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(Note de lecture), Pierre Dhainaut, Après, par Philippe Fumery


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Posté 04 juin 2019 - 09:27


6a00d8345238fe69e20240a4624d18200c-100wiLe titre du dernier recueil de Pierre Dhainaut, « Après », frappe par sa brièveté et ce claquement quâil semble infliger au temps, au cours des choses interrompu, malmené. Nous avons en mémoire les écrits de ceux qui ont connu la guerre, la déportation, la perte dâun être cher, la maladie, et qui ont parlé dâun « après » comme si leur vie avait pu ou dû reprendre toute sa place.

Pierre Dhainaut a déjà évoqué les chambres dâhôpital (1),  avec la disparition de son père ou lors dâinterventions chirurgicales. Cette fois, comme il en donne lui-même les circonstances à la page 57, la situation était plus grave ; elle a connu des complications, nécessitant un séjour plus long, « une interminable convalescence », une rééducation.

Cette période a été marquée par une impossibilité dâécrire, dâinvoquer des mots, de réciter même des vers connus de longue date. Elle a posé la question de la place de la poésie dans une période sombre, si brutalement différente, étrangère à la vie ordinaire.

Le monde dans lequel Pierre Dhainaut sâest vu immergé nâest plus le même. Les lieux sont bornés de murs obsédants (12), la pièce est immense, étroite / fenêtres condamnées (24), des couloirs se succèdent (13), entre les lits des paravents (24), portes closes, corridors / déserts (36). Le temps échappe et ne sâécoule plus de la même manière ; la pendule accrochée au-dessus de la porte donne une heure qui ne dit rien : mais si câest la nuit / le matin, tu ne sais pas (29). Plus que tout, câest la nuit qui devient inhospitalière, car le sommeil ne viendra pas (12). Lâinsomnie est perpétuelle (36). Le patient nâest plus lâhomme dâavant, alité, une blouse pour seul vêtement, lâalliance même a été retirée (13). Il porte un bracelet, il est maintenu par des sangles et relié aux appareils médicaux : nuits du goutte à goutte / de la perfusion, nuits à lâarrêt (40).

Un homme sây perd, livré à un fonctionnement dont il ignore les codes, parmi des semblables tout aussi anonymes, dont il ne perçoit que les râles. Il est aux prises avec un vaste « Cela » protéiforme et indéfinissable, dont on ne peut dire quâune seule chose : cela tâenvahit tout / le corps (23).

Et cependant⦠il aura suffi dâune voix qui parvient, penchée sur le patient, il aura suffi quâil lui réponde pour que son visage / te rend(e) un visage (27). Il ne sâagit pas dâopposer un avant à un après, ni de les confronter ; tout au plus trouver le fil qui permettra de reprendre, de relier, fil ténu mais têtu.

Pierre Dhainaut décuple sa volonté de renouer â terme quâil a célébré â avec sa vie : lâénergie dâapprofondir la scène (49) ; si tenace, la passion de dire (48) ; redisons malgré nous / quitte à nous essouffler, « la source », « la source » (47) ; Pourpre, bleu ou jaune, bleu, jaune ou pourpre / répétons-les, ces adjectifs heureux (51).

Shakespeare a pu écrire « The night is long that never finds the day. » (2) Pour Pierre Dhainaut, ces terribles nuits dâhôpital, livrées à lâinsomnie la plus implacable, nâenlèveront rien à lâélan :
Une à une, les nuits / ne détiennent pas / le secret de lâattente / ou du langage⦠(41).
« 
Le sentiment se fonde en certitude que lâinstant est toujours propice / dâesquisser un geste (53).

Quant à la place de la poésie, Pierre Dhainaut lâaborde dans un texte placé en fin de recueil, texte qui ne se veut pas conclusion mais ouverture encore. Câest cette démarche qui permet au livre dâaccueillir les aquarelles de Caroline Françoise-Rubino, qui a su descendre au bord des ténèbres évoquées.

La question le taraude cependant de concevoir un poème auquel il aurait assigné un but précis formulé avant la rédaction, dâoù une réelle hésitation à les nommer « poèmes » (58). Pierre Dhainaut questionne les conditions de vie dâun auteur, quand elles sont bouleversées, les conditions dâexistence des poèmes, quand ceux-ci ne répondent plus seulement ou uniquement à lâécoute, aux souffles, quand se glisse lâidée dâune attente, dâune contrainte. 

La poésie nâest pas réservée aux jours heureux. Ce qui peut ébranler un homme, la souffrance, la maladie, le mutisme, tout « cela » pourrait-il la mettre à lâépreuve ?

Philippe Fumery


1. Lâautre nom du vent, Lâherbe qui tremble, 2014 ; État présent du peut-être, Le ballet royal, 2018.
2. Macbeth, Acte IV, scène 3.
 

Pierre Dhainaut, Après, Lâherbe qui tremble, 2019, 72 p., 13â¬.



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