutenu par lâécoute de Bach et la lecture de Proust, lâécrivain temporel par excellence.
Le temps Espitallier est un temps plus discontinu, il y a le retour en arrière, les souvenirs lointains du début de lâamour, là où Lançon est dans lâimmédiateté de lâattentat, sa violence inouïe qui le sépare en deux vies⦠Avant et après lâattentat est séparé par Rien, rien est au milieu, le trou, les jambes en noir du terroriste, la cervelle échappée du cerveau de Bernard Maris, lâécran du téléphone que Lançon essaie dâattraper sans le pouvoir. Avant a été balayé, flingué à bout portant.
Le temps Espitallier, câest lâégrènement des souvenirs du début de lâamour, de la vie en commun, lâannonce de la maladie plusieurs années auparavant, les allers et retours à la maison et à lâhôpital, le corps et le visage de la tant aimée, et le chagrin partagé avec leur fille. Lâévénement est progressif, la mort peut être annoncée, sans que lâon veuille (et doive) jamais la croire :
« Personne nâest donc jamais revenu ? Même cinq minutes ? Même quelques secondes ? Le temps dâune étreinte ? Un dernier mot ? Juste un baiser ? (Ceci est une requête.) » (JM. Espitallier)
Dans les deux cas, lâhôpital où tente de survivre Philippe Lançon, où se rend quotidiennement Jean-Michel Espitallier pour voir Marina, avec ce temps si particulier aux hôpitaux (si bien décrit par Philippe Forest dans Toute la nuit (Gallimard), où sa fille se meurt), ce temps atone.
Ce temps hospitalier est également celui dâune sorte dâhospitalité de la douleur, du côté du retour à la vie comme du côté de lâallée à la mort. La douleur physique, morale, psychique, y est accueillie, apaisée, jusquâà son extinction, dâune manière ou dâune autre.
« Câest dâune suite de naissances quâil sâagit â chaque naissance effaçant les douleurs de la précédente sous le poids de celles qui les suivent » (Ph. Lançon)

Mais la tenue est la même dans les deux livres, exemplaire, jamais rien nây est obscène, jamais rien nâest atermoiements, quand même bien lâon est bien en droit de pleurer aussi sur soi quand on vit de telles douleurs, physiques et/ou morales.
A lâun et lâautre va lâimmense gratitude du lecteur pour la « droiture » de ces livres derrière lesquels il y a chaque fois un homme, seul malgré tout, chacun incroyablement honnête avec lui-même comme avec nous. Leurs blessures nous bouleversent, leurs récits, différents et pourtant proches, forcent notre respect et provoquent une vraie amitié envers eux, que nous ne dérangerions pourtant sous aucun prétexte.

Isabelle Baladine Howald
 
Jean-Michel Espitallier, La première année, Inculte,2018, 156 p., 17,90â¬.
Sur le site de lâéditeur

Philippe Lançon, Le Lambeau, Gallimard,2018, 512 p., 21â¬
Sur le site de lâéditeur


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