il est derrière son comptoir, hiératique,
dans la boutique dédiée au pastel,
la reine des couleurs des temps anciens,
l'aveugle au regard vide,
les yeux grand ouverts,
de ce même bleu que les flots de tissus
autour de lui
soudain, il lui saisit les mains :
"je sens beaucoup d'émotion
dans ces mains, beaucoup d'émotion
mais il ne sert à rien de se cacher,
de détourner le regard de soi-même,
de se vouloir autre, étranger en son pays,
de regarder toujours ailleurs,
de déserter son territoire
pour chercher autre chose
si tu as peur de ton ombre,
tu ne pourras jamais t'aimer
il faut savoir s'abandonner nu sur le sable,
la face vers le ciel, les bras en croix,
ou encore rester couché dans ses draps,
à attendre l'aube, l'esprit en éveil,
le corps empli de désir
il faut oser regarder au-dedans de soi,
dans les zones obscures, sans crainte,
pour enfin, au plein soleil, se lier d'amitié
avec son ombre, avec soi-même "
en cette fin d'après-midi d'automne,
la vendeuse en allée,
l'aveugle au regard vide reste là, seul ,
debout derrière son comptoir,
son océan de lin bleu, son seul trésor,
autour de lui, offert aux convoitises,
défendu par ce seul regard vide,
justement,
ce regard vide, froid et clairvoyant
qui plonge au fond de chacun de vous,
vous perce à jour, dans votre vérité,
comme le regard des simples
et des enfants
car
il est le miroir de votre âme elle-même