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(Note de lecture), Claude Ber, La mort n'est jamais comme, par Alexis Pelletier


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Posté 20 août 2019 - 09:14

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<p class="MsoNormal blockquote" style="line-height: 125%; margin-left: 40px; margin-right: 40px; text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt; line-height: 125%; font-family: 'Garamond','serif';"><em> <a class="asset-img-link" href="https://poezibao.typ...6678b200b-popup" onclick="window.open( this.href, '_blank', 'width=640,height=480,scrollbars=no,resizable=no,toolbar=no,directories=no,location=no,menubar=no,status=no,left=0,top=0' ); return false" style="float: left;"><img alt="Claude Ber la mort n'est jamais comme" class="asset asset-image at-xid-6a00d8345238fe69e20240a4c6678b200b img-responsive" src="https://poezibao.typepad.com/.a/6a00d8345238fe69e20240a4c6678b200b-100wi" style="width: 100px; margin: 3px 15px 5px 5px; border: 1px solid #969696; box-shadow: 8px 8px 12px #aaa;" title="Claude Ber la mort n'est jamais comme" /></a>La mort nâest jamais comme </em>a dâabord paru, chez Léo Scheer en 2004. Lâouvrage a été repris aux Éditions de lâAmandier en 2011 et il connaît aujourdâhui une troisième édition chez Bruno Doucey. On ne peut que se réjouir de retrouver ce livre qui propose aux lectrices et lecteurs une expérience qui allie sensibilité et méditation autour dâun thème que le titre met bien sûr en évidence : la mort. <br />Il sâagit ici de la mort de lâêtre aimée et les trois parties du livre (« Ce qui reste », « Ainsi des bribes » et « Fragment in memoriam ») permettent dâentrer plus avant dans différentes strates dâun chant de deuil, câest-à-dire dans ce quâon appelait autrefois lâélégie. <br /><br />Dans « Ce qui reste » qui est constitué dâun seul long poème, la tension se fait entre « <em>ce qui reste de toi » </em>(p.17) et « <em>ce qui reste des morts</em> » (p.18). Toute expérience de deuil ravive dans lâintimité de la douleur, les morts et les spectres que chacun porte en soi. Et dans un vers libre qui sâallonge pour passer insensiblement à la prose, Claude Ber note le plus terre à terre de la mort, « tes pieds devenus rigides » (p.17) et tout ce qui sâappelle « le ménage des morts » : « une fois fait le ménage des morts, le poème câest ce qui reste à ceux qui restent » (p.19). Mais ces notations sont aussitôt replacées dans un mouvement qui procède dâun art poétique. En effet, Claude Ber affirme à propos de cette épreuve de la mort : « ce qui reste une fois que cesse la tyrannie de la parole / je lâappelle poème  » (p.16). <br />Le deuil, évidemment, câest lâépreuve partagée du mourir, avec les vivants qui accompagnent. Et Claude Ber de souligner plusieurs fois que « <em>ce qui reste</em> » fait entendre « <em>ceux qui restent</em> ». Et si le mot poème arrive comme on lâa vu, dans la parole de la poète, câest aussi bien pour constituer un monument en mémoire de celle qui nâest plus quâun recueil présent pour les lectrices et lecteurs. Parce que câest la difficulté « à dire ââtu nâes plusââ » (p.22) qui est partagée dans toutes les expériences du vivre encore. Et pour Claude Ber, le poème est â éthiquement sans doute â le moyen dâaffronter ce réel sans épanchement, ni complaisance. Câest pour cela que cette première partie sâachève sur lâévidence de ce qui sâarrête par le poème et dans lâécriture-même de celui-ci : « il nây a pas de preuve / mais la peau nâen a pas besoin / ni les nuages dans le jaune de lâaube / de la mer séparée / ne reste plus quâune ligne au bout tombé du ciel / de toi à moi / cette ligne qui va sombrer » (p.23).<br /><br />La deuxième partie, « Ainsi des bribes » construit, en 22 poèmes titrés, une sorte de récit de la mort (« ainsi des bribes », « photographie », « la mort nâest jamais comme », « en haut », etc.). Ces 22 poèmes qui suivent toujours le rythme du vers long de Claude Ber sont séparés les uns des autres, par 50 « Découpes », écrites en prose, qui forment peut-être des stations au cÅur de ce récit. Ces découpes sont assemblées tout au long de la deuxième partie, par groupe de deux ou trois. Ainsi elles conduisent dâun poème titré à lâautre et proposent une sorte de bilan de lâécriture du deuil. <br />Le récit de la mort, câest la superposition dans le deuil des souvenirs, de la maladie â il sâagit ici de la schizophrénie â, de la mémoire des corps, des étapes du mourir et de la douleur. Cela conduit à une langue impossible parce quâelle ne peut sâaccorder aucune analogie. On trouve évidemment ici le sens du titre du livre. Dâailleurs, dans le poème qui, à lâintérieur de cette deuxième partie, développe le contenu du titre, Claude Ber sây présente ainsi : « vivant seulement avec <em>comme</em> / à lâélimé du langage et de la vie où ne restent que semblances <em>comme</em> / survivant tout pour ainsi dire <em>comme</em> / avec des images <em>comme</em> / dans un dénuement tellement sans proportion avec rien / quâil appelle la dimension de la mort » (p.36-37) Câest que la mort est à la fois non-cernable, imprononçable et sans réel épaisseur dans la langue. En fait, Claude Ber développe cette réalité du langage qui fait quâon ne peut jamais dire lâinstant de la mort et que cet instant se prolonge dans toutes les étapes de la vie, après le départ de son amour. <br />Et cela donne un poème dans lequel passent peut-être des accents dâArtaud : « le momort » (p.61-62) : « la mort fait de la langue entière un charabia / quand ne sont plus imaginées mort et folie » (p.61). Ainsi, le poème â brinquebalant presque â construit au fur de son dire une image qui échappe sans cesse et qui reconduit à la vie dans la mort, à moins quâelle ne fasse comprendre que la mort, câest la vie jusquâau bout. Câest pour cela que Claude Ber peut écrire dans « fantôme devenu » (p.96-98) : « la mort travaille aussi en moi / ajoutant ta vie à ma vie soustrayant ta vie de ma vie » (p.96) Il convient, dâailleurs, de remarquer le masculin qui fait de « devenu » un adjectif et non un participe (une sorte dâablatif absolu, en somme). Câest le poème qui devient ainsi fantôme et qui dans le chemin du livre conduit à ce constat : « je ne parle / et me déçoit déraisonnablement toute parole / portant parole le deuil de la parole » (« je ne parle », p.113). Aussitôt, il faut lire dans cette déception, non pas une tromperie, non pas une illusion mais la marque de la vie qui continue et qui â douleur et confrontation avec la folie et son envers dans la langue parfaitement assumées â sâaffirme clairement dans le dernier poème dâ« Ainsi des bribes » : « mêmement séparément ». Car la mort vole tout de la personne aimée, sauf précisément lâamour quâon lui porte et cela, quelles que soient les amours qui accompagnent la vie au-delà de cette mort : « je vis / au fendu à vif de la vie décapée de la mort par ta mort » (p.129). <br />La mort, lâexpérience du mourir de lâautre conduisent à une manière de faire face à la multiplicité de lâexistence. Bien sûr, quand cette autre est atteinte de schizophrénie, le rapport au langage sâen trouve déplacé, soumis à des accélérations en même temps quâà des points de rupture où lâaccompagnement devient presque impossible. Cela structure la force imagée de ce quâécrit Claude Ber. Et les 50 proses réunies sous le titre « Découpe » de le signifier intensément. Peut-être est-il possible dâaffirmer que le début de la « Découpe 18 » fait le mieux sentir toutes les tensions qui pèsent sur ce langage qui tient de lâautobiographie ? « Ma tête ainsi faite quâelle va ratissant tant de signes. Ou bien une ponceuse patiente lissant la moindre bosse sur le doux au toucher dâune rampe de bois. Un embout de chignoles à outils multiples. Et toujours des méandres. Des étagements. Un échafaudage. » (p.63). Tout se passe comme si le jeu dâune métaphore filée permettait ici de mieux comprendre cette interrogation sur le rapport au langage dans le chemin du deuil. Lâimbrication voire lâintrication des fils de lâexistence disent une manière de toujours reconduire la mort dans la vie, au risque dâimages qui jouent de la déraison dâêtre. Claude Ber peut ainsi nommer cette épreuve « Un souvenir cellulaire des multiples moi » et, plus loin, « Un sursaut animal au sourire qui découvre les crocs » (« Découpe 40, p.107). La dernière découpe finissant par une sorte de dédicace multiple vient confirmer la force de ce regard sur le plus vif de la mort et du deuil, de la vie continuant dans le deuil : « À ces demeures provisoires dénuées de deuil. À la clémence dâun hasard dont rien ne sera mien. Pas même la tristesse. Mais avant ces débris ââÀ la vie !ââ » (Découpe 50, p.132).<br /><br />La longue prose de la troisième partie de <em>La mort nâest jamais comme</em>, « Fragment in memoriam », recompose la poétique du livre dans ce qui dans le deuil est déjà lâaprès du deuil. Claude Ber écrit de lâEspagne, et sans doute depuis Madrid où elle affirme dire « nâimporte quoi, confondant le Palacio Real et le gril de lâEscorial » (p.135). Lâhumour est la marque du retour de la vie mais il ne masque pas la douleur qui perdure. Une sorte de feuilletage des sensations permet de constater la force des mots, « De ceux déjà dits et de ceux à dire, des écrits, des murmurés, des tus, des criés, des venus de si loin derrière la mort » (p.143). Et cette énergie vient placer au même niveau les notations quasi-instantanées et le souvenir : « La ville est douce dans sa lumière vibrante de frises. Comme un instant repris à cet envers de tout quâexplore le rebours du poème, câest cette prose madrilène que je rapporte en souvenir, pour ce quâelle accouche de possibles dans sa placidité de matrone latine vouée à la naissance. Il fait bon. » (<em>ibid.</em>) <br />Lâécriture <em>in memoriam</em> affronte ses responsabilités et place la mort de lâaimée sous le signe dâEurydice. Les derniers vers sont, en effet, la citation en italien de la fin dâune prière que Proserpine adresse à Pluton, au 4<sup>e</sup> acte de <em>LâOrfeo </em>de Monteverdi. Le texte de Striggio dit : « Fais quâEurydice jouisse à nouveau des jours / Quâelle avait coutume de passer / Dans la joie et dans les chants / Et console les pleurs du malheureux Orphée ». Câest une prière parfaitement laïque et sans illusion puisquâelle vient du monde de lâopéra, où lâillusion est maîtresse. La prière est ici ce que les vivants adressent aux morts, bien conscients de ne pas être dans lâabandon. Ils assument, par la voix de Claude Ber le prolongement de la vie et de lâamour par lâécriture de la mort : « Bye Bye au revoir adios hombres y mujeres, ciao humanita mia. Ici lâair a une douceur dâeau de source. » (p.150). On doit donc pouvoir livre <em>« Fragment in memoriam »</em> comme chant dâamour au présent, voire à la présence du présent. Les amours que la vie réservent, en effet, ne détruisent pas les amours vécues pour celles et ceux qui sont morts. <br /><br />On aura compris que des livres qui ont creusé, depuis la fin des années 1980, le rapport à lâélégie (<em>Quelque chose noir</em> de Roubaud, <em>À ce qui nâen finit pas </em>de Deguy, <em>La mort de lâaimé </em>de Ristat), celui-ci résonne avec une originalité dans la construction de son dire qui est liée à sa manière de faire face aux délires de la folie et à la tristesse, tout en nâabandonnant jamais lâaffirmation de lâénergie à vivre. <br /><strong><br />Alexis Pelletier <br /></strong><br />Claude Ber, <em>La mort nâest jamais comme</em>, préface de Bruno Doucey, Éditions Bruno Doucey, 2019, 160 pages, 16 euros. <br /><br /><strong>Extrait<br /><br /></strong>jâai appris à prendre habitude de la folie <em>comme</em> <br />de lâaffolement de la folie <em>comme</em> <br />à prendre habitude de la mort <em>comme</em> <br />appris à prendre habitude de cela qui a fait le quotidien de ma vie <em>comme</em> <br />si câétait le quotidien de la vie et qui est le quotidien de la vie <br /><br />avec pour continuer au déchiré de la parole le recours à <em>comme</em> <br /><em>comme</em> un catgut à son entaille <em>comme</em> <br />au mollet mangé par des piranhas pend lâarticulé de la rotule <em>comme</em> <br />une façon de réunir à lâagrafe de lâimage les lobes épars dâune cervelle ou <em>comme</em> <br />une aiguille à recoudre la plèvre dâune langue autopsiée ou bien <em>comme</em> <br />un fragment de vertèbre fossile dont se déduit le corps originel <em>comme</em><br />par magie <em>comme</em> <br />sâil ne restait que <em>comme</em> <br />pour relier grains à grains la parole <em>comme</em> <br />au Tserouf de la Kabbale chaque mot avec tous <em>comme</em> <br />pour de toutes les manières - y compris misérablement - conjurer le sort dans une vie à risque <em>comme</em> <br />un métier à risque <em>comme</em> <br />un pilote guidé au tracé des loopings par des éclats de mots <em>comme</em> <br />remorquée au câble dâun camion lâépave dâune carlingue <em>comme</em> <br />moi radotant ce charabia greffé dâorganes de lettres et dâavions ou <em>comme</em> <br />contait Shéhérazade une fable vitale <em>comme</em> <br />pour ramener lâinvivable au vivable ordinaire des jours <em>comme</em> <br />au métré du poème la page<br /><br />Claude Ber, <em>La mort nâest jamais comme</em>, p.35-36.<br /><br /><br /></span></p><img src="http://feeds.feedburner.com/~r/typepad/KEpI/~4/atC8uw3aoi4" height="1" width="1" alt=""/>

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