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(Note de lecture), Arno Calleja, Tu ouvres les yeux tu vois le titre, par Eric Darsan


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Posté 10 juillet 2019 - 09:48

 

6a00d8345238fe69e20240a4bb9c32200b-100wiRecueil de nouvelles, dâénigmes rituelles, petit théâtre des cruautés de la vie quotidienne, journal intime(/)à scandale, contes défaits tous comptes faits, faits dâhi(v)er, de ce qui a été, fut(s) â  alcool, cigarettes, pornographie et infant-/su-icide, pas-/pul-/sions de mort, toutes drogues confondues â pour une série de personnages qui (de)meurent, tour à tour, systématiquementâ; étude de ca(tastrophe)s psycha[nal](y)trique, psychothriller, murder-party fine ou encore bad-trip, Tu ouvres les yeux tu vois le titre, Arno Calleja, sorti le 17 mars 2018 chez LNA (Le Nouvel Attila) dans le label Othello (« dédié aux textes mutants ») est un OLNI (Objet Littéraire Non identifié) qui ne dit pas son nom. 

«âJâai dit que je lâaiderais (â¦) Que jâavais nagé des heures sous lâeau. Que je pouvais encore sentir le sel sur ma peau malgré le bain. Que jâavais retrouvé ma maison grâce à un renard. Que jâavais fait lâamour avec moi-même. Que moi non plus je ne savais pas que jâétais homosexuelle. Quâil y a des passages secrets dont on ne peut pas se douter, avant de les passer.â»

Tu ouvres les yeux tu vois le titre. In-édit/-connu/-at-/en-tendu/ou-i(/-ïe). Qui t'interpelle davantage en corps si tu (re)connais(sais) Arno Calleja [(lâhal)lu ici ou là, dans ces recueils choisis 2003-2007 pour ma Carte blanche sur Poezibao]. Là il y a des êtres (hommes, femmes, enfants, animaux â mêlés souvent) sans nom qui réagissent en chaîne/miroir, font l'amour ensemble (ou le croi(s)ent â c'est à dire avec eux-mêmes parfois) à divers stades de leur évolution, de leurs échang(ism)[es] et métamorphoses. Des êtres vivants, car morts/morts, car vivants. Comme si ces morts, pendants de celle de l'auteur, constituaient pour le narrateur, la narratrice, entre reconnaissance et renoncement, un (état) passage® obligé vers une existence (dé)livrée.

«âChapitre quatre, câest un jour de pluie. On sort dâun cinéma. Câétait un film dâEustache. On marche en parlant, mouillés. On cite des phrases on chante un air, comme dans le film. On rentre on fait lâamour, câest la vie facile. Personne nâaurait lâidée de se tirer un coup de fusil dans la bouche.â»

Au gré des chapitres annoncés en toutes lettres dans le corps du texte â et non par les pages bleues (couleur de la police [gros yeux, gros caractères] et de la couverture métallisée), simple jeu d'inter-lu/-mè-des, de colin-maillard au bord de la falaise â tu vois grandir ce qui était en puissance dans l'Åuvre antérieure d'Arno Calleja, créature homoncule dotée dâune bonne composition et dâune double nature : un art brut naïf et complexe, abstrait et concret, oral et lâécrit, qui lie rite et réalité. Où, via le symbole et lâarchétype, la psychologie des profondeurs, analytique et viscérale, tape là où ça fait mal pour (re)constituer sensiblement, entre Eros et Thanatos, le fondement du récit. 

Au fil des pages (souples du livre souple), tu vois revenir des o-/ré-currences, correspondances et synchronicités, enchaînements mor(d)bides et mortifères, motifs en ma-n/-t-ière de spatule, de raclette, de truelle, de taloche. Ici, pas de latin de cuisine, on y va comme à la bétonnière, à coups de ponceuse intrusif, de tableaux marteaux pas piqués des vers, de poncifs inédits (comme un pochoir à graff sur une bouteille de scotch, une décolleuse à papier peint sur une laque glycéro) qui constituent une trame, un canevas, dont on ne sait (s'il sait) où il va, mais qui y va. [Va, ne tâinquiète pas, ne te retourne pas, Tu ouvres les yeux tu vois le titre, là.]

Des sensations de déjà-vu et des impressions de jamais lu. Chez Julien dâAbrigeon (Le Zaroff), Pablo Katchadjian (Quoi faire) et Jason Hrivnak (La Maison des Epreuves)â; Carola Diebel, Alison Bechdel et Angela Carterâ; David Lynch, Romain Verger et Mathieu Brosseau. Du Saccage à La ville fond, du chemin parcouru dâun ouvrage à lâautre par Quentin Leclerc, des recueils passés au présent par Arno Calleja. Un chemin que tu as toi-même entrepris, de la déconstruction, de l'ellipse et de l'énumération, à un retour vers le futur de la narration, de sa réalité augmentée. Un récit réinvestit par la poésie, où le cycle s(')e(m)mêle à (la faveur d'une linéarité extrême, de son acc-élération/umulation, pour retomber sur ses pieds.

Comme si tout menait à ce livre que tout désigne pourtant (et d'abord lui-même, dans le fond et la forme) comme étranger à ce qui se fait. Où lâessentiel nâest pas tant lâeffet [à l'opposé no-t-/am-/mm-é-ment du Glose de Juan José Saer (morne à force de réalisme, mais dépassant les portes et bornes de la perception)] que les faits, gestes et images, qui provoquent le trouble, l'effarement : Incept-/abdu-tion, zoo-nécro-géronto-pédo-philie, sadomasochisme, prostitution, chutes dâO(n/-an/-ir/-isme), chevaux, renards & poils de chatte, (s)cène(s) mystique(s), (es)TOCS de lâenfance, tactiques dâadultes et tic-tac dâune existence en modèle réduit, particule(s), at( h)ome. Home sweet & Fun home, mais pas tant.

«âJâétais bien. Je nâavais personne à qui penser, à part un enfant, celui que jâaurais aimé avoir. Jâaurais été le seul enfant que jâai connu je me suis dit. Là, je crois, jâai un peu pleuré. Un hélicoptère est arrivé. Jâai été appareillé. Jâentendais lâair tourner dans les hélices. Dans le ciel jâai dormi, pour ça, les piqûres aident.â»

Tu ouvres les yeux tu vois le titre (cela va sans dire, la plupart du temps) et ce titre (Tu ouvres les yeux tu vois le titre, mais est-ce vraiment le titreâ?) nomme sans le nommer cet ouvrage qui tâest désigné (en trois mots, dans la quatrième : «âC'est un livre. Une action, une phraseâ») et destiné sans que tu puisses le pressentir encore, mais sâoffre déjà. A ton regard qui se dessille, à ta morale qui (sour)cille, au je(u) auquel le tu cèdes lorsque cela advient. Lorsque lâextime rejoint lâintime, que lâissue de secours devient porte dâentrée, que le vice versa si bien son tribut à la vie que celle-ci, malgré la mort subi(t)e, surgit pour rendre de belle, hardcore, ultrash & tragique façon, la monnaie de sa pièce à la littérature par la poésie.

En fin dâouvrage un(e) band(e) son[g], dédicace aux ami·e·s, suivi dâun court manifeste biographique, éclairent la démarche vitale et littéraire dâArno Calleja, entre amoncellement et évidement, pensée-fictions et inconscient

Eric Darsan


Arno Calleja, Tu ouvres les yeux tu vois le titre, Othello éditions, 2018, 128 p., 12â¬.


Y4qu-R22RHA

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