Aller au contenu

Photo

(Feuilleton) Enquêtes, par Siegfried Plümper-Hüttenbrink, #3, Viator ubique


  • Veuillez vous connecter pour répondre
Aucune réponse à ce sujet

#1 tim

tim

    Administrateur

  • Administrateur principal
  • PipPipPipPip
  • 5 689 messages

Posté 18 octobre 2019 - 07:39

 

ENQUÊTE (3)
Viator ubique.

Et les hommes vont admirer les cimes des monts, les vagues de la mer, le vaste cours
des fleuves, le circuit de lâocéan et le mouvement des astres et ils sâoublient eux-mêmes.
Saint Augustin â Confessions (Livre X).

1

6a00d8345238fe69e20240a492dfda200c-100wiJe lis. Je relie. Je hasarde des raccords plus que douteux et me perds en conjectures. Câest ainsi quâau hasard de mes lectures jâai dû croiser Pétrarque avec un exemplaire des Confessions de Saint Augustin sur lui en guise de viatique pour lâaccompagner  dans son Ascension du Mont Ventoux. Une ascension quâil relate dans une lettre adressée sous forme de confession à son ami Dionigi di Borgo, et où il laisse libre cours à son désarroi et son mal-être. Depuis dix ans, nâayant eu de cesse de goûter des mondanités de la cour papale avignonnaise quâil qualifie de âgouffre dévorant que rien ne peut comblerâ, il en est plus que las. Et sâil ne tenait quâà lui, il préfèrerait se retirer en ermite, sâisoler en face à face avec soi-même, et faire enfin silence en cogitant à fond son bréviaire de vie en solitaire. Se sentait-il être parvenu en fin de vie mondaine ? En tout cas à un tournant de sa propre vie et qui va lui être signifié par le livre quâil porte en main alors quâil sâapprête à escalader ce Mont venteux qui dut hanter sa prime enfance, vécue dans le Vaucluse. Avant dâamorcer son expédition, il prend encore soin de lâinaugurer en fin lettré quâil est par la lecture dâun passage de Tite-Live relatant une expédition lors de laquelle Philippe de Macédoine, âparvenu au sommet de lâHémus, en Thessalie, aurait cru voir deux mers, lâAdriatique et le Pont-Euxinâ. Mais lâanecdote reste sujette à caution, encore quâelle ne soit pas sans annoncer la vue en surplomb que Pétrarque aura de sa propre vie à lâissue de son ascension.

2
Au matin du 26 avril 1336, muni de son exemplaire des Confessions, il se met en chemin depuis Malaucène et croise un vieux paysan du cru qui tente de le dissuader dans son entreprise, lui annonçant que le lieu est stérile, sans âme qui vive, et quâil ne fait que vous égarer lâesprit. Mais Pétrarque passe outre à sa mise en garde. Sa décision est prise. Elle lui est un fatum auquel il ne saurait déroger. Il lui faut traverser cette épreuve qui ne peut quâêtre initiante quoiquâil advienne. Il se hissera pas à pas jusquâau sommet du site qui dut surplomber son enfance. Il méditera aussi, en se frayant en pénitent son chemin de croix dans cet amoncellement de rocaille inculte et qui lâamènera ultimement à son sommet aux confins du monde habité. De là, il nous dit sâêtre soudain mis à voir au loin, en visionnant la trouée fluviale du Rhône et le cours de sa propre vie dâégaré. Dans sa détresse, ne sachant plus que faire de sa propre personne, il eut recours au livre des Confessions de son cher Saint Augustin, dit lâavoir ouvert au hasard, et pour y lire une phrase qui vint répondre de sitôt au désarroi qui le minait. Il précise quâil se mit à lire cette phrase comme si elle lui avait été adressée en main propre. Tel un envoi sous pli et quâil co-signera. Faisant vÅu de se lier en esprit avec celui qui lâaura comme écrite à son intention, pour son salut. Sur le ton de la remontrance, elle incrimine lâinepte vanité de toutes choses et cette « passion inutile » quâest lâêtre humain au vu du paysage que Francesco Petrarca devait avoir sous les yeux à 1910 mètres dâaltitude et dont il nous dit quâil sâétendait au loin jusquâau littoral marseillais.

3
Une fois reclus dans son Vaucluse natal, Pétrarque ne cessera plus de migrer dans sa tête. « Nâhabitant nulle part, je suis étranger partout » - aura-t-il coutume de dire. Viator ubique - voyageur en tous lieux. Et pour qui la pérégrination se poursuivra par voie livresque et épistolaire sur ses vieux jours. Ayant décidé de se véhiculer non plus par mer, ni par terre, mais en paroles avec les destinataires de ses lettres, et rien que par lâesprit à lâaide de ces vade-mecum que lui furent ses livres.

Illustration : Pétrarque peint par Andrea del Castagno, Galerie des Offices, Florence


TBzG4zYBH7M

Voir l'article complet